Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il semble en passe de devenir le meilleur allié objectif de Shinzo Abe, le nouveau Premier ministre japonais. Abe s'était déjà fait connaître auprès de ses concitoyens en 2002 en prônant la plus grande fermeté à l'égard de la Corée du Nord dans l'affaire des Japonais enlevés par le régime de Pyongyang. Quatre ans plus tard, l'annonce lundi de l'essai nucléaire nord-coréen pourrait favoriser ses projets sur deux terrains particulièrement sensibles au Japon: le renforcement de la présence nippone sur la scène diplomatique internationale et une interprétation moins stricte de sa Constitution pacifiste. "L'un des facteurs de la notoriété d'Abe est sa fermeté constante à l'égard de la Corée du Nord", souligne Ralph Cossa, président du club de réflexion Pacific Forum CSIS. "Cela l'autorise à dire: 'Je vous l'avais bien dit'." Abe est entré en fonctions le 26 septembre en promettant fermeté diplomatique, révision de la Constitution rédigée après la défaite de 1945 et renforcement de la coopération militaire avec les Etats-Unis, tout en prônant un réchauffement des relations avec la Chine et la Corée du Sud. Le nouveau chef du gouvernement semblait déjà certain de réussir un coup diplomatique en obtenant de Pékin et de Séoul l'organisation de sommets refusés à son prédécesseur Junichiro Koizumi en raison de ses visites au sanctuaire de Yasukuni. Puis l'annonce mardi dernier par la Corée du Nord qu'elle procéderait sous peu à un essai nucléaire a joué en sa faveur. La crise nord-coréenne a relégué au second plan du sommet dimanche avec le président chinois Hu Jintao les tensions liées aux visites à Yasukuni, sanctuaire perçu à Pékin comme à Séoul comme un symbole de l'expansionnisme du Japon au XXe siècle. CAPACITÉ À FRAPPER À L'ÉTRANGER De même, l'annonce de l'essai nucléaire nord-coréen est intervenue une heure seulement après l'arrivée d'Abe en Corée du Sud. Là encore, les discussions avec le président sud-coréen Roh Moo-hyun se sont davantage concentrées sur les problèmes de sécurité dans la région. Roh n'a même pas réclamé à Abe un engagement clair sur le fait qu'il s'abstiendrait de toute visite à Yasukuni. Le Premier ministre japonais s'est déjà rendu dans ce sanctuaire mais il refuse de dire s'il s'y rendra en tant que chef du gouvernement. "Les discussions se sont concentrées sur la Corée du Nord, et la Chine, la Corée du Sud et le Japon ont trouvé un thème de rapprochement ce qui lui a permis de conclure ces sommets sans problème. C'est un point positif sur le plan politique", commente Takahide Kiuchi, économiste à Nomura Securities. Sur le plan intérieur, la menace nucléaire nord-coréenne devrait relancer le débat sur l'acquisition par le Japon d'une capacité à frapper des cibles à l'étranger en cas de menace imminente. Cette question est ouverte depuis le survol en 1998 du territoire japonais par un missile nord-coréen de longue portée. Alors qu'il n'était encore que secrétaire général du gouvernement, Abe avait proposé que le Japon se penche sur cette question après des essais de missiles nord-coréens en juillet. NOTION DE DÉFENSE COLLECTIVE "On n'arrête pas de se demander si le Japon doit devenir une puissance nucléaire. C'est grotesque", assène Ralph Cossa. "La seule raison qui pourrait justifier que le Japon devienne une puissance nucléaire serait que les Etats-Unis retirent leur bouclier nucléaire." "La question plus importante est de savoir si cela va ouvrir le débat entre système défensifs et offensifs (...) Je m'attends à ce que cela soulève au moins la question de savoir si le Japon souhaite ou non investir dans ces systèmes onéreux." Cet expert pense détenir la réponse. Selon lui, le Japon va continuer à s'appuyer sur les Etats-Unis plutôt que de prendre en charge lui-même le coût d'un changement de système. La Constitution du Japon a interdit le maintien d'une armée. Elle a toutefois été interprétée pour lui permettre de conserver des forces armées uniquement destinées à des opérations de défense, un concept sans cesse élargi par les gouvernements successifs depuis 10 ans. Abe a clairement exprimé le souhait de supprimer les contraintes constitutionnelles sur la notion de défense collective et sur l'aide à un allié éventuellement menacé. La menace nord-coréenne pourrait au moins contribuer à placer cette question au coeur du débat et Abe pourrait de facto imposer ses vues en faisant participer le Japon à des inspections de cargos nord-coréens, envisagées dans le cadre des sanctions à l'étude à l'Onu. "Je pense que le Japon y participera quoi qu'il arrive. C'est très important du point de vue symbolique. Cela correspond à l'esprit même d'une diplomatie sûre d'elle-même. Quant à savoir ce que le Japon serait capable de faire, c'est une autre question", note Yoshihide Soeya, professeur de relations internationale à l'Université Keio.