Restructuration du champ religieux Trois fondements pour une restructuration. Tournant décisif dans la conception et la gestion du champ religieux, le discours royal prononcé à Casablanca, vendredi 30 avril dernier, a posé les trois jalons incontournables pour toute “stratégie intégrée, globale et multidimentionnelle” dans le champ du sacré. A savoir : fondement institutionnel, encadrement efficace et enfin une éducation islamique saine. Il est des signes qui ne trompent pas. Vendredi 30 avril dernier, S.M. Le Roi a présidé la cérémonie de la nomination des membres du haut Conseil des Oulémas, les présidents des Conseils locaux des Oulémas. Plus de 220 alems dont, pour la première fois dans l'Histoire du pays, on trouve des alimates et fakihates. Tout un symbole. Mais et surtout, ce à quoi nous assistons aujourd'hui est une refonte en profondeur du champ de la “gouvernance spirituelle du pays”. Vu la prépondérance, et donc la centralité de la chose religieuse, elle véhicule, structure et focalise les enjeux les plus divers. Parfois, paradoxaux. A la veille du premier anniversaire des attentats meurtriers du 16 mai 2003 à Casablanca, il serait toujours très opportun de rappeler les fondements pluriséculaires du Maroc. Le Souverain a de ce fait rappelé que “la question religieuse exige que l'on s'attache au référentiel historique unique qui est le nôtre, à savoir le rite malékite sunnite sur lequel s'est construite l'unanimité de cette nation”. L'unité du rite est l'aboutissement d'un long processus historico-religieux qui a forgé l'identité du pays. Le rappeler, après des siècles, est à même de mettre les pendules à l'heure… actuelle qui, partout dans le monde, évolue au rythme de l'amalgame. Seule victime, bien évidemment, l'Islam. D'où l'impérieuse nécessité “de contribuer à redresser l'image de l'Islam”. Passage obligé : revoir le rôle des Oulémas, redéfinir la fonction des institutions religieuses, et enfin élargir la portée du “contrat social religieux”, accorder la place, qui a toujours été sienne dans la tradition marocaine, à la femme alima et fakiha. Ce qui, dans la nouvelle stratégie royale, génère une construction intellectuelle et spirituelle basée sur trois fondements. Les institutions, au premier lieu. Institution A cet égard, “le fondement institutionnel repose essentiellement sur la structuration du ministère des Habous et des Affaires islamiques”. Le Souverain a, également, annoncé la promulgation du “Dahir portant création d'une direction de l'Enseignement originel et d'une autre chargée des mosquées”. Attendu depuis octobre 2003, date de la présentation au Conseil du gouvernement, du plan de réforme du département par Ahmed Taoufik, le dahir définit la mouture finale de la réforme institutionnelle. La tâche de la direction des mosquées dans l'organigramme actuel du ministère consiste à assurer l'encadrement des mosquées, la supervision de leur construction et autres entretien et restauration. L'autre aspect, au demeurant, au centre du débat dans l'après-16 mai, a trait à l'inviolabilité des mosquées. En d'autres termes, la nouvelle direction aura pour mission de parer aux usages obscurantistes et politiques. On s'en souvient encore : le lendemain des attentats terroristes, les Marocains ont découvert que le 1/3 des mosquées étaient hors-contrôle. Pis encore, la construction des mosquées dans l'opacité et le flou ont donné lieu à des collectes informelles de fonds qui ont servi à d'autres fins que le mécénat spirituel. L'enseignement traditionnel, longuement ignoré, aura désormais sa propre direction au sein des Habous. Objectif final, somme toute très souhaitable, la réinsertion des établissements traditionnels dans le cursus normal de l'enseignement général. Via “des passerelles et des programmes de formation” qui permettent l'intégration des “effectifs issus de ces écoles dans le système éducatif national qui, au lieu de former des esprits obtus et sclérosés, favoriseront au contraire l'ouverture sur les autres cultures”. Souvent en rupture de ban, les lauréats de l'enseignement originel se sont trouvés dans une précarité socio-spirituelle qui, bien manipulée par les partisans du wahhabisme, a fait d'eux des proies faciles. L'intégration de ces effectifs participe de ce “contrat socio-spirituel” susmentionné. Par ailleurs, taxé de centralisme rigide, le ministère des Habous a toujours eu mal à “ses prolongements territoriaux”. Au mieux, “carence majeure”, au pire : motif d'inertie, ces prolongements sont en passe de devenir “les chevilles ouvrières” de la nouvelle dynamique. Dans cet ordre de perspective, le Souverain a ordonné “la nomination de délégués régionaux du ministère appelés à assurer sur le terrain une gestion moderne des affaires islamiques”. 