Du rivage atlantique du Maghreb aux confins des provinces yuan de Chine, le voyageur marocain Ibn Battuta (1304-1377) a tracé au XIVe siècle un itinéraire d'une ampleur inégalée, traversant continents, mers et royaumes au gré des routes commerciales et des pôles savants de son temps. Sa cartographie, reconstituée à partir de la Rihla et récemment dévoilée, témoigne d'un univers afro-eurasien déjà profondément entrelacé. Parti de Fès en 1325 pour accomplir le pèlerinage à La Mecque, Ibn Battuta multiplia les détours, empruntant les caravanes sahariennes, longeant la vallée du Nil jusqu'au Caire, puis gagnant le Hedjaz sous protection mamelouke. Son parcours le mena ensuite en Anatolie, en Asie centrale chagataïde, en Inde du sultanat de Delhi (où il exerça comme qadi), avant de rejoindre les ports de l'océan Indien et, plus à l'est, la côte méridionale de la Chine. Nœuds d'échanges et cités savantes Les villes visitées – Damas, Samarcande, Mogadiscio, Calicut, Zayton – apparaissent, dans son récit, comme des carrefours où se rencontrent marchands, érudits et pèlerins. Les réseaux maritimes de l'OCI (océan Indien) et les routes caravanières reliant l'AEF (Afrique de l'Est) à l'Asie du Sud et au Levant s'y tissaient avec régularité. La circulation des biens – or soudanais, épices malabares, soieries chinoises – y côtoyait celle des idées, des règles juridiques et des traditions coraniques. Accueilli par des souverains tels que le sultan Muhammad Tughluq en Inde ou le khan Öz Beg sur la Volga, Ibn Battuta devint tour à tour juge, ambassadeur ou invité d'honneur. Ces séjours dans les cours princières lui permirent d'observer la diversité des régimes politiques musulmans, du sultanat centralisé aux chefferies insulaires, ainsi que leurs rapports diplomatiques avec Byzance, les Mongols ou les royaumes africains du Mali. En parcourant environ 120 000 kilomètres, Ibn Battuta révéla l'existence d'un maillage transcontinental où la foi musulmane servait de ciment culturel et linguistique, favorisant les échanges de Tanger à Canton. Son œuvre écrite demeure une source majeure pour les historiens de l'Unesco et des universités, offrant un éclairage rare sur la continuité géographique et culturelle d'un monde bien avant l'époque moderne.