À l'heure où les algorithmes prétendent devancer nos désirs, le marketing prédictif redéfinit la manière dont les marques interagissent avec nous. Mais cette prouesse technologique soulève une autre question : jusqu'où peut-on deviner sans déposséder ? Par Fatimazahra RAIS* Il y a quelque chose de fascinant dans cette capacité à prévoir les désirs d'un individu avant même qu'il les formule. Le marketing prédictif ne se contente plus d'écouter le client ; il prétend maintenant le devancer. À force d'analyser, de croiser, de modéliser, il devient un outil d'anticipation si performant qu'il semble parfois effacer la frontière entre choix personnel et suggestion algorithmique. Mais faut-il s'en réjouir... ou s'en inquiéter ? Le terme "prédictif" fait rêver les marketeurs. Il évoque le contrôle, la précision, la maîtrise du futur. Derrière cette idée, une promesse : mieux comprendre les clients, adapter l'offre, affiner la stratégie. Tout cela grâce aux données, aux algorithmes, à la puissance du machine learning. Mais soyons honnêtes : le marketing prédictif ne lit pas dans nos pensées. Il extrapole à partir de traces numériques. Il calcule des probabilités. Il catégorise, filtre, segmente. Autrement dit : il réduit. Et c'est là que le bât blesse. Car prédire, c'est simplifier. C'est enfermer des comportements complexes dans des logiques de répétition. Or, le consommateur n'est pas qu'un ensemble de clics ou de paniers validés. Il hésite, il change d'avis, il agit à contre-courant. Et surtout, il n'aime pas être deviné trop vite. Certes, les outils prédictifs améliorent l'efficacité commerciale. Ils réduisent le gaspillage marketing, affinent le ciblage, évitent les messages inutiles. Pour l'entreprise, c'est un gain réel. Mais pour le client ? Est-ce toujours un bénéfice d'être prédit ? D'être approché avant même d'avoir levé la main ? On parle ici d'un basculement du pouvoir de décision. Ce n'est plus l'individu qui formule un besoin. C'est l'algorithme qui l'anticipe, le modélise, puis le pousse....parfois avec insistance. Et cela crée une illusion de choix. Car si toutes les suggestions qui m'atteignent sont issues du même système prédictif, suis-je encore libre de désirer autre chose ? L'autre dérive, plus insidieuse, c'est la tentation de la prédiction sans compréhension. Il est plus facile de faire tourner des modèles que d'interroger leurs fondements. Plus rentable d'optimiser un taux de clic que de questionner les motivations profondes d'un client. Mais un marketing qui se contente de corréler sans comprendre finit par s'automatiser. Il perd sa capacité à innover, à surprendre, à provoquer la curiosité. À force de tout prédire, on finit par ne plus rien apprendre. Il ne s'agit pas de rejeter le marketing prédictif. Il a sa place, son utilité, son efficacité. Mais il ne doit pas devenir une fin en soi. Ce que les entreprises devraient viser, ce n'est pas seulement la capacité de devancer les comportements, mais la volonté de respecter leur complexité. L'anticipation ne doit pas conduire à l'infantilisation. La personnalisation ne doit pas glisser vers la standardisation déguisée. Et l'efficacité ne doit pas prendre le pas sur la valeur de la relation. Peut-être faut-il réapprendre à laisser de l'espace. Laisser le consommateur explorer, s'étonner, sortir du cadre. Car c'est dans l'imprévisible que naissent les vrais attachements. Un marketing trop prédictif risque de devenir... prévisible. *Fatimazahra RAIS Professeure Chercheure en Marketing-ISGA Fès Edvantis Higher Education Group