La période des bilans reste, pour les experts du chiffre, celle d'un maximum de labeur et de recettes. En enquêtant sur la question, le débat sempiternel portant sur la réglementation apparaît. Elle contribuerait à un équilibre en termes de revenus. ça court dans tous les sens. Les sonneries des téléphones grésillent en continu. Et dans tous les coins s'amoncellent des dossiers dont les feuilles éparses annoncent un déménagement décidé in extremis. L'activité est à son comble durant le mois de mars chez les fiduciaires. «D'une manière générale, dès le mois de février, la saison commence à battre son plein. Les entreprises organisées par contre s'y attèlent plus tôt et les procédures sont mises en branle dès le mois de janvier», témoigne Zakaria Fahim, expert-comptable et associé-manager au sein d'un cabinet d'expertise, membre du réseau BDO à Casablanca. Serait-ce le cas dans toutes les fiduciaires ? «Je trouve que c'est un terme qui a une connotation péjorative pour désigner un comptable agréé ou toute autre personne qui tient les comptes», réplique-t-il sans équivoque. À la même interrogation, Abdellah Boukari, président de l'Association des Fiduciaires du Nord, connue sous le sigle d'Afinord, répond : «au Maroc, nous assistons à un amalgame entre la profession de fiduciaire et celle de comptable. Tandis qu'en Europe, les missions sont mieux réparties. Les fiduciaires sont les gestionnaires de fortunes et de patrimoines». Toutefois, ils sont unanimes à souligner que les clients attendent généralement le dernier moment pour présenter leurs comptes et établir leur bilan. «Deux principaux facteurs concourent à cette euphorie. D'une part, les clients tardent à établir leurs bilans et ne s'y prennent qu'à la dernière minute. D'autre part et le tort leur incombe cette fois-ci, certains cabinets ne poussent pas leurs clients à régulariser leur situation et à arrêter leur compte à l'avance», explique M. Boukari, qui comptabilise à son actif une quarantaine d'années d'expérience dans le domaine à Tanger. Et d'ajouter : «il en résulte un travail intense en cette période». Comment s'explique le «laisser-aller» dont font preuve certaines fiduciaires ? «Le défaut de réglementation de la profession encourage ce type de situations. Car, si demain vous décidez d'ouvrir un cabinet, on ne vous demande pas de savoir lire ou écrire. Il suffit de demander une patente auprès de la direction des impôts», ne manque-t-il pas de préciser ironiquement. Diversification des revenus Il est vrai que de telles facilités paraissent particulièrement attrayantes. D'autant plus que les recettes enregistrées durant la période dite des bilans ne manquent pas d'intérêt. Il existe un grand nombre de cabinets fiduciaires pour qui la facturation des bilans représente 50% du chiffre d'affaires annuel. À quelques nuances près, la situation n'est guère différente chez les experts-comptables. «Fin mars? C'est comme Aïd El Kbir pour les bouchers. Les experts-comptables prennent une semaine de vacances, notamment ceux qui ne font que dans l'expertise», indique Zakaria Fahim. Ce repos traduit-il une importante satisfaction pécuniaire? «Le chiffre d'affaires enregistré durant la période des bilans varie selon que le client a sollicité les prestations de sa fiduciaire durant toute l'année ou seulement ponctuellement. Mais en règle générale, il représente entre deux et trois mois du chiffre d'affaires annuel. À titre comparatif, pour un salarié, cela peut équivaloir à un 14ème ou un 15ème mois». L'autre critère d'évaluation repose sur la taille du cabinet. Toujours selon la même source, il se trouve que les structures n'opérant que dans les bilans voient en cette période la réalisation de 20% de leur portefeuille. Passée cette période, quelles sont les sources de revenus ? Et de quoi s'alimente le fonds de roulement ? Les experts-comptables, en cherchant à diversifier leurs revenus, offrent des prestations comme le conseil, la rédaction des procès-verbaux et s'occupent de la création d'entreprises. Et certains cabinets commercialisent également des modules de formation. «Plus le cabinet