Passionné d'Histoire et d'arts de scène, Mohamed Aadroun joint ses trois champs de prédilection au sein de l'Orchestre andalou d'Amsterdam (AAO), dont il est le co-fondateur. En tant que directeur artistique, il a proposé des spectacles musicaux qui ont eu un grand rôle dans le rayonnement de la musique andalouse aux Pays-Bas. A travers cette démarche, il ancre son propre héritage familial dans une dynamique culturelle contemporaine, ouverte sur le monde. Né à Amsterdam de parents marocains, Mohamed Aadroun s'est orienté vers une carrière réussie dans la fonction publique, aux Pays-Bas. Outre son diplôme en administration et gestion des entreprises, ses compétences humaines et professionnelles lui ont ouvert plusieurs portes. Pendant plusieurs années, il a ainsi travaillé au sein du ministère de l'Economie. Mais parallèlement, il n'aura jamais abandonné sa fibre artistique, encore moins sa curiosité pour les récits historiques sur la région d'origine de ses aïeux. Grand féru de l'Histoire d'Al-Andalus, il s'intéresse à tout ce qui se rapporte aux aspects culturels et artistiques de l'Andalousie califale. Il est porté notamment sur les récits historiques de voyages, ainsi que l'évolution de la pratique musicale dans la région, ou encore les habitudes qui se rapportent au quotiden, au savoir-vivre et aux habitudes culinaires documentées. «Je trouve que la musique andalouse est la meilleure illustration de tout ce que l'on peut évoquer de l'Andalousie comme mode de vie, savoir, rayonnement artistique, scientifique et intellectuel. Sans verser dans la nostalgie, il faut dire que plus on apprend de choses sur l'Histoire d'Al-Andalus, plus on veut en savoir davantage et plus on réalise comment cette région-là a été très en avance sur son temps, alors qu'il s'agit du Moyen-Âge et de l'époque médiévale», nous déclare Mohamed Aadroun. Un récit familial revisité à travers le récit historique Au-delà de l'expression artistique en elle-même et du souci de le faire connaître à un public initié plutôt à la musique classique occidentale, Mohamed Aadroun retrouve une part de son histoire personnelle dans la musique andalouse. «Mon père, qui a travaillé comme policier à Amsterdam, ainsi que ma mère, qui a consacré sa vie à s'occuper de mes trois autres frères et moi à la maison, sont originaires d'El Jebeha, au nord du Maroc. Cette région est connue pour avoir accueilli nombre de familles andalouses, juives et musulmanes, au temps de la Reconquête (722 - 1492) dans la péninsule ibérique», nous explique le directeur artistique. Mistic Mirrors / Ph. Meesterwerk - AAO Histoire : L'apport de Ziryab à la cuisine en Méditerranée et à Al-Andalus En faisant des recherches, Mohamed Aadroun découvre un ancêtre, qui fait bien partie de ces familles venues élire domicile de l'autre côté de la Méditerranée. «En explorant ce qui se rapporte à la grande Histoire et à ses aspects culturels, je me suis retrouvé à revisiter ma propre histoire, celle de mes aïeux et celle que je partage avec plusieurs autres personnes de cette région-là», nous dit-il. «Nous ne savions pas encore ce que nous aurions pu en faire à ce moment-là, mais nous nous sommes associés, avec Mohamed Chairi, mon ami de jeunesse qui joue de la musique andalouse et qui fait des répétitions avec d'autres artistes à Amsterdam. L'idée a été de réfléchir à une formule attrayante que l'on pourrait proposer aux salles de spectacles, pour mettre en lumière ces histoires, dans un cadre musical attrayant.» Mohamed Aadroun Ayant toujours été attiré par les domaines créatifs depuis l'école, le natif d'Amsterdam a ainsi orienté sa carrière vers les arts de scènes, à partir des années 2010. Il renforce ses capacités dans la conception de vidéos et dans l'écriture pour l'image. Il s'engage également dans l'écriture de textes destinés à la mise en scène de spectacles musicaux qui mêlent théâtre, récits historiques et performance scénique. Vers 2011, il s'associe à Mohamed Chairi, Yassine Boussaid et Dwight Breinburg pour fonder une structure. L'Orcherstre andalou d'Amsterdam (AAO) voit le jour. «Mon