Fruit d'années de pérégrinations journalistiques à travers le continent, l'essai L'Afrique contre la démocratie – Entre mythes, déni et péril Riveneuve, collection « Pépites jaunes », d'Ousmane Ndiaye explore, documents et témoignages à l'appui, la persistance d'une idée aussi populaire que délétère : la démocratie ne serait pas faite pour les Africains. L'auteur déconstruit cette thèse en s'appuyant sur les faits – histoire, statistiques, discours politiques – qui constituent la matière première de son métier. Ousmane Ndiaye réactive un sujet qui, de tout temps fait débat dans tous sphères socio politique en Afrique, une radioscopie de remise en cause d'un corpus d'idées reçues et de fantasmes qui, sous couvert d'arguments historiques ou culturels, justifient des pratiques politiques verrouillant la marche vers des sociétés plus démocratiques. Le regard de Ndiaye, incisif et ancré dans l'expérience du terrain, s'inscrit dans une perspective sociologique et politique : comprendre comment ces mythes se sont construits, qui les entretient, et pourquoi ils trouvent encore un écho dans le débat public africain. Fruit d'années de reportages et de déplacements à travers l'Afrique, l'ouvrage s'appuie sur un matériau varié : récits de terrain, statistiques, discours politiques, entretiens avec acteurs et témoins. L'auteur s'attache à dresser l'inventaire des clichés et fantasmes qui, sous couvert d'arguments historiques ou culturels, freinent l'ancrage démocratique. Lire aussi : Ousmane Ndiaye- Le concept du Sud global : une aspiration à l'indépendance et à l'équilibre mondial Le préfacier, le professeur Jean-François Akandji-Kombé, souligne ce parti pris : « Ousmane Ndiaye a choisi, et c'est heureux, de partir du terrain qu'il connaît bien, comme journaliste qui a traversé l'Afrique de part en part... observé, interrogé, et parfois recueilli les confidences d'acteurs déterminants de ce qu'il faut bien considérer comme une tragédie : vider le continent de la démocratie. » Dès les premières lignes, le ton est donné. Ousmane rejette la formule récurrente – « la démocratie ne serait pas faite pour les Africains » – et sa variante intellectuelle : l'appel à « une démocratie adaptée aux valeurs africaines ». Une idée qu'il juge doublement insultante : pour la démocratie et pour les valeurs africaines elles-mêmes. L'un des premiers mythes démontés concerne l'origine supposée « importée » de la démocratie. Ousmane soutient, au contraire, que la colonisation a interrompu des pratiques politiques endogènes qui portaient en germe des formes démocratiques. S'appuyant sur l'assertion de Jacques Chirac – « L'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie » – et la réplique de Wole Soyinka – « L'a-t-elle jamais été pour la dictature ? » –, il questionne la notion de « maturité démocratique » et ses usages dans le discours panafricaniste relativiste. Le cas du Mali illustre sa méthode : derrière la « révolution démocratique » se niche le « mythe kaki », celui d'un salut national par les militaires. Les faits montrent pourtant que le pays a été dirigé plus longtemps par des régimes militaires que civils. Les ingérences extérieures et le double standard L'auteur s'attarde sur le rôle des interventions étrangères, notamment françaises : maintien au pouvoir de dirigeants au Gabon, aux Comores, au Tchad ou au Congo-Brazzaville, intervention en Côte d'Ivoire en 2011 sous mandat onusien, renversement de Mouammar Kadhafi la même année au nom d'une « guerre d'ingérence douteuse ». À travers l'exemple des conférences nationales (Bénin, Congo-Brazzaville, Gabon), Ndiaye montre que leur portée émotionnelle a parfois masqué l'absence d'un bilan rigoureux. Son analyse culmine dans la dénonciation du « double standard », d'abord médiatique, puis politique et géopolitique : les intérêts stratégiques priment sur les valeurs démocratiques, renforçant le scepticisme et le rejet des injonctions extérieures. L'ouvrage explore également la « tragédie des opposants historiques » : Alpha Condé, Laurent Gbagbo, Abdoulaye Wade. Tous ont combattu pour la démocratie avant d'adopter, une fois au pouvoir, des pratiques contraires à leurs idéaux proclamés. Au fil des pages, Ndiaye observe une tendance préoccupante : la démocratie est souvent ramenée à sa définition minimale – un scrutin périodique – tandis que les dispositifs de contrôle citoyen, bien que théoriquement robustes, sont neutralisés dans la pratique. Les opposants historiques déchus, la récupération politique du panafricanisme et de l'anti-impérialisme, ou encore l'instrumentalisation du souverainisme alimentent ce recul.