16 délégués ont été de ce fait désignés, dont les profils donnent déjà le ton de ce que seront les Habous de demain. Deux exemples parmi d'autres. Al Kansoussi Jaâfar, délégué régional de la région de Marrakech-Al Haouz. Agé de 42 ans, ce natif de Marrakech a eu son baccalauréat en sciences expérimentales en 1980. Puis, licencié en mécanique à Paris, il s'est converti au monde de l'édition et de l'écriture. Ecrivain, Jaâfar Al Kansoussi est aussi expert en matière de patrimoine des anciennes villes islamiques. Lamrabet Mohamed, délégué de la région de Tanger-Tétouan, est quant à lui, un fakih hors-norme. Connu pour ses démêlés avec l'ancien ministre Alaoui M'daghri, il a toujours été l'opposant farouche du Wahhabisme. Ses chroniques dans Al Ahdat Al Maghribia ont toujours été acerbes à l'encontre des partisans de l'ancien ministre. Plus qu'une réhabilitation personnelle, sa nomination est un symbole. Ouléma “Aussi, avons-nous apposé notre sceau sur les dahirs de nomination des membres des Conseils des oulémas dans leur nouvelle “composition”, a annoncé le Souverain. Bien que le CSO soit créé en avril 1981, le nouveau dahir est une refonte, sinon une redéfinition radicale de sa fonction. D'abord sa constitution. Le dahir stipule que S.M. le Roi préside le Conseil supérieur des oulémas et “peut confier la présidence des sessions” du Conseil à “l'Autorité qu'il est en droit de désigner”. S.M. le Roi a tenu à signaler que le CSO aura “le soin de proposer, à l'occasion d'occurrences à implications religieuses, des fetwas” à S.M. le Roi en sa qualité d'Amir Al Mouminine. A ce propos le dahir détaille les missions du Conseil, en ces termes : “(le Conseil) a également pour missions de transmettre les demandes de fetwa (…) à l'autorité religieuse habilitée à le faire”. Pour ce faire, une commission des fetwas a été créée auprès du Conseil supérieur des oulémas (…). Elle est seule habilitée à émettre des fetwas à caractère public. Ces décrets religieux sont émis “à la demande du président du Conseil ou sur la base d'une demande soumise au Conseil par son secrétaire général”. La nouveauté ne se limite pas à la seule création de la commission, pour la première fois instaurée au sein de la gestion publique du religieux. Certes, elle fait “barrage aux expédients et autres prétextes fallacieux et de couper court aux fauteurs de discorde et de zizanie”, comme l'a signalé le Souverain lui-même. Mais, elle est aussi et surtout, la voie royale pour une exégèse collective, dépassionnée et sereine. Une approche qui a donné ses fruits lors de la réforme de la Moudawana. Pour ce qui est des Conseils locaux des Oulémas, trente au total (11 de plus que le précédent découpage), l'accent est mis sur “la gestion de proximité des affaires religieuses” et “l'écoute des citoyens, surtout les jeunes”. Le Souverain a également mis en garde contre le risque de voir “ces structures se réduire à des îlots désertés par les Oulémas non-membres”. Femmes On s'y attendait, et voilà que c'est fait. La femme, alima et fakiha, tient une place de choix dans cette restructuration. C'est la première fois qu'une femme, Fatima El Kebbaj en l'occurrence, siège au CSO. 35 autres alimates et fakihates font, quant à elles, partie des CLO. Le choix royal qui renoue avec la tradition d'ouverture et d'égalité, entre hommes et femmes, qui a toujours été une constante du pays, participe d'une vision aussi globale qu'audacieuse. Déjà pendant le Ramadan dernier, Rajae Naji a été la première femme à donner une causerie religieuse. Un signe qui n'est pas resté sans suite. Aussi, est-il que l'esprit royal vise à animer “une action pédagogique d'encadrement de la société” qui ne peut se faire sans la femme. Pédagogie, oui. Le Souverain en a fait dans ce discours historique, la clé de voûte. “Une éducation islamique saine et une formation scientifique moderne, -selon le Souverain- dans le cadre d'une école nationale supérieure”. Les études islamiques, instituées aux années 80, ont toujours été, ce n'est un secret pour personne, une courroie de transmission pour les courants wahhabites. Introduites pour des desseins purement politiciens, ces études, devenues avec le temps des creusets du radicalisme, ont toujours défendu des valeurs étrangères aux us et coutumes des pays. Une école à part, obéissant à ses propres “maîtres à penser”. Maintenant, c'est fini. Presque un quart de siècle après, le rôle et la fonction des composantes et acteurs de notre champ religieux changent de fond en comble. Adaptabilité oblige. Mais ouverture et progrès surtout.