Lors de la journée d'étude organisée par le groupe du Progrès démocratique à la chambre des députés sur la « justice fiscale », Abdelahad Fassi-Fehri a fait une intervention dans laquelle il a présenté 7 observations concernant la réforme fiscale, observations qui tendent à montrer que la réforme fiscale est une réforme éminemment politique. Il a également présenté les principes qui fondent la position du PPS concernant cette réforme. Ci-après, les éléments essentiels de cette intervention : 1- Le débat sur la réforme fiscale intervient à un moment où le Maroc est confronté à de fortes contraintes économiques et financières, à un déficit budgétaire accru ... Bien entendu, à court terme, il faut arriver à maîtriser ce déficit, ce qui impose à côté d'une politique de relance économique et de promotion de l'investissement, de rationaliser les dépenses et d'améliorer les rentrées fiscales (à court terme, essentiellement à travers une accélération du recouvrement, le renforcement du contrôle, l'élargissement de l'assiette...). Mais, la réforme fiscale, selon nous, ne doit pas être pensée ou conçue uniquement sous la pression des contraintes conjoncturelles ou sous l'influence de la crise.... Une réforme a été initiée en 1984 ; elle a permis au Maroc de se doter d'un système fiscal moderne centré sur 3 impôts : TVA, IS, IR ; la fiscalité locale, quant à elle, a connu toute une série d'évolutions liées au développement de la décentralisation.... Aujourd'hui il faut mettre tout ceci «à plat» pour s'engager dans une réforme de nouvelle génération prenant en compte toutes les évolutions fondamentales de notre pays et de notre environnement : nouvelle constitution qui nous impose d'avancer vers la société solidaire, vers l'équité sociale et qui, à travers la régionalisation et la décentralisation, implique de doter les collectivités territoriales des moyens financiers d'assurer leurs prérogatives d'une part , et de corriger les inégalités territoriales d'autre part. recherche d'une compétitivité accrue pour notre économie, dans le cadre de l'ouverture, tout en luttant contre toutes les formes de dumping social ou fiscal. émergence de nouveaux secteurs et déclin d'autres et, en même temps, émergence de nouvelles formes d'organisation du travail et de production, bien souvent fondées sur les nouvelles technologies de l'information. prise d'importance des questions liées à l'écologie qui nous impose d'instiller une dose de fiscalité écologique dans notre système fiscal. Tout ceci met à l'ordre du jour une réforme de nouvelle génération, dont les fondements sont appelés à régir notre système fiscal pour les 20 ans à venir ; 2- Dans le programme du PPS et également dans le programme gouvernemental, la réforme fiscale est le point d'entrée essentiel de toute une série de réformes qui, toutes, visent à construire la société solidaire énoncée dans la constitution : réforme de la caisse de compensation, réforme de la protection sociale, réforme des caisses de retraite, lutte contre la pauvreté et l'exclusion....Les rédacteurs du programme gouvernemental en étaient conscients puisque la réforme fiscale était la seule réforme datée dans le dit programme puisqu'elle devrait être engagée dés 2012... nous avons donc du retard et ce retard explique sûrement, dans une certaine mesure , les difficultés à trancher politiquement certaines questions relatives à la réforme de la compensation ou la réforme des retraites. Il est fondamental d'avoir une vision cohérente de l'ensemble des réformes sociales et la réforme fiscale doit y tenir, selon nous, une place centrale. 3- Il est fondamental selon nous que la réforme fiscale permette d'augmenter les recettes fiscales de l'Etat. Déjà aujourd'hui les recettes fiscales (plus de 190 milliards de dirhams) financent 70 à 75 % du budget général de l'Etat. Il faut assurer des moyens supplémentaires à l'Etat dont le rôle aujourd'hui est incontournable dans le développement du pays. Nous nous inscrivons en faux au PPS contre les théories néo-libérales, d'ailleurs démenties par la crise actuelle des pays capitalistes, qui veulent réduire le rôle de l'Etat dans l'économie et le limiter à un rôle de réglementation et de régulation. Nous pensons, quant à nous, que l'Etat a un rôle développementiste essentiel et doit intervenir dans toute une série de domaines, directement ou à travers un secteur public fort et rationalisé dans sa gestion, domaines où la logique du profit immédiat ne doit pas avoir cours tels la santé, l'éducation, les infrastructures de base.... Donc, oui au développement du secteur privé, oui au partenariat public-privé... mais oui, également et surtout, à un Etat assumant pleinement son rôle développementiste. Ce qui impose de doter l'Etat des moyens nécessaires, notamment à travers les rentrées fiscales. 4- Il n'y a aucune contradiction entre la justice fiscale et la productivité économique du système. Plus un système est juste et équitable, plus il rapporte. Un système juste et équitable est un système où chacun contribue selon ses revenus, ses gains, sa fortune...tout en contribuant à réduire les inégalités sociales ou territoriales La réforme fiscale, en cherchant à concilier la question fiscale et la productivité économique, devra traiter certaines questions essentielles : les barèmes (nous sommes pour l'instauration de tranches supérieures de revenus imposés selon des baremes de solidarité) le système d'exonérations et, en particulier, la question de l'exonération de la grande agriculture, en s'interrogeant sérieusement sur sa pertinence à travers une réévaluation indépendante et permanente fondée sur les analyses coûts - avantages , secteur par secteur et mesure par mesure, la lutte contre la fraude l'élargissement de l'assiette la correction des déséquilibres dans l'imposition du capital et l'imposition du travail (aujourd'hui, à l'avantage du capital) la correction des déséquilibres entre les impôts directs et les impôts indirects (aujourd'hui en faveur des impôts indirects, prépondérants.) 5- Il est essentiel d'avoir une vision intégrée et cohérente de l'ensemble de la fiscalité dans ses 2 composantes : nationale et locale. Il faut doter à la fois l'Etat et les Collectivités territoriales des moyens pour assurer leurs missions respectives (dont le partage reste à définir dans le cadre du projet de régionalisation) tout en respectant le principe constitutionnel selon lequel « le transfert de ressources doit accompagner le transfert des compétences » et tout en mettant en œuvre le principe de solidarité et de péréquation entre les régions. 6- La réforme fiscale doit être ancrée sur la réalité nationale ; cette réalité est aujourd'hui caractérisée par un important secteur informel. Et là, la réforme fiscale devra être perspicace pour distinguer le secteur informel réel, qui concerne des activités de survie et qui a besoin d'une démarche d'accompagnement et d'intégration progressive d'une part et, d'autre part, le faux secteur informel, qui est simplement une forme de fraude et d'évasion qu'il faut combattre bien entendu, en évitant les mesures qui pourraient aboutir à un développement de la contrebande. 7- Il faut prendre à bras le corps de la question de la relation de la société dans son ensemble avec la fiscalité .... Nous avons besoin d'une réconciliation « culturelle » ; l'appel, nécessaire, au civisme fiscal sera d'autant plus entendu que la réforme sera perçue comme juste et équitable et que les relations avec l'administration fiscale seront fondée sur la confiance, la transparence, la clarté. * universitaire et membre du BP du PPS