John Robert Bolton s'est toujours méfié des institutions multilatérales, qu'il considère comme des freins à l'action des Etats-Unis. Il était l'un des principaux théoriciens et praticiens du néo-conservatisme américain, courant politique prônant l'unilatéralisme, le renforcement de la puissance militaire et la défense offensive des intérêts américains à l'étranger. Bolton est un «faucon», farouchement attaché à l'idée d'une Amérique dominante, rétive aux concessions diplomatiques. L'ONU, selon lui, est bureaucratique, inefficace et gangrenée par des coalitions de pays hostiles ou indifférents aux intérêts américains. L'organisation n'a de légitimité que dans la mesure où elle sert les intérêts de Washington. C'est pourtant auprès de l'ONU que le président George W. Bush essaya de nommer Bolton en 2005 comme ambassadeur des Etats-Unis. Sans confirmation du Sénat, le président eut recours à une «nomination de circonstance» (recess appointment). Le bref et controversé passage de Bolton aux Nations unies fut marqué par une critique virulente du système onusien, et sa nomination n'en apparaît que plus incompréhensible. Bolton ne croit pas en la vertu intrinsèque du multilatéralisme ni en la capacité de l'ONU à résoudre les conflits internationaux. Il n'avait que mépris pour l'appareil onusien et a toujours considéré que le droit international ne devait pas contraindre la souveraineté américaine. Congédié La carrière de John Bolton s'est déployée sur plusieurs décennies, au sein des administrations républicaines successives. Il fut sous-secrétaire d'Etat au contrôle des armements sous George H. W. Bush, puis secrétaire d'Etat adjoint aux affaires internationales sous George W. Bush. Son profil clivant lui a cependant souvent valu de vives résistances, notamment au Sénat. En avril 2018, il est nommé conseiller à la sécurité nationale par le président Donald Trump. Le choix, là encore, paraît paradoxal : les deux hommes ne partagent pas les mêmes idées. Très vite, des divergences de fond apparaissent : Bolton pousse à l'escalade contre l'Iran, plaide pour une ligne dure sur la Corée du Nord et conteste les velléités de rapprochement avec Vladimir Poutine. Ces désaccords aboutissent à son éviction en septembre 2019. Dans son livre The Room Where It Happened (2020), Bolton se venge en dressant un portrait peu flatteur de Trump, accusé d'ignorance, d'improvisation et de recherche obsessionnelle d'intérêts électoraux personnels dans la conduite des affaires étrangères. Trump parlera de lui comme «un gars qui n'a pas pu être approuvé pour le poste d'ambassadeur auprès de l'ONU il y a des années, n'a pas pu être approuvé pour quoi que ce soit depuis». Il l'abreuvera copieusement d'injures : «chiot malade», «crétin mécontent et ennuyeux», va-t-en-guerre, «idiot»... Hostile à toute forme de compromis avec des régimes perçus comme hostiles (Corée du Nord, Iran, Cuba, etc.), Bolton incarnait l'aile la plus inflexible du néo-conservatisme américain. Il a prôné l'usage préventif de la force, notamment dans les dossiers de prolifération nucléaire, et a souvent milité pour des changements de régime. Toutefois, cette vision du monde, très polarisée, ne s'applique pas uniformément : elle varie selon des logiques géopolitiques et idéologiques qui, dans le cas du Sahara marocain, semblent déroger à ses principes déclarés. Une hostilité tenace Le positionnement de John Bolton sur la question du Sahara occidental détonne dans le paysage diplomatique américain. Farouchement critique à l'égard de la position marocaine, il s'est rangé aux côtés de l'Algérie, dénonçant ce qu'il perçoit comme une complaisance américaine envers Rabat. Cette posture, peu fréquente dans les cercles néo-conservateurs, mérite examen. En 2020, se produit un retournement stratégique, la reconnaissance par l'administration Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Bolton s'y oppose, et se sert du processus onusien comme levier contre une décision politique qu'il désapprouve. Il ne défend pas l'ONU en tant qu'institution, mais la nécessité, uniquement