premier texte proposé en salles raconte justement l'histoire d'un poète andalou, contraint de fuir Al-Andalous pendant la Reconquête. Ma conception qui mêle jeu d'acteur et musique andalouse a été positivement accueillie et j'ai travaillé avec mon ami et des artistes, pour monter une première performance multidisciplinaire», se félicite Mohamed Aadroun, qui compte à son actif cinq pièces dans le même format. Les thématiques restent rattachées à des histoires personnelles qui rencontres des parcours collectifs, dans le contexte plus large de l'Andalousie califale. Dans le prolongement de ce processus, Mohamed Aadroun questionne les notions de l'héritage, de la préservation du leg des ancêtres, du vivre-ensemble, de la diversité culturelle, de la mémoire et de l'identité. Maghreb Icons / Ph. Maarten Mooijman - AAO «Je retrouve dans les récits historiques d'Al-Andalus une richesse et une source intarissable pour nous, héritiers de diverses cultures. Ces récits nous rappellent que nous avons bien notre place et que nous appartenons à là où nous sommes: nous pouvons être Néerlandais, Marocains et porteurs de plusieurs bagages historiques qui ne s'excluent pas les uns les autres, mais se mêlent et font un tout, illustrent un parcours d'ici et d'ailleurs.» Mohamed Aadroun Explorant davantage ces questions, l'auteur consacre l'une de ses mises en scène à Léon l'Africain, Hassan al-Wazzan, «lui-même symbole de trois identités, andalouse, marocaine et italienne». Une autre de ses œuvres porte sur Abul-Abbas, l'éléphant blanc offert en cadeau diplomatique à l'empereur Charlemagne par le calife abbasside Hâroun ar-Rachîd au IXe siècle. «La jonction entre la musique et le théâtre rend encore plus possible ce dialogue avec le public, au-delà de la barrière linguistique et culturelle», nous explique Mohamed Aadroun. Histoire de Léon l'Africain sur les traces du Maroc médiéval La musique andalouse pour explorer l'Histoire et le brassage des cultures Dans cette approche, la recherche et la documentation revêtent une importance primordiale, pour Mohamed Aadroun. «C'est valable pour l'écriture des textes comme pour la musique en elle-même, ce qui nous permet de donner à notre musique andalouse des éléments de contexte importants à savoir, afin d'ancrer cette expression artistique dans la pratique ancestrale et l'expérimentation contemporaine à la fois, tout en lui donnant un aspect festif, car c'est ce cela qu'il s'agit dans un spectacle, mais aussi une dimension historique, ludique et accessible qui renseigne sur de grandes questions», souligne le directeur artistique. «A mon sens, cette combinaison est nécessaire même pour le développement personnel des jeunes générations, ou même des plus anciennes qui vont découvrir ou redécouvrir des aspects positifs, à travers l'art. C'est pour moi le meilleur moyen de diffuser ces idées-là», ajoute Mohamed Aadroun. Capitalisant sur son succès grandissant, l'AAO a étendu son répertoire musical au fil des années. Désormais, le projet compte des artistes réguliers et un noyau permanent, «qui revisitent les routes de la musique andalouse, de Grenade à Baghdad». L'évolution du projet se renforce davantage par une approche pluridisciplinaire. Au-delà de la musique, elle couvre différentes formes artistiques, dont la dance, la photographie, les concerts intimistes ou de plus grande envergure, entre autres. La création du centre culturel Maqam à Amsterdam enrichit encore plus le concept de l'AAO, avec une dimension de transmission et d'échange des pratiques artistiques, à travers des ateliers, des formations, des répétitions, des rencontres thématiques et des conférences. Remla Dance urban contemporary / Ph. Sjoerd Derine - AAO Depuis une dizaine d'années, l'Orchestre organise également le Festival international de Oud, «une biennale qui réunit des luthistes venus des quatre coins du monde, de l'Amérique du Nord au Moyen-Orient, en passant par l'Asie, l'Afrique et l'Europe». En effet, ce travail de longue haleine est le fruit de plusieurs années d'investissement en temps et en moyens, humains et