Après les Etats-Unis d'Amérique, l'Espagne, les Pays-Bas, l'Allemagne, pour ne s'en tenir qu'aux grands Etats occidentaux, voici le Royaume-Uni, dernier en date à reconnaître la viabilité du plan marocain sur le Sahara, et donc la marocanité des Provinces du Sud. Nouveau coup de maestria diplomatique pour Rabat. Echec et mat pour Alger et sa pseudo-politique du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Mais la reconnaissance britannique est-elle si surprenante que cela au vu du passé commun des deux plus anciens Royaumes de la planète ? Petite radioscopie historique. D'aucuns touristes, ayant arpenté les venelles étroites et chaulées de la kasbah tangéroise, a pu admirer les canons fiers et robustes, dépassant noblement les murailles crénelées et pointant sans sourciller vers un adversaire potentiel surgissant des flots azurés du Détroit de Gibraltar. Précisément. Ce sont des canons Armstrong, de fabrication britannique, acquis par le Sultan Moulay Hassan ben Mohammed en 1880. Ce ne sont pas les premiers canons anglais vendus ou offerts au Maroc. Il y a un précédent. Celui du don d'une trentaine de canons par le Roi d'Angleterre Georges III au Sultan Moulay Mohammed ben Abdallah en guise d'amitié et de reconnaissance pour l'aide octroyés à des naufragés anglais. Mais n'allons pas vite en besogne. Cela montre, en tous les cas, à quel point, les relations entre l'Empire chérifien et l'United Kingdom ont été au beau fixe durant des siècles. Assurément il ne faut pas s'arrêter au XIXe siècle mais remonter bien plus loin, en l'occurrence au XIIIe siècle de l'ère chrétienne. Quand un Calife almohade snobe un Roi d'Angleterre! C'est l'écrivain et journaliste Ronald Bailey qui, dans un article intitulé « Anglo-Moroccan relations to 1900: a short history », publié en 1991, documente le tout premier contact entre un souverain marocain et un roi anglais. Celui-ci se déroule vers 1210. King John (1166-1216), également connu pour son hétéronyme de Jean sans terre, est dans une très mauvaise posture. Non seulement a-t-il perdu son duché d'Aquitaine conquis par le Roi Philippe du Royaume de France mais, pour couronner le tout, il vient d'être excommunié. L'excommunions n'est pas du tout anodine dans le Moyen-Âge occidental. Prononcée par le Pape, elle revient à bannir un chrétien de la communauté des chrétiens. La sentence papale n'était donc pas du tout prise à la légère. C'est peu dire que le roi Jean est plus qu'acculé de toute part. Seule issue pour lui est de regarder du côté du Maghreb al-Aksa où les Almohades ont le vent en poupe. C'est ainsi qu'il fait parvenir des émissaires au calife Mohammed ibn Yacoub al-Nasir (1199-1213), son contemporain et quatrième calife almohade, pour lui demander, en termes contemporains, un asile politique. En échange celui-ci promettait de se convertir à l'islam et de mettre ce qui restait de son royaume sous l'égide des Almohades. Ce fut, de la part du calife almohade, une fin de non-recevoir. Ahmed et Elizabeth, deux souverains, la main dans la main Voyageons maintenant à travers les siècles, et immobilisons le chronographe au siècle des Saadiens. Et de fait, le XVIe siècles sera très propice aux relations diplomatiques entre Fès et Londres mais également prospère en échanges commerciaux. Détaillons tout ceci de plus près. Face aux assauts incessants des Ibères, l'Empire chérifien avait un besoin impérieux en armes que seul l'Angleterre pouvait lui procurer en grand nombre. Et, jusqu'à un certain degré, Londres va répondre présent. « L'expansion marocaine vers le sud s'accentua sous Ahmed el-Mansour (...) il avait repris le Touat aux Turcs (1583) et avait même lancé un raid jusqu'aux rives du Sénégal. A petits canons et des mousquets achetés aux Anglais contribué à ses succès (...) Pour utiliser les armes à feu, il avait fait appel à des mercenaires chrétiens encadrés par des renégats et des morisques expulsés d'Andalousie qui lui était dévoué (...). Dépourvu d'une flotte suffisante, il avait demandé à la reine Elizabeth Ier de lui prêter des navires pour prévenir tout retour du Portugal (...) Mais pour les Anglais, la mer devait rester anglaise au pire européenne (...) Devant le refus anglais, El-Mansour avait dû se résoudre à se tourner vers les sables sahariens », commente le journaliste Bernard Nantet dans son livre Le Sahara, histoire, guerres et conquêtes, (Taillandier, 2013). Autre facette de cette collaboration anglo-marocaine. Le négoce. Pour sceller ce partenariat économique, le sultan Ahmed el-Mansour le doré va dépêcher en 1588 son ambassadeur Rais Merzouk Ahmed Benkacem auprès de Queen Elizabeth. Cela va, sans doute aucun, booster le commerce entre les deux Royaumes avec la création, dans la tradition commerciale anglaise, d'une compagnie, la Barbary Company. Elle aura le monopole du négoce avec le Maroc. Finalement, les deux Royaumes y trouvaient leur compte. L'ennemi