dans ce cas précis, de respecter la procédure multilatérale convenue. En réalité, il ne croit en l'ONU que lorsque celle-ci peut être utilisée pour légitimer ses positions. Pour essayer de comprendre le positionnement du personnage sur la question du Sahara, il faut le placer aux côtés de ses compatriotes James Baker et Christopher Ross, dans une grille de lecture tripartite. Baker et Ross ont en commun une expérience de rupture avec Rabat, et en ont tiré une lecture du dossier chargée d'amertume. Le trio s'inscrit dans une ligne critique de Rabat, mais selon des modalités et des intensités différentes. On a là une sorte de constellation américaine de frustration diplomatique vis-à-vis du Maroc, qu'il convient d'analyser. Trio désenchanté Ancien secrétaire d'Etat sous George H. W. Bush, James Baker III est sans doute la figure la plus structurante de ce trio. En tant qu'Envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU (EPSG) pour le Sahara, de 1997 à 2004, il a tenté à plusieurs reprises de débloquer le dossier. Son approche, centrée sur une solution politique équilibrée entre autodétermination et autonomie, a abouti au «plan Baker II» (2003), présenté comme un compromis raisonnable mais fermement rejeté par Rabat. L'échec de ce plan, que Baker avait ardemment défendu, a été vécu comme une déconvenue personnelle. Le sentiment d'avoir été désavoué par le Maroc, voire piégé, a nourri chez lui une forme d'amertume durable. Depuis son retrait, Baker ne s'est exprimé sur cet épisode qu'une seule fois, pour dire toute sa rancœur. Diplomate chevronné, Christopher Ross a été nommé à son tour EPSG en 2009, après avoir été ambassadeur des Etats-Unis en Algérie et en Syrie. Contrairement à Baker, il est entré en fonction à un moment où la marge de manœuvre onusienne s'était considérablement réduite. Néanmoins, il a essayé de relancer le dialogue entre les parties, en essayant des voies détournées. Ses méthodes, dénoncées par Rabat, ont fini par provoquer la rupture : en 2012, le Maroc a retiré sa confiance à Ross, estimant que son impartialité était mise en doute. Bien que réhabilité, Ross n'a jamais retrouvé une relation fluide avec Rabat, et après son départ en 2017, il exprima des critiques publiques sur l'attitude marocaine. Rares pour un diplomate de carrière, ses prises de position donnent la mesure de son ressentiment personnel. John Bolton, contrairement aux deux précédents, n'a jamais été formellement en charge du dossier saharien. À l'ONU, il n'a pas eu le temps de jouer un rôle dans ce dossier. Son activisme post-Trump contre la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine, s'explique moins par une expertise personnelle du dossier que par un engagement de conviction, fondé sur une fidélité intellectuelle à Baker, dont il continue à porter la déception. Bolton a longtemps travaillé avec l'ancien émissaire onusien James Baker III, qu'il considère comme un mentor et une référence morale. Dans ce cadre, le soutien aux thèses algériennes apparaît moins comme une adhésion que comme une fidélité intellectuelle à l'approche de Baker. Bolton a vraisemblablement été influencé par des cercles de lobbying pro-algériens. S'il n'existe pas de preuve formelle d'un engagement structurel auprès de l'Algérie, ses prises de position répétées sur la scène internationale, y compris dans des forums peu médiatisés, laissent entendre une forme d'obsession politique. À défaut d'un intérêt matériel, on pourrait y voir une posture idéologique fondée sur la vision d'un monde en noir et blanc, où l'autonomie serait douteuse, et le referendum une valeur cardinale. L'hostilité de Bolton envers le Maroc, constante et parfois disproportionnée, interroge sur la cohérence de ses convictions. À trop vouloir défendre le multilatéralisme dans un seul dossier, celui du Sahara occidental, tout en le rejetant ailleurs, il donne l'impression d'un parti pris plus personnel qu'idéologique. Ainsi se dessine le portrait d'un idéologue rigide, qui n'a jamais été vraiment l'homme qu'il faut à la place qu'il faut.