matériels, pour le quatuor fondateur de l'AAO. «Il nous a toujours été difficile de trouver des musiciens praticiens qui soient de fins connaisseurs de la musique andalouse, aux Pays-Bas. Mais au fur et à mesure des projets qui voient le jour, nous avons une importante base d'artistes. Nous y intégrons désormais des praticiens issus de divers bagages, comme le jazz ou la musique classique, venus d'Allemagne, d'Espagne ou d'ailleurs. Nous avons fait en sorte de leur donner du temps et de l'espace pour s'exercer à d'autres styles, sur plusieurs années», explique Mohamed Aadroun. Aujourd'hui, le directeur artistique se dit fier et satisfait de cette collaboration, «renfrocée grâce au talent et à la flexibilité de ces artistes, ainsi que leur curiosité d'essayer diverses formes d'expression». Pour lui, cette dynamique «permet de montrer une toute autre grande dimension de la culture andalouse, celle ancrée dans l'universel». Préférer «la confusion artistique à la fusion» Dans la continuité de cette démarche inclusive, l'AAO propose des ateliers d'initiation à la musique andalouse aux plus jeunes, qu'ils soient Néerlandais ou de diverses autres origines. C'est cette même approche qui fait que chaque année, l'Orchestre participe également à d'autres rendez-vous musicaux aux Pays-Bas. «Dans la ville d'Amersfoort, nous prenons part annuellement au festival Musica Mundo Rythms of the World, organisé par la Fondation ArteGanza et son fondateur, Hassan Elammouri. A cette occasion, le directeur général et artistique nous ouvre sa scène pour proposer des projets novateurs qui sortent des sentiers battus, avec la collaboration de solistes invités en binômes, chacun étant issu d'une pratique musicale différente», souligne Mohamed Aadroun. La soliste de musique andalouse Zainab Afailal et la soprano Aylin Sezer avec l'AAO / Ph. Peter Putters - Musica Mundo - Rythms of the World Diaspo #344 : Hassan Elammouri, ambassadeur des musiques du monde aux Pays-Bas Ancrée dans «la confusion artistique plutôt que la fusion», comme la qualifie Hassan Elammouri, la prestation issue de cette conception créative permet aux artistes de se produire dans un univers authentique, au-delà de leur champ musical de prédilection. Pour le public comme pour les participants à ce processus, l'expérience reste mémorable. Pour Mohamed Aadroun, elle confirme également le caractère à la fois historique et contemporain, riche et ouvert à l'expérimentation, que permet la musique andalouse. Au cours de la huitième édition du festival, du 26 au 29 juin 2025, la coproduction avec l'AAO propose un spectacle avec Tony Overwater, Mark Tuinstra, Aziz Ozouss et Esinam. «Actuellement, nous parlons six langues à l'AAO, ce qui dénote de la diversité culturelle de nos membres. Cela nous dit que la musique est une langue authentique, vraie et qui ne ment pas dans les expressions, les ressentis et les émotions dont elle est le vecteur. C'est l'essence même de la philosophie de notre Orchestre à Amsterdam. C'est aussi et surtout le fil d'Ariane de notre écriture destinée à la mise en scène de nos spectacles.» Mohamed Aadroun Avec sa structure, le directeur artistique aspire à renforcer les collaborations entre l'AAO et des acteurs culturels nationaux, pour proposer des spectacles au Maroc. «Nous avons proposé des concerts aux Pays-Bas avec Nabila Maan, Zainab Afailal, Youssef Jrifi, Leïla Gouchi, Omar Metioui, Jamal Eddine Ben Allal, Hamid Bouchnak, notre roi du raï, ou encore notre mâalma gnaouie Hind Ennaira. Nous avons aussi donné des concerts avec des artistes locaux dans des villes marocaines, à Tanger et à Rabat», rappelle Mohamed Aadroun. Le directeur artistique se dit «ravi de pouvoir avoir une nouvelle occasion de partager ces moments avec le public au Maroc, pour lui proposer le spectacle de Hadra immersive de l'AAO, ou encore celui de Maghreb Icons, qui rend hommages aux figures musicales régionales à travers une mise en scène dans l'univers des années 1980, combinant cette fois-ci théâtre, musique et témoignages personnels sur les artistes locaux qui ont marqué leur temps».