Messieurs les Anglais ont pris leur temps avant de tirer. Mais ils ont visé juste. L'annonce du 1er juin 2025 par le Royaume-Uni, qualifiant l'initiative marocaine d'autonomie au Sahara marocain de «base la plus crédible, viable et pragmatique» pour un règlement durable, constitue une inflexion diplomatique majeure, dont les répercussions s'inscrivent à plusieurs niveaux, notamment à l'ONU. Avec le soutien explicite du Royaume-Uni, qui s'ajoute à celui des Etats-Unis et de la France, trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité reconnaissent l'initiative marocaine de 2007 comme fondement d'une solution réaliste. La décision britannique a des implications immédiates. La proposition marocaine s'impose désormais avec un poids accru tant dans les discussions bilatérales que dans les débats futurs au sein du Conseil de sécurité. L'Algérie, pour sa part, apparaît comme de plus en plus isolée sous les coups de boutoir qu'elle a subis en quelques jours : Slovénie, Equateur, Kenya, Syrie, Union des parlements arabes, Internationale socialiste (MSP). Vers une résolution plus explicite ? L'idéal serait qu'une résolution du Conseil de sécurité endosse explicitement l'initiative marocaine comme seule base de règlement, mais la Russie maintient une attitude réservée ou prudente, voire ambivalente. On l'a vu récemment avec l'inclusion d'un langage non consensuel par la Russie dans le passage du rapport annuel pour 2024 du Conseil de sécurité relatif à la question du Sahara. Cependant, à moins d'une initiative concertée et plus percutante, des formulations plus nuancées pourraient faire leur apparition. L'accent serait directement mis sur le caractère «sérieux et crédible» du plan marocain en lieu et place des «efforts» du Maroc, formule déjà présente depuis 2007 dans les résolutions annuelles. Eventuellement, la «viabilité» et le caractère «pragmatique» du plan d'autonomie pourraient être insérés. Face à cette perspective inéluctable, l'Algérie, qui continue de s'arcbouter à des positions obsolètes, renforcera probablement son activisme dans les milieux où la rhétorique du droit international lui reste favorable et tentera de mobiliser les soutiens traditionnels à ses thèses, de moins en moins nombreux et sans influence majeure. Elle conserve des leviers, notamment diplomatiques et symboliques, mais se trouve confrontée à une conjoncture défavorable du fait de l'érosion du front pro-Polisario en Afrique et en Amérique latine et du renforcement du soutien au Maroc. Le glissement inexorable du consensus international vers une approche de compromis réaliste, celle d'une autonomie sous souveraineté marocaine, rend la position d'Alger de plus en plus défensive. La Russie, bien qu'elle soit le principal fournisseur d'armes à l'Algérie, maintient jusqu'à présent une posture de neutralité active sur le dossier du Sahara marocain. La froideur qui caractérise ses relations avec l'Algérie et sa volonté de ne pas heurter le Maroc, partenaire et client important, pourraient pousser la Russie à continuer à jouer une forme d'ambiguïté tactique, sans adopter de posture frontale contre l'initiative marocaine, tout en préservant ses liens commerciaux avec Alger. La Chine, quant à elle, historiquement fidèle à une position de réserve et de non-ingérence, insiste sur la nécessité d'un règlement «mutuellement acceptable». Elle privilégie dans sa diplomatie africaine les relations économiques stables et les Etats solides, ce qui penche en faveur du Maroc, où des capitaux chinois ont été investis massivement dans les infrastructures. Pékin ne s'opposerait vraisemblablement pas à une évolution progressive du langage onusien, tant que celle-ci ne viole pas les principes formels qui guident sa politique étrangère, en ayant présent à l'esprit ses propres préoccupations. Le rapport du secrétaire général Le réalignement progressif des grandes et moyennes puissances vers une solution politique fondée sur l'autonomie sous souveraineté marocaine, perçue comme réaliste, stabilisatrice et conforme à la Charte de l'ONU, est désormais