C'est dans la grande salle des ambassadeurs du Palais des congrès de Marrakech que le légendaire acteur américain Harvey Keitel a rencontré les professionnels du cinéma, presse, et public, ce lundi 2 décembre, au titre de la 18e édition du festival international du film de Marrakech (FIFM). Dans le cadre de la section « Conversation With » du FIFM, Harvey Keitel s'est confié avec spontanéité au public présent en parlant de ses débuts dans le cinéma, où il revient notamment sur sa première rencontre avec son ami, mais aussi le réalisateur avec qui il s'est lancé dans le cinéma, le Grand Martin Scorsese, en 1967 à New York, lors d'une audition du premier long-métrage du cinéaste Italien « Who's that Knocking » (qui frappe à ma porte). Photo: Mounir Mehimdate « C'était un étudiant à la New York University et moi j'étais un jeune premier qui voulait être acteur. J'étudiais le cinéma à New York, et je vendais des chausseurs à l'époque. C'était un petit boulot à mi-temps que je faisais le soir et lui il faisait de la publicité pour son premier film. C'était un film en studio. Et il avait des auditions pour des rôles. Le film s'appelait Who's that Knocking. Et c'était un tournage pendant les week-end et pendant tout l'hiver. Il y avait beaucoup d'acteurs qui étaient venus passer les auditions. J'étais vraiment impressionné parce qu'il n'y avait pas d'argent, il n'y avait pas de budget, personne n'était vraiment payé, mais tout le monde voulait gagner une expérience, et on était un sacré paquet », raconte l'acteur fétiche de Scorsese. « Mon tour est arrivé, poursuit Harvey Keitle, et l'assistant de Martin Scorsese me dit de descendre le corridor. C'était sombre, il y avait une petite lumière au bout du tunnel, et j'ai pénétré dans la pièce, et il y avait un type qui était assis derrière un bureau. Il y avait une petite lumière sur le bureau comme si c'était un interrogatoire dans un bureau de police. Bon, j'avais l'habitude de ça évidemment. Et ce type me dit « asseyez-vous ! ». Je n'avais jamais rencontré ce type avant et il me dit assieds toi. Et je lui dis excusez-moi vous êtes qui ? je vous ai dit de vous asseoir. Je lui dis bon excusez-moi Mr. mais je suis un peu curieux, je veux savoir qui vous êtes ! Je vous l'ai dit asseyez-vous ! Et moi je dis allez-vous faire f….., et il se lève, il me regarde, et au fait il me le dit encore une fois, et on était un petit peu en confrontation, parce que tout était sombre (...) ». Photo: Mounir Mehimdate Harvey Keitle puise encore dans sa mémoire avec nostalgie: « Et j'entends une voix qui hurle depuis le fond de la salle, et c'était vraiment en pleine obscurité, et Martin Scorsese descend les escaliers et me dit : non non, c'est un acteur, c'est une audition. Parce que j'allais lui mettre le point dans la gueule (rire). Et après je lui dis Martin venez- ici. Quand vous faites des impros comme ça avec un acteur, ça pourrait être intéressant de lui dire avant, peut-être, que c'est une impro. Voilà, c'était tout le génie de Martin Scorsese ». Et depuis, les deux légendes du cinéma américain ne se quittent pas et deviennent amis et collaborateurs jusqu'au jour d'aujourd'hui. Ils travaillent ensemble dans plusieurs films notamment « Who's That knocking ? » en 1967, « Street Scenes » en 1970, « Mean Streets » en 1973 ou encore « Taxi Driver » en 1976 avec le fameux Robert Dineiro. Après une sacrée carrière, l'acteur américain et le cinéaste italien collaborent à nouveau pour « The Irishman », sorti le 25 novembre 2019, et diffusé ce soir au Palais des congrès à l'occasion de la 18e édition du FIFM. Malgré le