est important, plus l'effectif augmente et donc les besoins en financement aussi», précise M. Fahim. Aussi, ces cabinets élaborent une grande quantité d'actes juridiques et font de la tenue de comptes. Certes, les impératifs sont d'ordre financier puisque toutes les prestations sont facturées aux clients, mais il n'en demeure pas moins que la mission de la fiduciaire dépasse ce cadre. «En effet, une réflexion est menée au sein de l'ordre. Nous ne pouvons pas aujourd'hui ne pas prendre en considération l'intérêt de l'entreprise et trouver un accord à ce sujet», explique le même intervenant. Et de poursuivre : «une telle initiative est d'autant plus importante en ce qui concerne les PME». En clair, il s'agit de pallier au fait que les entreprises sont toujours prises de court par le temps. Alors, le message qui pourrait leur être adressé consisterait à leur rappeler qu': «un expert-comptable, c'est d'abord un professionnel qui dispense du conseil juridique et fiscal et non pas uniquement des prestations relatives aux impôts, comme l'élaboration des bilans ou encore le paiement de la TVA. Il faut aller au-delà de cette définition restrictive», ne manque-t-il pas de soulever. Un des plus «vieux» projets de loi Pour sa part, Abedellah Boukari apporte quelques nuances. «Si le marché du commissariat aux comptes est un monopole exclusivement réservé aux experts-comptables, il reste à l'ensemble des fiduciaires à se pencher sur la comptabilité, le conseil aux clients et de proposer un accompagnement à vie à l'entreprise». Et il ne s'arrête pas là. Il remet sur le tapis un débat qui a pris naissance à la promulgation de la loi sur la SA, qui impose la certification des comptes par un commissaire aux comptes, qui en dehors d'exercer la profession d'expert-comptable, doit répondre à un nombre de critères pour son éligibilité. De ce fait, les comptables agréés et autres fiduciaires se trouvent écartés de la prestation de certification. Un véritable manque à gagner pour ces corps de métiers. Un projet de loi qui croupit dans les tiroirs du Secrétariat général du gouvernement (SSG) depuis pratiquement une dizaine d'années. Ce dernier émane de la revendication des comptables agréés, qui repose sur l'établissement de passerelles vers la qualité d'expert-comptable. «Le débat porte sur un monopole détenu conjointement par les experts-comptables et les comptables agréés, le dénominateur commun étant l'audit. La réflexion est menée dans le but d'une collaboration en termes de formations et de mise en place d'un système de passerelles», indique Zakaria Fahim. Toutefois, le représentant des fiduciaires regroupant les villes du nord du pays ne l'entend pas de cette oreille et lance un signal d'alarme. «Le risque de telles ouvertures serait la baisse du niveau des professionnels. Les critères posés par le projet de loi devraient être revisités». Personne ne connaît les véritables raisons du retard qu'enregistre ce texte. Néanmoins, à en croire ceux qui gravitent autour du milieu des experts-comptables, ils sont nombreux à remarquer que ces derniers forment un club fermé. Chiffres à l'appui, ils soulignent que depuis dix ans, le Maroc ne compte qu'entre 200 et 250 experts-comptables. Comparativement, dans un pays comme la Tunisie, ils dépassent 800 praticiens. Et ils sont près de 1.400 en Algérie ! L'Afinord, c'est quoi ? Abdellah Boukari, président de l'Afinord, confie : «notre association est la seule actuellement sur la place. Cette initiative est notre manière de nous démarquer des autres. En d'autres termes, nous avons établi notre propre code déontologique et notre propre discipline à travers la mise en place d'un conseil de discipline. Pour faire partie des nôtres, nous imposons un minimum de dix années d'expérience ou d'une justification d'un niveau bac+4. Nous avons également répertorié nos documents de travail. Par ailleurs, nous nous sommes penchés sur le volet relatif à la formation en organisant des séminaires et des ateliers de travail. Par ailleurs, je tiens à préciser que notre association continuera d'exister même après la promulgation de la loi».