Abdellah, faux témoin professionnel, gagnait sa vie et subvenait aux besoins de sa petite famille en “vendant“ ses témoignages. Cela ne lui a évidemment pas réussi. Il a été condamné à deux ans de prison ferme. «Je le jure… ». Sur un ton de circonstance, la main droite levée, Abdellah prête serment devant la chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Casablanca. Il s'apprête à témoigner dans le cadre d'une affaire d'escroquerie où est impliqué Jamal, jeune homme d'une trentaine d'années, journalier de son état. «Oui M. le président, j'étais en compagnie de mon ami, Ahmed, quand il lui a remis une enveloppe contenant la somme de trente mille dirhams», déclare Abdellah au tribunal sans manifester la moindre hésitation. Il affirme ainsi qu'il était présent lors de la rencontre entre Ahmed et Jamal, ce jour-là au café de France. « Ahmed cherchait quelqu'un pour l'aider à émigrer clandestinement vers l'Europe… Jamal lui a demandé au départ la somme de quarante mille dirhams, mais ils ont fini par se mettre d'accord sur trente mille DH», précise Abdellah avec l'assurance des témoins qui disent la vérité, toute la vérité, rien que la vérité... Jamal, qui conteste les charges retenues contre lui, a beau fixer ses regards sur ce prétendu témoin. Et quand finalement il se décide à s'approcher de Abdellah pour l'interpeller, il s'en voit empêché par le tribunal. «Mais je ne connais pas cet homme, je ne l'ai jamais rencontré ! », proteste-t-il en vain. Déjà, face aux policiers, Jamal avait bien tenté de faire entendre sa vérité: il ne connaît pas Abdallah, ne l'a jamais rencontré. Mais cela n'a pas empêché Abdallah de maintenir ses déclarations. Le faux témoignage a donc été validé par le tribunal qui, sur cette base, a jugé Jamal coupable d'escroquerie, tout en le faisant bénéficier des circonstances atténuantes et l'a condamné à deux mois de prison ferme. Un jugement confirmé en appel. Ces deux mois passés en prison furent un calvaire pour Jamal. Quant à sa remise en liberté, elle fut entachée d'une amertume profonde, liée au sentiment d'avoir été emprisonné à tort et sur la base des déclarations d'un faux témoin. C'est ce qui poussera Jamal à porter plainte finalement contre Abdallah. déclenchant ainsi sur les traces de ce dernier une investigation policière qui ne tardera pas à porter ses fruits. Les policiers finissent par découvrir que Abdallah est un faux témoin professionnel, que son “tarif“ est généralement de cinq cents dirhams et qu'il subvient de la sorte aux besoins de sa petite famille, son épouse et ses deux enfants dont l'aîné est âgé de six ans : «C'est un certain Hamid qui, la première fois, m'a proposé de pratiquer cette activité. Il m'a demandé de témoigner en sa faveur en échange de quatre cents dirhams. Je ne me souviens d'ailleurs même plus de quoi il s'agissait, tout ce qui compte pour moi est de nourrir ma famille !» Les aveux de Abdallah sont édifiants. Il ne souvient même pas du nombre de faux témoignages qu'il a faits en échange d'une dérisoire somme d'argent. Il n'a même pas le regret d'avoir contribué à faire condamner des innocents. Le fait d'être sans emploi ne constituant pas une excuse suffisante à un tel comportement, Abdallah il a été reconnu coupable de parjure et a été condamné à deux ans de prison ferme assortis d'une “dégradation civique“ pour une durée de cinq années. Quant à Ahmed, il est recherché pour outrage à la police et à la justice. Il regrettera longtemps d'avoir eu recours aux services d'un faux témoin…