L'UMA en crise Le report du sommet de l'UMA à Tripoli après les nouvelles provocations orchestrées par Bouteflika souligne la persistance du blocage central paralysant toute intégration maghrébine. Rappel du fait que la question du Sahara est aussi une affaire interne pour le pouvoir algérien miné par ses propres divisions et contradictions… De deux choses l'une. Ou le président algérien Abdelaziz Bouteflika a été de mauvaise foi déjà au moment de sa rencontre avec le roi du Maroc à Alger en mars dernier. Ou bien il a été rappelé à l'ordre par la haute hiérarchie militaire qui a exigé un durcissement de la position algérienne sur le Sahara à la ville du sommet de l'UMA qui devait se tenir à partir du 25 mai à Tripoli. Dans les deux cas, cette attitude ruineuse pour ce sommet a, de nouveau, jeté un froid sur les relations maroco-algériennes alors que des signes de "dégel" avaient semblé annoncer une possible évolution. Le jeu contradictoire et retors du pouvoir d'Alger est apparu particulièrement provocateur. L'insistance mise par Bouteflika à clamer son soutien et ses "promesses" au Polisario pour "l'indépendance du peuple sahraoui" avait quelque chose de surfait, d'exagéré comme s'il fallait saborder le sommet de l'UMA. Au Maroc on ne s'étonne plus de ces procédés du pouvoir algérien, ce sont les rares gestes d'ouverture qui ont pu parfois surprendre. De toute évidence, la tendance dure du pouvoir algérien continue d'avoir la haute main sur la question du Sahara qu'elle a toujours considéré comme son domaine réservé. Il ne faut jamais perdre de vue que cette question est aussi une affaire interne de premier ordre au sein de ce pouvoir. On peut seulement encore se demander si Bouteflika est resté un partisan de cette tendance dure par fidélité à ses origines boumédiénistes ou bien s'il n'arrive pas à convaincre le noyau militaire décideur d'une évolution de la position officielle. On se rappelle encore qu'au lendemain de sa première élection à la présidence, il avait été la cible de critiques acerbes, inspirées par la hiérarchie supérieure qui lui reprochait sa "mollesse" et le qualifiait de "président qui décide trop peu et trop tard" (cité par Florence Beaugé dans "le Monde" du 3 novembre 2001). Les velléités d'autonomie ou les réticences de Bouteflika étaient ainsi mises à mal. Avec sa deuxième élection en 2004, les attaques les plus acerbes ont à nouveau pris Bouteflika pour cible. Pour y répondre, celui-ci s'en est pris à la presse et, récemment encore, il a accusé les journalistes d'être "manipulés par des groupes d'intérêt politiques, économiques, financiers et criminels".A travers ces attaques plus ou moins explicites, on peut supposer que des luttes acerbes agitent encore le pouvoir algérien, "luttes d'intérêts" sans doute et contradictions qui obligent à préserver le statu quo entre les clans adverses. La question du Sahara a depuis longtemps servi d'alibi à la hiérarchie militaire pour conserver son hégémonie sur le pouvoir, l'économie, les ressources publiques (où les budgets militaires pèsent lourdement) et la société. Sous couvert d'un nationalisme qui s'est cristallisé dans une opposition et une rivalité à la limite de l'absurde avec le Maroc, le noyau dur du pouvoir d'Alger ne peut renoncer à cette attitude sans craindre de remettre en cause sa propre hégémonie intérieure. Contradictions internes La question du Sahara est, de ce fait, un moyen de surenchères entre clans du pouvoir, ce qui est sans doute à l'origine des poussées de tension intermittentes à l'encontre du Maroc. La nature intéressée et passionnelle de ces réactions en vase clos du pouvoir sont loin de refléter une opinion largement partagée au sein de la population algérienne. Celle-ci a été abreuvée par la référence au principe sacré de "lutte de libération