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PRISON CENTRALe DE KENITRA : Et si c'était vrai ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 24 - 07 - 2006

On dit que c'est une vieille histoire de jalousie et de haine entre deux amis qui a conduit Brahim au meurtre. Brahim, lui, dit que c'était quelqu'un d'autre qui a tué Saïd et sa femme, ce jour-là, chez eux. Quelqu'un qui lui ressemble, mais ce n'était pas lui. Il avoue en avoir longuement voulu à Saïd, un vieil ami qui avait tourné «la veste» et fermé «toutes les portes». Mais de là à l'assassiner, non «je suis incapable de faire une chose pareille». Pourtant, il y a des témoins qui l'ont vu ce jour-là entrer et sortir de la maison, prendre les escaliers et demander d'après Saïd. Hasard, coïncidence, folie passagère, manque de recul devant l'extrême ? Brahim reste vague et dit avoir été voir son «ami» ce jour-là, mais personne n'avait répondu. Mystère doublé d'un secret, le tout enveloppé dans une devinette. Pourquoi une visite à un «ami» à qui l'on en «voulait» depuis longtemps, et le jour de sa mort ? Et qui est cette autre, que Brahim dit avoir croisé dans les escaliers descendant de l'immeuble et qui, selon lui, «pourrait être l'assassin»? Quoi qu'il en soit, Brahim vit, aujourd'hui, avec la certitude, qu'un jour, quelqu'un, trouvera le vrai tueur. Comment ? Ceci, non plus, Brahim ne le sait pas. Mais il garde, comme il dit, la foi.
La prison apprend aux hommes des technicités d'adaptation qui défient toutes nos capacités, nous, vivant sous le soleil du seigneur, à passer d'un registre à un autre, d'un état d'esprit à son contraire, en gardant des acquis bien définis. D'abord : «je suis en prison pour toujours».
Une telle affirmation face à soi, change un homme de fond en comble. Ensuite : «je n'attends plus rien de la vie», là, il faut une bonne dose de sang-froid pour ne pas décider de la fin de tout en un geste brusque.
Enfin : «je préfère mourir», et il ne s'agit pas d'une boutade, un pied de nez fait au destin, une manière, toute héroïque, de sonder les véritables intentions du sort. Je suis tenté de dire que si les hommes peuvent prétendre à une quelconque velléité de vérité, c'est celle que leur octroie le miroir de la prison et de l'isolement.
Faire le vide
Le besoin d'évacuer l'emporte sur la pudeur et la retenue. C'est là la vérité suprême. On ne joue plus à l'anguille avec son propre être. On s'ouvre littéralement pour que les scories que l'on porte dans les tripes puissent respirer l'air frais de la vérité, la sienne, celle qui n'engage que soi dans les méandres des autres. Combien d'hommes ont éclaté en sanglots évoquant leurs souffrances et leurs peines alors que rien ne pouvait présager d'un tel laisser-aller ? Il y a l'instinct qui joue ici un rôle capital. Quand on mord la poussière, tout est bon pour se relever. Et s'il faut pleurer, crier, hurler à la mort, se cogner la tête contre les parois de l'inconscience pour trouver une issue, eh bien, on y va tête baissée. Quand on perd les repères, on se jette sans crier gare. C'est exactement ce que vit un naufragé qui s'accroche à son imagination qui peut lui jouer des tours. Il voit des cordes salvatrices partout et les mains livrent leur ballet inutile en attendant le creux des vagues. Passer à confesse pour échapper à soi. C'est une règle humaine. Dire et déballer pour sortir de soi. Stase et extase de la douleur. Brahim ne se fait plus d'illusion sur les vertus du silence. Il ne croit pas que l'on puisse retirer quoi que ce soit de substantiel de ce vide de soi face à ce que nous sommes. Chacun de nous, bien entendu, sait qui il est, ne serait-ce que par intermittence. Le jeu de miroir, les kaléidoscopes et les variations sur le thème de l'être sont des subterfuges importants, mais, par moments, nous sommes à nu. Brahim veut vivre à nu, au moins, le temps de dé couvrir pourquoi il ne va pas s'en sortir. Cet homme a eu, au début, ces sorties fracassantes. Une façon de dévoiler qui il était au monde qui l'entoure et un besoin de vider les compteurs. Depuis, il ne dit plus rien, il laisse le soin aux autres de raconter son ancienne histoire pourtant écrite par ses soins. Dans un sens, c'était voulu, instinctivement désiré pour se libérer de l'emprise de soi entre quatre murs, dans une cellule. L'être humain étant un volume, il faut, de temps à autre, alléger le poids cumulé pour pouvoir repartir de plus belle. Il faut dire aussi que l'effet escompté par le bonhomme a bien eu lieu. Traversant ses propres cercles de l'enfer, son ticket d'oubli réside dans le non-oubli de son passé. Il dit les choses avec cette aisance propre à ceux qui ont fait la paix avec une partie enfouie dans leur être, celle d'où la douleur fuse et porte des coups. Cet homme pourra un jour tourner la page. C'est certain, mais à quel prix ?
