Face à un exode massif de ses infirmiers, le Maroc tente de limiter leur départ en demandant au Québec de suspendre le recrutement de personnel soignant marocain. Une décision qui suscite l'indignation des syndicats qui pointent du doigt les déficiences du système de santé national, en termes de gouvernance, d'infrastructures et de conditions de travail. Plusieurs organisations professionnelles des infirmiers et techniciens de santé se préparent à adresser une correspondance officielle au ministre de la Santé et de la Protection sociale, selon des informations relayées par les médias. Ces professionnels cherchent à convaincre l'exécutif de revenir sur sa décision d'exiger du Canada, et plus précisément de la province du Québec, de suspendre le recrutement d'infirmiers marocains dans ses établissements hospitaliers. Cette décision est jugée par les syndicats comme un frein à la liberté des professionnels d'exercer à l'étranger, alors même que le déficit en ressources humaines pèse lourdement sur le système hospitalier national. De même, le déséquilibre entre besoins et effectifs atteint des proportions inquiétantes. Les hôpitaux marocains comptent aujourd'hui environ 32.000 infirmiers, alors que les besoins réels sont estimés à 65.000, selon les chiffres du ministère de la Santé du Maroc dans son rapport intitulé « la Démographie médicale et paramédicale à l'horizon 2025 ». De plus, selon le Conseil national du Syndicat indépendant des infirmiers, chaque année, entre 800 et 900 demandes de départ sont déposées par les professionnels du secteur, ciblant principalement le Canada, l'Allemagne et certains pays du Golfe. Dans ce contexte, l'annulation des forums organisés par le Québec pour recruter du personnel marocain a été ressentie comme un coup dur par de nombreux candidats, et des rumeurs non confirmées laissent entendre qu'une mesure similaire pourrait toucher l'Allemagne. Lire aussi : Interdiction des produits cosmétiques contenant du TPO (AMMPS) Le système de santé marocain face à un déficit structurel En parallèle, cette situation s'inscrit dans un contexte plus large de sous-financement du système de santé. En effet, malgré une part du PIB consacrée à la santé qui s'établit à 6,1% en 2022, selon un rapport du ministère de la Santé et de la Protection sociale intitulé « Comptes nationaux de la santé- 2022 », les dépenses publiques restent insuffisantes, obligeant les ménages à supporter près de la moitié des frais directs de santé. Le financement de l'hôpital public repose pour seulement 21,4 % sur l'Etat, le reste provenant de l'Assurance Maladie Obligatoire et des contributions directes des usagers, selon le rapport « L'impact de la nouvelle réforme du système de santé sur le financement de l'hôpital public au Maroc : Quel rôle pour le contrôle interne » publié en mars 2024. Le rapport souligne que ces contraintes budgétaires limitent la capacité des établissements à moderniser leurs infrastructures et à offrir des conditions de travail attractives. En outre, la répartition des infrastructures hospitalières demeure elle aussi problématique. Sur les 1 400 centres de santé de proximité programmés, seuls 949 sont réellement opérationnels. Par ailleurs, le ratio de lits hospitaliers atteint seulement 1 pour 1 307 habitants, selon la carte sanitaire du ministère de la Santé au titre de l'année 2024, loin des standards recommandés par l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE). Les CHU situés dans les grandes villes comme Casablanca, Rabat, Fès, Marrakech ou Oujda bénéficient de programmes de modernisation, mais la majorité du parc hospitalier reste vétuste et mal équipée, ce qui complique la prise en charge des patients et augmente la charge des équipes soignantes. A cela s'ajoute la gouvernance hospitalière qui reste fragile, avec un pilotage financier et opérationnel peu transparent, des gaspillages et des déficits récurrents, selon les experts. De plus, l'absence de contrôle interne et d'analyse des coûts limite l'efficience des dépenses, et les réformes sectorielles se succèdent sans suivi opérationnel, générant instabilité et confusion au sein des établissements. La pénurie de ressources humaines accentue la crise. La densité médicale publique ne dépasse pas 1,89 médecin pour 10.000 habitants, selon le ministère de la Santé, alors que l'objectif pour 2030 est de 4,5 Les professionnels quittent le secteur public pour le privé ou l'étranger, en raison de salaires peu compétitifs, de conditions de travail difficiles, de surcharges, d'infrastructures inadéquates et une répartition géographique inégale, avec une forte concentration du personnel dans les grandes villes. Face à ce constat, les syndicats appellent à revaloriser les carrières pour freiner l'exode des talents. Ils plaident pour la création de nouveaux postes budgétaires, l'abandon du statut de contractuel qui fragilise la stabilité professionnelle, une révision équitable des indemnités liées aux risques et aux charges de garde, ainsi qu'une réforme du système de compensation pour l'astreinte. Plutôt que de limiter la mobilité internationale des soignants, ils suggèrent de mettre en place une véritable politique d'attractivité capable de fidéliser les talents et de préserver le service public hospitalier marocain.