de mon ami étant mon ennemi, ni Ahmed le Doré, ni la Reine Elizabeth ne tenaient les Portugais et les Espagnols en haute estime. Ce faisant, la disparition des deux monarques plongeront les relations anglo-marocaines dans l'incertitude. Le XVIIe siècle sera notamment marqué par la prise de Tanger qui devient possession anglaise entre 1661 et 1684. La course salésienne fera également beaucoup de torts aux relations entre les deux pays. Des traités de paix et d'amitié à la pelle! Qu'à cela ne tienne. Avec l'avènement de la dynastie alaouite, une nouvelle aube se lève. En 1638, un traité de commerce est ratifié entre les deux monarchies. Vingt et un articles garantissent la liberté de commerce mais également, élément avant-gardiste, la liberté religieuse, en d'autres termes, l'islam pour les Marocains en terre anglaise, le christianisme pour les Anglais en terre chérifienne. Pour sceller cette nouvelle alliance, le sultan Mohammed ech-Cheikh envoie son ambassadeur Jaoudar Ben Abdellah qui sera reçu dans la capitale londonienne avec tous les égards d'un homme d'Etat. Autre ambassadeur, Mohammed ben Haddou. Mandaté par le Sultan Moulay Ismaïl ben Cherif, il connaîtra son heure de gloire en Angleterre lorsqu'il sera nommé membre honoraire à la prestigieuse Royal Society de Londres. Une première. Autre traité anglo-marocain avec pignon sur rue. Celui de 1721 entre Moulay Ismaïl et le roi George II . Dans la foulée un autre traité sera signé dix-neuf ans plus tard venant renforcer le premier. C'est que Londres voyait dans l'Empire chérifien, une base arrière de ravitaillement en produits frais pour sa garnison de Gibraltar, ce rocher au sud-ouest de la Péninsule ibérique qu'elle venait d'annexer en 1703. Au demeurant, les fameux tujjars du roi ne vont-ils pas faire du rocher de Tariq, une plaque tournante du commerce chérifien et l'arrière-boutique du Maroc ? Quoi qu'il en soit et tout le long du XVIIIe siècle, ce partenariat se renforce avec un point d'orgue durant les guerres napoléoniennes où le Sultan Moulay Slimane ben Mohammed n'a pas, à l'instar évidemment de la Grande-Bretagne, beaucoup de considération pour les visées impérialistes de Napoléon Bonaparte. Londres, garante indirecte de la souveraineté de l'Empire chérifien C'est certainement au XIXe siècle que les relations entre Londres et Fès vont atteindre leur acmé. 1856 est une date clé. Celle du traité anglo-marocain sur le commerce et la navigation. Nonobstant loin d'être avantageux pour l'Empire chérifien, il sera in fine un véritable boulet pour notre pays. A vrai dire, il va désagréger le Maroc traditionnel comme le met en exergue l'historien Jean Ganiage dans son opus Histoire contemporaine du Maghreb, de 1830 à nos jours, (Fayard, 1994) : « Le traité de commerce de 1856 devait-il apparaître, comme l'un des éléments les plus actifs de la dissolution de l'ancien Maroc » ». Cela n'empêcha pas bien sûr l'intensification des échanges commerciaux entre le Maroc et le Royaume-Uni mais à l'avantage de ce dernier. Il n'en demeure pas moins que Londres freinera des quatre fers les ambitions de la France en 1844, après la bataille d'Isly, et l'Espagne en 1860 après la guerre de Tétouan, de mettre main basse sur l'Empire chérifien. Un homme sans doute, diplomate chevronné, John Drummond Hay à qui reviendra la mérite d'avoir négocié des clauses favorables pour l'Empire chérifien qu'il voulait voir souverain. « Moulay Hassan va être pendant une dizaine d'années soutenu des conseils et de l'influence de Drummond Hay », mentionne l'historien Jean-Louis Miège dans le tome III de sa monumentale thèse publiée le Maroc et l'Europe (1882-1906), Les difficultés, (La Porte,1962). C'est sous l'égide de Drummond-Hay, grand ami et conseiller attentif du Sultan Moulay Hassan ben Mohammed, que ce dernier introduit des réformes structurelles dans l'armée chérifienne. Le Caïd Mac Lean est bien ancré dans la mémoire collective marocaine pour être le premier officier écossais à entrer en 1877 au service de Moulay Hassan. L'installation du Protectorat va mettre en sourdine les relations politiques entre les deux Royaumes. Avec l'indépendance, le momentum va reprendre entre Londres et Rabat. Deux temps fort, celle de la visite de la reine Elizabeth II dans le Royaume chérifien en 1982, et celle de feu le roi Hassan II en Angleterre, cinq ans plus tard. Ces dernières décennies, les relations bilatérales n'ont cesse de se renforcer et de prendre un nouvel élan, et cela dans tous les domaines de la vie pratique. Dernier en date, la reconnaissance de la marocanité du Sahara par un Labour Party, traditionnellement réticent à se positionner dans ce dossier. C'est fait. Levons alors à cette amitié un bon verre de thé car ne l'oublions pas, une fois de plus, ce sont nos amis Anglais qui ont importé les premiers ballots de thé dans le Royaume chérifien. Tchin, tchin ! *Historien – Auteur – Enseignant