La vie, la vie
Brahim refuse ses fenêtres sur cours qui reviennent sur le passé. Le deal entre nous est fixé. «Ne parlons pas d'hier. Je ne veux plus rien dire sur les miens, ma famille, mes parents, mes amis ou ce que je pensais être des amis. Ni l'enfance ni rien. Je suis aujourd'hui comme un homme qui a tout perdu et dont l'unique richesse demeure l'attente de demain. Et demain, c'est très improbable». Ce n'est pas du désespoir. Brahim est lucide. De cette nuance qui lui fait dire que choisir pour choisir dans un univers où tout nous est imposé (la prison), il vaut mieux se donner le privilège d'oublier ce que l'on veut et nous concentrer sur ce qui entretient le feu à demeure. Et ce n'est encore qu'un leurre de choix. «Aucun crime au monde ne peut être quantifiable au nombre d'instants que je passe ici à me creuser le cerveau pour comprendre quelque chose à ce qui m'arrive. Je n'ai aucune force de supporter ce destin ni de prétendre que je suis capable de faire face à ce qui m'attend encore demain, dans un an, dans dix ans jusqu'au jour où je vais crever comme un chien». Brahim a trouvé sa porte de sortie, au moins pour un temps : «je veux prouver que je suis innocent. Je n'ai pas tué, c'est un autre que j'ai croisé dans les escaliers et dont j'ai donné la description à la police. Pourtant, on ne m'a pas cru. Je sais. Mais un jour, crois-moi, je vais sortir d'ici». Ce ne sont pas des mots, jetés à la face de la perdition pour affirmer que, malgré tout, on a toujours du cran. Non, Brahim est convaincu qu'il se tirera de là, parce que quelqu'un se fera arrêter et avouera le crime, que lui, Brahin, dit n'avoir jamais commis.
Les dès sont jetés
«Je suis venu le voir. Cela faisait longtemps que nous étions en froid. Un vieux coup de gueule qui avait précipité notre amitié. J'avais beaucoup pensé avant d'aller le rencontrer. Pour moi, c'était simple : je voulais lui faire comprendre que j'étais là pour qu'on oublie le passé et que l'on recommence autrement. C'était du gâchis. Nous étions très proches, de bons amis, mais la vie, les aléas, les circonstances, la bêtise, croyez ce que vous voulez, oui la vie, nous a séparés. Je voulais faire ce pas». Brahim détaille ensuite comment il arrive dans le quartier, s'assure que c'est bien dans cet immeuble que vit son ancien ami. Il demande donc aux uns et autres. Il dit d'ailleurs que «quelqu'un qui vient pour tuer ne va pas voir plusieurs personnes dans le quartier pour qu'ils soient des témoins potentiels après pour le confondre». Bref, il trouve la porte, sonne, «personne ne répond». Il monte les escaliers, tape à la porte, là non plus «personne ne répond». Il insiste, attend un moment et se résout à l'idée que son ami et sa famille n'étaient pas là. «J'ai décidé de revenir le lendemain pour rencontrer mon ami. Et en descendant je me suis dit que c'était bizarre qu'il ne soit pas chez lui alors que des gens du quartier m'avaient dit qu'ils l'avaient vu rentrer chez lui. Je n'ai pas poussé plus loin le doute, et je suis parti». Brahim se souvient d'un détail qui le torture jusqu'à cet instant précis. Un homme qui descendait les escaliers au moment où lui les montait pour frapper à la porte de Saïd. Rien de particulier, mais, c'était intrigant, après coup, après l'arrestation et les accusations. «Je ne sais pas pourquoi, mais plus tard, seul dans ma cellule, avant la fin du procès, j'ai su, je ne sais pas comment, que c'était peut-être cet homme que j'ai rencontré dans les escaliers qui avait tué mon ami et sa femme».
