Le Maroc s'impose comme un hub numérique émergent en Afrique. Avec sa stratégie « Maroc Digital 2030 », le Royaume investit massivement dans l'IA, les data centers et la formation des talents, tout en mobilisant sa diaspora. Objectif : bâtir une souveraineté technologique et renforcer son leadership continental et international. Le Maroc ambitionne de devenir un acteur incontournable du numérique en Afrique et au-delà. Cette vision se matérialise aujourd'hui à travers la stratégie « Maroc Digital 2030 », dévoilée en septembre 2024, plaçant l'intelligence artificielle (IA) au centre de la transformation économique, sociale et administrative du pays. Sous l'impulsion de la ministre de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration, Mme Amal El Fallah Seghrouchni, cette dynamique vise à moderniser les services publics, attirer les investissements, favoriser l'inclusion numérique et bâtir un écosystème technologique souverain. La stratégie « Maroc Digital 2030 » repose sur plusieurs piliers structurants : le développement de l'e-gouvernement, la modernisation administrative, la stimulation de l'innovation, et l'intégration du numérique dans tous les secteurs. Selon Mme Seghrouchni, cette politique repose sur deux objectifs fondamentaux : réussir la transition numérique et réformer l'administration. L'IA y joue un rôle central : « Vous ne pouvez pas engager la transition numérique sans l'intelligence artificielle », affirme-t-elle. Lire aussi : Baisse de la natalité : Le HCP face au grand virage démographique Face à un taux d'analphabétisme encore élevé (24,8 % au niveau national, 38 % dans les zones rurales en 2024 selon le HCP), l'IA générative représente une solution concrète pour démocratiser l'accès aux services publics. Grâce à des technologies vocales intégrées dans les téléphones mobiles, les citoyens peuvent interagir plus facilement avec l'administration, même sans compétences en lecture ou en écriture. Cette innovation vise à réduire les inégalités territoriales et sociales en simplifiant les démarches pour tous. Au-delà des services, la transformation numérique s'étend également au patrimoine. Le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration a signé un accord avec la Bibliothèque nationale du Maroc pour numériser les archives écrites et le patrimoine oral. « La culture au Maroc et en Afrique est largement transmise oralement. La digitalisation est essentielle pour préserver et valoriser cette richesse », soutient Mme Seghrouchni. Vers une administration numérique grâce à l'intelligence artificielle Ce projet s'inscrit dans une volonté plus large de basculer vers une administration entièrement digitalisée. D'après le ministère de la Transition numérique et de la Réforme de l'administration, le Maroc détient plus de 30 millions d'actes de naissance manuscrits, souvent illisibles. Grâce au machine learning, près de 88 % de ces documents ont été traités automatiquement. Cette technologie permet une gestion administrative plus efficace, plus rapide et plus fiable. Pour porter cette stratégie, l'Etat investit massivement dans les infrastructures. Selon les médias, un centre de données de 500 mégawatts alimenté par des énergies renouvelables sera construit à Dakhla, dans le but de renforcer la sécurité du stockage de données tout en respectant la souveraineté numérique. Deux autres centres sont prévus à Benguérir et à Tanger. Objectif : doter le Maroc de 2 à 3 % de la capacité mondiale en data centers, sachant que l'ensemble du continent africain ne représente aujourd'hui que moins de 1 % de cette capacité. De plus, le Royaume prévoit d'investir plus de 11 milliards de dirhams (1,22 milliard de dollars) dans sa stratégie numérique entre 2024 et 2026, couvrant notamment l'intelligence artificielle, la fibre optique et la 5G. À l'horizon 2030, 70 % de la population marocaine devrait être couverte par la 5G. Le Maroc multiplie également les partenariats stratégiques. Avec Oracle, un centre R&D a vu le jour à Casablanca, réunissant 1 300 ingénieurs marocains. Selon les médias, Lloyds Capital prévoit un méga data center à Tanger, en collaboration potentielle avec Nvidia. Des discussions avancées sont aussi en cours avec la Commission européenne pour implanter une « AI Factory » au Maroc. De plus, le Royaume a signé un partenariat avec Current AI afin de promouvoir une intelligence artificielle éthique, inclusive et sécurisée, orientée vers la santé, la diversité linguistique et la gouvernance. Sur le plan continental, le Maroc a été désigné par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) comme « Centre arabo-africain de l'intelligence artificielle », confirmant son ambition de leadership régional. Talents, diaspora et start-up : Les piliers de la souveraineté numérique L'un des enjeux majeurs reste la formation des talents. Des accords ont été signés avec l'UNESCO pour former 5 000 fonctionnaires à la transformation digitale. L'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), fleuron de l'enseignement supérieur marocain, joue un rôle central dans cette dynamique, avec des antennes à Benguérir, Paris et une forte orientation vers l'innovation. La diaspora marocaine, notamment présente à Dubaï, Abu Dhabi ou la Silicon Valley, est appelée à contribuer activement. « Nous constatons un retour croissant de talents marocains. C'est une opportunité pour renforcer notre capacité locale », note Mme Seghrouchni. La création d'un statut d'e-résident est également envisagée pour permettre aux Africains de travailler à distance avec le Maroc, facilitant ainsi la coopération Sud-Sud. Les start-up ne sont pas en reste. Le programme « AI Factory » vise à accélérer le développement de solutions adaptées aux réalités locales. L'exemple de ToumAI, qui a développé une application d'IA capable de comprendre 50 dialectes africains, illustre cette montée en puissance. Appuyée par Orange Ventures, l'entreprise a récemment levé 10 millions d'euros. Malgré des défis, notamment en matière de financement (seulement 220 millions d'euros ont été consacrés à l'innovation à ce jour), le Maroc est en train de bâtir un écosystème solide. Le président de la CGEM, Chakib Alj, appelle à l'émergence de « licornes marocaines » et à un plus grand rôle du secteur privé. Pour Martin Tisné, président de Current AI, le Maroc a une « occasion immanquable » de façonner un modèle alternatif à la domination sino-américaine. La feuille de route en cours d'élaboration inclut déjà des secteurs variés comme l'agriculture, le tourisme, le sport ou la transition énergétique, avec comme cap stratégique la Coupe du monde 2030.