nationale" qui est constitutive du nationalisme algérien. Pour exalter celui-ci, le pouvoir s'est longtemps servi du soutien à tous les mouvements de libération du monde, en comptant abusivement le Polisario parmi eux. La rhétorique nationaliste s'est essoufflée, le pouvoir est nu face à des générations et des régions qui crient leurs frustrations et leur révolte. Personne hors du pouvoir en Algérie ne fera la moindre objection à une évolution de la position sur le Sahara. Personne n'acceptera de voir l'Algérie s'enferrer dans un conflit avec le voisin marocain pour le Polisario. L'enfermement du pouvoir algérien dans sa logique de blocage est devenu de plus en plus irrationnel et injustifiable. Même aux yeux des partenaires européens et américains qui sont tout à fait conscients de la nature de ce différend essentiellement algéro-marocain. Sans l'alibi du Sahara, le pouvoir d'Alger ne sera plus confronté qu'à son propre peuple et l'ouverture des frontières avec le Maroc ne semble pas encore le rassurer de ce point de vue. En effet, bien des mythes et des affabulations entretenus par la propagande ne résisteront pas une journée à la liberté de circulation des personnes et des biens. Qu'en est-il de l'Union du Maghreb arabe dans un tel contexte ? La provocation orchestrée par Bouteflika –rejoint aux Affaires étrangères par un vieux routier de l'hostilité au Maroc, Mohamed Lebjaoui- semblait destinée à donner le coup de grâce à cette Union virtuelle. Proclamée en 1989, celle-ci n'a jamais pu prendre consistance, du fait de la paralysie engendrée par le conflit du Sahara. Jusqu'ici ce sigle n'a servi qu'à rendre encore plus notoires les dissensions entre ses membres. 'alibi du Sahara Outre le différend central sur le Sahara, l'UMA a aussi compté la grave mésentente entre la Libye et la Mauritanie. Le président Ould Tayaa avait, en effet, mis en cause Mouammar Kadhafi pour le soutien qu'il aurait accordé aux tentatives de putsh à Nouakchott. L'établissement de relations diplomatiques entre la Mauritanie et Israël a-t-il attisé l'hostilité déjà latente de Kadhafi à son égard ? On avait annoncé, cependant, une éclatante réconciliation entre les deux chefs d'Etat à l'occasion du sommet de l'UMA. Désormais, le froid semble aussi gagner les relations entre Alger et Tripoli, celle-ci ayant opté pour le report du sommet face à la montée des provocations algériennes comme celle consistant à vouloir inscrire la question du Sahara à son ordre du jour. Il n'est pas fortuit que des journaux algériens comme "El Watan", très proche des "durs" du pouvoir, aient pu évoquer après le report du sommet de l'UMA à Alger en 2002 que l'Union doit être enterrée et qu'il vaut mieux songer à une autre formule qui exclurait la Libye et la Mauritanie. De toute évidence, une Union où le pouvoir algérien ne peut s'assurer un rôle prépondérant ne présente pour lui aucun intérêt. Ceci d'autant plus que le cadre de cette union serait plus favorable à une solution "maghrébine" du conflit du Sahara qui, selon Alger, avantagerait le Maroc. L'UMA reste décidément introuvable du fait de l'obstination d'Alger à s'opposer à la seule solution équitable et équilibrée possible, celle de l'autonomie du Sahara dans le respect de la souveraineté marocaine. Plus que jamais le Maroc devra défendre cette voie auprès des Maghrébins comme de tous les partenaires à l'échelle internationale. Il devra aussi poursuivre les efforts en direction des forces politiques et de la société algériennes pour convaincre du caractère inéluctable de cette issue. A la verticalité, le plus souvent stérilisante, des pouvoirs doit pallier la transversalité des sociétés. Les "durs" d'Alger qui ne veulent pas encore lâcher prise sont guettés par l'usure et leurs jeux provocateurs appartiennent déjà à une autre époque.