Machinerie infernale
Les cercles de l'enfer se suivent et sont souvent interminables. Quand on met un pied dans la machinerie infernale, il est presque certain que la manœuvre, anodine au départ, ne peut déboucher sur rien d'autre qu'une succession de chutes plus dures les unes que les autres qui mènent leur homme dans un enfer infranchissable. Brahim est de ces hommes qui, un jour, ont déclenché l'engrenage, un réseau de circuits, de ferrailles de sens qui les ont broyés sans discontinuer. Lui s'en défend. Il n'a rien enclenché, aucune prise n'a été mise pour connecter son monde à une réalité qui le dépasse ou annihiler d'un coup celles des autres. On se rend très vite compte que ce bonhomme est, malgré tout, déboussolé, timide à tel point qu'on a du mal à supporter la rougeur de son visage qui semble ne plus savoir afficher aucune autre expression, que le désarroi d'un homme qui ne peut rien dire ni faire sans se sentir mal à l'aise, désemparé, cruellement là où il ne doit pas être. On se retrouve nez à nez avec un enfant qui est prêt à donner sa main au premier venu pour peu qu'il lui accorde un tant soit peu d'intérêt. Brahim dira au premier venu que ce n'était pas lui. Il n'avait aucune raison pour tuer son «ami». La police croit, elle, ce qu'elle note, les indices, les témoignages, les preuves, et aussi les intentions. Que faisait Brahim chez Saïd ce jour-là alors qu'il ne l'a pas vu depuis de longues années ? Question cruciale. Brahim plaidera la volonté de renouer avec «un ami que j'aimais beaucoup». Des personnes ont parlé et ont affirmé que Brahim avait demandé la bonne adresse, l'étage, et si «Saïd était chez lui». La suite de l'enquête révèle que Saïd était bel et bien chez lui avec sa femme. Il y a un homme qui franchit la porte et les tue. Comment ? On trouve un couple, un homme et une femme, allongés sur le sol. Le mari à l'entrée dans une mare de sang. Plusieurs coups de couteau. La femme dans la cuisine, même scénario. Personne n'a vu l'autre homme dont parle Brahim entrer ni sortir par la porte de l'immeuble. Mais Brahim sait ce qu'il a vu ce jour-là : «Je m'en fous de ce que les autres ont vu ou pas. Moi, j'ai rencontré un homme dans les escaliers. Il avait l'air normal. Je suis monté, j'ai frappé à la porte et je suis reparti parce que personne ne m'a répondu. C'est tout ce qui s'est passé là-bas. Et rien d'autre».
Mystère
De deux choses l'une -et c'est classique- où Brahim nous mène en bateau et à ce moment, il est un virtuose, un acteur hors pair. Ou la vérité est dans ce qu'il dit, et là, il a raison d'espérer, qu'un jour le miracle se produise. Encore faut-il qu'il y travaille à son miracle pour qu'il prenne corps dans la réalité de sa cellule dans le couloir de la mort. Un double meurtre, un homme, des témoins et une sentence. Celle-là c'est la version numéro 1 de la réalité de Brahim. La deuxième version est celle d'un visage, une silhouette, perdus dans la nature. Un espoir qu'un jour l'autre commette un autre crime et qu'il passe à table. Entre les deux versions, il y a la fin du monde, la renaissance avortée de chaque matin où il faut tisser les fils de l'attente. Brahim dit savoir, par intermittence, quel sentier suivre. Il sait aussi que la route est longue et qu'il devra la faire seul, avec les démons du passé pour uniques compagnons de cellule, même s'il refuse de jeter cet oeil furtif par-dessus l'épaule pour juguler la crainte d'hier. Il sait que le salut ne sera pas pour demain ni pour après-demain. Il sait qu'il lui faudra expier, souffrir, toucher la mort du doigt et de l'œil avant de pouvoir regarder son image de l'intérieur sans tressaillir. Le pourra-t-il un jour, ce face-à-face avec ses propres horreurs ? Je ne veux pas m'avancer à la place d'un homme dont la vie m'échappe de bout en bout, mais une impression, une pensée secrète et lointaine, me dit que Brahim trouvera, au fond du trou, une brindille pour creuser une brèche vers un peu d'air.


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