Sous pression du FMI, le Maroc s'apprête à accélérer la flexibilisation de son régime de change, une réforme aussi ambitieuse que risquée. Entre prudence affichée et volonté affirmée, Rabat avance à pas comptés pour éviter le piège d'une transition brutale, à l'image des scénarios égyptien, turc ou argentin. Un calendrier et un cap pour une transition progressive Face à la pression du FMI, la banque centrale marocaine avance que la réforme de flexibilisation du régime de change est chronophage. Le gouverneur de la banque centrale, Abdellatif Jouahri, a évoqué un délai minimal de 9 ans pour mener ce chantier complexe et crucial pour l'économie marocaine. La flottaison du MAD permettrait d'accentuer la résilience de l'économie nationale face aux chocs exogènes, et reflèterait la valorisation réelle de la devise marocaine traduisant les volumes d'échanges à l'achat comme à la vente. Lire aussi | Menaces de l'intelligence artificielle : la fascination et l'inquiétude [Par Charaf Louhmadi] A contrario, une devise flottante est assujettie au risque de change de manière multidimensionnelle, par exemple dans les échéanciers de remboursement de la dette extérieure en devise. Rappelons que le Maroc vient de lever en février dernier plus de 2 milliards d'euros (sur deux ténors le 4 ans et le 10 ans). La flexibilisation du régime de change a été conjointement initiée en 2018 par le ministère des finances et Bank-Al Maghrib avec un intervalle de flottaison à +/-2,5%, puis élargie en 2020 à un intervalle plus large (+/-5%). La partie non flottante du MAD est un panier composé des poids approximatifs suivants : * 60% EUR * 40% USD Cette composition explique la corrélation de la paire EUR/MAD à EUR/USD et par ricochet la dépréciation récente du MAD face à l'EUR faisant suite à l'affaiblissement de l'USD face à l'EUR. Ceci résulte essentiellement des séries de réformes et de la hausse des tarifs douaniers actée par l'administration Trump. Depuis l'avènement de la crise covid et face au caractère incertain de l'économie mondiale, la réforme a été temporairement suspendue, mais devrait a priori reprendre dans les mois et années à venir. Le ministère de l'économie et des finances et la banque centrale marocaine ont affirmé que le Royaume est prêt à alléger l'arrimage du dirham au dollar et à l'euro dès 2026, c'est ce qu'a déclaré Nadia Fettah, ministre de l'économie, en avril dernier au média Sky News et Abdellatif Jouahri à Bloomberg. Petites et moyennes entreprises : Talon d'Achille ralentissant la réforme Parmi les arguments avancés par BAM pour se donner le temps d'une flottaison graduelle du MAD ; la non-préparation des très petites, petites et moyennes entreprises aux conséquences économiques de cette réforme. Le wali de la Bank-Al Maghrib entend opérer une sensibilisation régionale auprès de ces acteurs de terrain que sont les TPME et ce en partenariat avec l'Office des changes. Lire aussi | Baisse du taux directeur à 2,25% dans un contexte économique incertain [Par Charaf Louhmadi] Sont particulièrement concernées les TPME qui traitent sur les marchés internationaux, par exemple celles qui importent des marchandises seront assujetties à une volatilité plus accrue que celle que connaît le MAD aujourd'hui. A l'échelle des ménages et particulièrement les classes moyennes, en cas de dévaluation du dirham, les déplacements à l'étranger risqueront de coûter plus chers du fait d'une dévaluation probable de la monnaie. Tirer les leçons de la dévaluation spectaculaire de la livre égyptienne Tout le monde a en tête la psychose du scénario égyptien, où en l'espace d'une matinée, en novembre 2016, la livre égyptienne s'est effondrée de plus de 40%. Le FMI avait conclu un deal qui contenait entre autres un l'octroi d'un prêt de 12 milliards de dollars pour soutenir l'économie égyptienne post flexibilisation de son régime de change. A Noter toutefois que le Maroc dispose d'un contexte macroéconomique plus favorable que son partenaire égyptien pré-flottaison, où l'inflation sévissait à plus de 23%. A noter enfin que le déficit commercial du Maroc est de 304,47 milliards de dirhams, donc une dévaluation du MAD renchérirait les importations, ce qui génèrerait ipso facto de l'inflation supplémentaire et provoquerait potentiellement une perte du pouvoir d'achat. Argentine, Russie, Turquie et Nigeria : Les conséquences dangereuses d'une transition forcée vers un régime flottant en contexte de crise Outre l'exemple égyptien, d'autres économies émergentes ont subi des dévaluations importantes post-flottaison de leur régime de change. L'Argentine en 2002, La Russie en 1998, La Turquie en 2001 ou encore le Nigeria en 2016. Toutefois, ces flexibilisations ont été déclenchées suite à de graves crises économiques ayant entraîné l'épuisement des réserves de change. Le point commun de ces réformes est qu'elles ont été déclenchées en période de crise : En Argentine, la fin du peso-dollar ou « currency board » (entre 1991 et 2001, l'Etat Argentin calquait le peso sur le dollar américain, soit 1 peso = 1 dollar) , a eu comme conséquence une baisse intensive du peso et une hyperinflation durable. Cela a entraîné également l'appauvrissement de la population. Lire aussi | Economie de l'espace : entre enjeux clés et menaces [Par Charaf Louhmadi] La Russie, frappée de plein fouet par la crise asiatique, la baisse du prix du pétrole et une mauvaise gestion des finances publiques entraînant des déséquilibres budgétaires, a acté la flottaison du rouble (qui était semi-fixe avant 1998). Par conséquent, le rouble a perdu plus de 70% de sa valeur en l'espace de quelques semaines, entraînant des faillites en cascade, de l'inflation et par ricochet une crise sociale. En Turquie, le gouvernement a acté en février 2001 la libéralisation du taux de change suite à une grave crise bancaire. Cela a entraîné une baisse quasi-immédiate de 50% de la valeur de la livre. Entre 2014 et 2015, la chute du prix du pétrole presse les réserves de change du Nigeria. La banque centrale décide alors de faire flotter le naira en juin 2016. Cela a comme conséquence une dévaluation immédiate de plus de 40% de la monnaie et provoque une amplification de l'inflation et des crises sociales. Ces cas d'études montrent les risques liés à une transition forcée vers un régime de change flottant en période de crise et de vulnérabilité économique.