fait que Harvey Keitel y joue un petit rôle, il est stratégique. Comment ne pas faire appel à son ami et acteur préféré au côté de De Niro, Al Pacino?. D'ailleurs, selon Harvey Keitel, il était probablement, « l'un des personnages, ou en tout cas l'un des acteurs, qui n'a pas été très médiatisé et annoncé dans le film ». « Mais c'est toujours un plaisir de travailler avec d'anciens amis tels que Robert De Niro qui était mon collègue depuis longtemps » souligne-t-il. En effet, « The Irishman » était pour Harvey Keitel l'occasion de retrouver d'anciens amis. « Vous savez, je suis tout le temps avec Robert De Niro. Ce sont mes amis. Dans The Irishman, en tout cas, c'était important pour moi de faire partie de ce film. Le fait que nous avons eu Robert et moi une scène ensemble, elle a été très bien rédigée et nous avons vraiment apprécié la tourner et on s'est vraiment beaucoup amusé dans cette scène », raconte-t-il. Pour revenir sur sa relation avec Martin Scorses, Keitel raconte qu'il« savait qu'il était (Scorsese) un peu stupide à l'époque (rire)» poursuivant «vous savez, Martin était extraordinaire. On est devenu les meilleurs amis. On avait des relations pratiquement familiales, il venait d'Italie moi je venais de Brooklyn, mais on avait tellement de points communs. On est vraiment devenu des amis très très proche pratiquement instantanément », se confie Harvey Keitel. Dans la section « Conversation With» du FIFM, l'acteur n'a pas manqué de revenir sur ses débuts. Il a abordé ses études à New York et tous les gens incroyables qu'il a rencontrés, notamment «des petites et petits acteurs à Broadway, des gens extraordinaires, ces jeunes qui venaient de tous les Etats américains pour devenir acteurs à New York, et c'était une période très exaltante » se remémore-t-il. Photo: Mounir Mehimdate A l'âge de 17 ans, Harvey Keitel a intégré les Marines pour une période de 3 ans, qu'il décrit de « sacrée expérience ». Toutefois, son retour à Brooklyn était malheureux. « Quand je suis revenu j'étais malheureux. J'étais quelqu'un d'assez déprimé quand je traînais dans New York. J'étais dactylographe et j'étais malheureux. Et un jour un type avec qui je travaillais m'a dit si j'avais envie d'aller voir des cours de cinéma». Et c'est là où Harvey Keitle rencontre l'acteur Anthony Mannino et apprend une leçon qui lui servira toute sa vie. « Je suis parti avec mon collègue et on a rencontré Anthony. Et la leçon que j'ai reçue était une leçon de jeu d'acteur que je n'ai jamais oubliée. J'avais une vingtaine d'années, et il m'a dit tu vois là, ces cintres accrochés. Il m'a dit va les compter. Je ne savais pas quoi dire, j'étais de Brooklyn, j'ai passé 3 ans dans les marines et ce type me demande d'aller compter des cintres (rire). Et je me suis dit, qu'est-ce que je fais là ! Et donc je suis allé, il y avait peut-être 50 cintres. J'ai compté un peu tous les cintres. Et je me suis retourné vers lui et il m'a demandé est-ce que je les ai tous comptés. Je lui ai dit oui. Il m'a dit ils sont combien ? Je dis … ben 30. Il me dit tu es sûr ? Je réponds non ! Et il m'a dit retourne et compte les à nouveau un par un, parce que devenir acteur c'est avoir un but et faire les choses avec sincérité et avec vérité », raconte l'acteur américain avec nostalgie. Une leçon que Harvey Keitle se rappelle toujours et la prodigue aux futurs acteurs et actrices qui demandent conseil auprès de lui. « Ça c'était une bonne leçon, c'est la leçon que je donne encore aujourd'hui quand je parle avec des jeunes acteurs. Il faut avoir un but et il faut le faire avec sincérité », conclut-il.