une réalité. Ce basculement pourrait influer sur le rapport du secrétaire général de l'ONU, qui pourrait suggérer une reconfiguration des paramètres de négociation, entérinant de facto la proposition marocaine. Il est important que ce rapport soit en phase avec l'évolution récente et qu'il fasse preuve d'audace. L'Envoyé personnel De Mistura devra forcément s'inscrire dans cette tendance, en privilégiant des mécanismes novateurs, au détriment du processus classique. La formule des tables rondes, réunissant le Maroc, le Polisario, l'Algérie et la Mauritanie, est jusqu'à présent le principal mécanisme recommandé dans les résolutions du Conseil. Cependant, le Maroc pose des conditions et l'Algérie refuse de participer à ce format, estimant, contre toute évidence, que son statut d'«Etat observateur» (sic) est incompatible avec une mise en équivalence avec une partie au conflit. En réalité, cette posture algérienne apparaît comme un refus de valider la dynamique actuelle, de plus en plus favorable à la lecture marocaine du conflit. C'est, cependant, un pari risqué, car l'absence d'Alger est de plus en plus perçue, notamment à New York, comme une attitude de blocage, en contradiction avec les appels répétés du Conseil à ce que «toutes les parties» s'engagent «de bonne foi et sans conditions préalables». Alger : le naufrage d'un rêve fou Si le boycott algérien persiste, le Conseil de sécurité pourrait, à terme, entériner une résolution actant la solution politique comme devant s'appuyer exclusivement sur le plan d'autonomie. La décision de Londres est bel et bien un choc pour le régime algérien. C'est le dernier coup de pioche de la tombe du rêve fou algérien d'un affaiblissement du Maroc. Seul Alger ne le sait pas ou fait mine de ne pas le savoir. Les éléments de langage du communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères, rédigé en un temps record et diffusé sans tarder dans la journée, en sont la preuve éclatante. Le texte est marqué par une rhétorique d'agitation et de refus catégorique assortie d'une tentative de récupération partielle des éléments de langage britanniques, dans un effort manifeste de limiter la portée politique de l'annonce. La tonalité dominante est celle d'une colère contenue et d'une amertume douloureuse, combinées à un réflexe légaliste défensif et une mise en garde sans pouvoir coercitif — une attitude symptomatique d'un isolement diplomatique avéré. Les rédacteurs du communiqué algérien, désormais bien rodés, ont recours à leurs techniques habituelles : le mensonge, la falsification des faits et les procès d'intention. Ils emploient un vocabulaire accusatoire visant à décrédibiliser le plan marocain. Cette stratégie, destinée à la consommation interne, souffre d'un décalage flagrant avec les réalités diplomatiques actuelles. Le passage sur les Envoyés personnels du Secrétaire général est faux et l'allusion au fait que le plan n'a pas été présenté au Polisario est une grossière contrevérité. Le ministère algérien des Affaires étrangères tente une relecture légaliste sélective de l'annonce britannique, pour n'en extraire que les éléments conformes à la position algérienne. Alger, dans un repli défensif, entend souligner que Londres n'a pas franchi la ligne rouge d'une reconnaissance explicite de souveraineté. Mais ce pari sur ce que le communiqué appelle la «double particularité de la nouvelle position britannique» ne saurait masquer l'essentiel : le soutien explicite du Royaume-Uni au plan marocain est sans équivoque. En filigrane, le texte exprime un désarroi stratégique : le nombre de pays qui se rangent dans le camp de la solution d'autonomie augmente régulièrement. L'Algérie, campée sur un schéma d'un autre temps, est de plus en plus isolée et seule contre un consensus qui se construit sous ses yeux. L'Algérie se pose en gardienne solitaire de la légalité onusienne, mais n'a plus d'allié majeur pour soutenir sa lecture. Rudes temps pour la diplomatie d'un régime dont l'horloge s'est arrêtée, et qui ne parvient plus à peser sur un processus qui le dépasse.