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72 % des Marocains favorables au libre-échange mondial et aux relations avec Pékin et Washington, 77 % réclament une voix africaine plus forte, selon "Afrobarometer"
Un rapport exhaustif publié par Afrobarometer, réseau panafricain d'études d'opinion établi au Ghana et couvrant quarante-deux pays du continent, dévoilé vendredi 19 août, dresse un tableau profondément révélateur des perceptions marocaines face au commerce international, aux institutions régionales et aux puissances extérieures. Conduit auprès d'un échantillon représentatif de 1 200 adultes, ce sondage met en lumière un attachement marqué des citoyens à l'ouverture commerciale et une demande explicite d'une présence africaine renforcée dans les grandes enceintes mondiales. Le document rappelle d'emblée que «le Maroc est classé cinquième économie d'Afrique en produit intérieur brut et s'appuie fortement sur le commerce comme pilier central de sa stratégie de croissance». Il souligne également que «au cours des deux dernières décennies, le pays s'est positionné comme un pôle compétitif dans les chaînes de valeur mondiales, attirant d'importants investissements directs étrangers et développant des industries tournées vers l'exportation». Commerce extérieur et attentes des citoyens L'UE domine les échanges du Royaume. L'étude note que «l'Union européenne représente 59 % des échanges de biens du Maroc en 2024, avec 68 % des exportations dirigées vers l'Europe et 54 % des importations provenant de ce bloc». Les Etats-Unis occupent également une place particulière : «le Royaume bénéficie d'un tarif moyen de 10 % sur ses exportations vers les USA, quand l'Algérie et la Tunisie sont soumises à des droits de près de 30 %». La Chine, pour sa part, a fait du Maroc une plateforme pour contourner les barrières douanières européennes, notamment dans l'automobile et les batteries, avec des investissements évalués à 10 milliards de dollars. L'opinion publique reflète ces orientations économiques. L'enquête souligne que «près de deux tiers, soit 65 %, des Marocains considèrent qu'il est préférable que le gouvernement facilite les échanges avec l'étranger afin de favoriser la croissance, tandis que 25 % préfèrent limiter le commerce afin de protéger les producteurs marocains». Quant aux partenaires privilégiés, l'adhésion au commerce global se confirme : «72 % souhaitent que les échanges concernent l'ensemble des pays du monde, 11 % privilégient un commerce avec tous les pays africains et seulement 5 % restreindraient les échanges aux pays du Maghreb». Ces chiffres traduisent une conception résolument universelle des relations commerciales. Mais la méconnaissance des grands projets africains demeure. Afrobarometer indique que «seulement 6 % des répondants déclarent avoir entendu parler de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), contre 89 % qui n'en ont pas connaissance et 5 % qui déclarent ne pas savoir». Ce contraste entre aspiration à l'ouverture et faible information illustre un décalage entre l'agenda institutionnel continental et la perception citoyenne. Institutions régionales et voix africaine La reconnaissance des intérêts nationaux dans les organisations régionales est jugée positivement par une majorité. Selon l'étude, «67 % des Marocains se disent satisfaits de la manière dont l'Union africaine reconnaît les besoins du Royaume dans ses décisions». Elle précise aussi que «55 % estiment que l'Union du Maghreb arabe prend également en considération ces intérêts». Au-delà de la sphère régionale, l'exigence d'une représentation africaine accrue sur la scène mondiale ressort avec force. Afrobarometer rapporte que «77 % des citoyens considèrent que les pays africains devraient avoir davantage leur mot à dire dans les instances internationales telles que l'Organisation des Nations unies». À peine 4 % expriment une opinion contraire, et 19 % demeurent neutres ou sans réponse. Ce constat confirme l'émergence d'une conscience panafricaine exigeant une redistribution des voix dans la gouvernance internationale. Perception des puissances étrangères Les données relatives aux influences extérieures livrent une hiérarchie révélatrice. L'UE conserve la première place, puisque «69 % des Marocains considèrent son influence comme positive». L'UA suit avec «61 % d'opinions favorables», devant la Chine à «60 %», les USA à «59 %» et l'UMA à «53 %». Les autres puissances suscitent plus de réserves. L'enquête note que «34 % des citoyens jugent positive l'influence de la Russie, 32 % celle de la France et 28 % celle de l'Inde». La France apparaît comme l'acteur le plus critiqué : «45 % estiment que son influence est négative, contre 32 % qui la considèrent positive». Les appréciations neutres ou les absences de réponse sont nombreuses, atteignant «64 % pour l'Inde et 50 % pour la Russie». Soutien durant la pandémie À la question de savoir qui a le plus soutenu le Maroc face aux conséquences de la pandémie de COVID-19, «31 % des répondants citent les Etats-Unis, 23 % la Chine et 20 % l'Europe». L'UA ou ses agences sanitaires ne recueillent que «5 % des mentions». Cette hiérarchie témoigne d'une reconnaissance prioritaire des acteurs extra-africains dans la gestion de la crise sanitaire. L'évolution du regard sur la Chine La perception de la Chine illustre les mutations de l'opinion marocaine au cours de la dernière décennie. Afrobarometer rappelle que «la part des Marocains jugeant que les activités économiques chinoises exercent une influence notable sur leur économie est passée de 49 % en 2015 à 80 % en 2022, avant de reculer à 68 % en 2024». Mais parallèlement, «la proportion de ceux qui considèrent cette influence comme positive est passée de 50 % en 2022 à 60 % en 2024». Les variations démographiques apportent des nuances essentielles. L'enquête rapporte que «71 % des hommes contre 64 % des femmes estiment que la Chine exerce une influence économique substantielle». La proportion monte à «79 % chez les diplômés post-secondaires, contre 41 % chez ceux sans instruction formelle». Elle atteint «77 % chez les citoyens n'ayant pas connu de pauvreté vécue, contre 58 % chez ceux qui en ont connu une». Enfin, «73 % à 75 % des jeunes de 18 à 35 ans partagent cette perception, contre 55 % des plus de 55 ans». Concernant la dimension positive de l'influence chinoise, «65 à 66 % des jeunes la jugent favorable, contre 53 à 57 % des plus âgés». Ces chiffres traduisent une dynamique générationnelle et sociale où la jeunesse et les catégories les plus instruites apparaissent davantage ouvertes à l'influence chinoise. La guerre russo-ukrainienne et la neutralité marocaine L'étude Afrobarometer s'est également intéressée à la perception du conflit en Europe de l'Est. Elle observe que «80 % des Marocains ont entendu parler de la guerre entre la Russie et l'Ukraine». Parmi eux, «74 % considèrent que le Maroc doit rester neutre, contre 7 % qui penchent pour l'Ukraine et 6 % pour la Russie». Les indécis représentent «8 %». Ce résultat illustre une volonté de prudence diplomatique, consistant à se tenir à l'écart d'un conflit qui oppose deux puissances extérieures. Une enquête rigoureuse et une série chronologique Afrobarometer rappelle que ses sondages ont débuté en 1999 et qu'ils en sont à leur dixième cycle, lancé en janvier 2024. L'équipe marocaine, dirigée par Global for Survey and Consulting, a interrogé 1 200 adultes en face-à-face, en respectant la langue choisie par chaque répondant. La marge d'erreur annoncée est de ±3 points de pourcentage, avec un degré de confiance de 95 %. Les précédentes enquêtes conduites au Maroc datent de 2013, 2015, 2018, 2021 et 2022, ce qui permet de mesurer des évolutions dans le temps, notamment sur le commerce, l'ouverture internationale et la perception de la Chine. En définitive, cette enquête Afrobarometer livre une fresque éloquente de l'opinion publique marocaine. Elle met en avant un attachement profond au commerce libre, une appréciation globalement positive des grandes puissances étrangères, une critique marquée de la France, une reconnaissance du soutien apporté par les Etats-Unis et la Chine durant la crise sanitaire, une perception nuancée mais favorable de l'influence chinoise, et une volonté affirmée que l'Afrique puisse peser davantage dans les décisions mondiales. Elle révèle aussi un choix de neutralité dans le conflit russo-ukrainien, signe d'une prudence géopolitique.