La Banque africaine de développement (BAD) est formelle : le gaz de schistes – cette ressource hautement controversée du fait de son coût environnemental - «va sans doute constituer un enjeu de taille pour les pays africains qui en disposent». Dans un rapport publié en milieu de semaine dernière, l'institution financière panafricaine invite le continent au débat planétaire soulevé par l'exploitation de ce gaz dit non conventionnel. S'il fait aujourd'hui les beaux jours de la puissance énergétique américaine, en contribuant à plus du tiers de la production nationale de gaz, il est interdit dans plusieurs pays européens, où l'option fait face à de vives résistances des sensibilités écologiques – cette ressource pourrait bien trouver sa place dans l'avenir d'un continent en pleine dynamique de croissance et de plus en plus énergivore, l'Afrique, qui détient d'importants potentiels. «L'Afrique regroupe près de 15 % des réserves mondiales de gaz de schiste susceptibles d'être exploitables au plan commercial», indique-t-on dans le rapport de la BAD. Ces réserves, techniquement exploitables, dépasseraient ainsi, à ce jour, la barre du million de milliards de pieds cubes, pour des réserves totales estimées à près de 4.000.000 de milliards de pieds cubes. Ces chiffres sont des estimations de l'Advanced Resources International (ARI), la principale compagnie d'études et de consulting spécialisée dans cette ressource (Détails par pays à la page ci-contre). Le potentiel africain en gaz de schiste serait même de loin supérieur à celui dont dispose le continent en gaz naturel (ou gaz conventionnel). L'Afrique ne représenterait en effet que 7% dans les réserves mondiales en gaz conventionnel. La différence est facile à établir. «La comparaison entre les gisements techniquement exploitables de gaz de schiste et les réserves prouvées de gaz conventionnel en Afrique démontre l'importance que revêtira le gaz de schiste à l'avenir», expliquent les experts de la Banque panafricaine. Opportunités Face à ces perspectives, la BAD est certaine qu'un développement à grande échelle d'une production commerciale du gaz de schiste en Afrique entraînera des mutations profondes sous plusieurs aspects, pour le secteur de l'énergie en Afrique. La banque propose une cartographie des développements futurs qu'induirait une exploitation à grande échelle du gaz de schiste dans le continent. Elle s'y base principalement pour dresser la stratégie qu'elle compte mettre en œuvre pour accompagner les pays africains. Ces derniers sont ainsi organisés en quatre grands groupes. L'Algérie, la Libye et l'Egypte devraient constituer le premier groupe de pays qui seraient touchés par l'exploitation du gaz de schiste. Ces pays sont déjà d'importants producteurs de gaz conventionnel. Ils disposent donc déjà d'une infrastructure gazière suffisante, à même de pouvoir bifurquer plus rapidement vers le gaz de schiste. Si le potentiel est prometteur, les trois pays n'ont cependant aucune expérience des problèmes environnementaux que causerait la fracturation hydraulique, principale méthode – controversée - d'extraction du gaz de schiste. La BAD pourrait, à partir de là, leur offrir «une aide et des conseils pouvant déboucher sur un programme de prêt». Le second groupe visé par la stratégie de la banque est constituée des «pays qui produisent peu ou pas de gaz, mais présentent un potentiel en termes de gaz de schiste» : Tunisie, Maroc, Mauritanie et Afrique du Sud. Les besoins de ces pays sont doubles : il y a d'une part, un programme d'assistance technique traditionnel visant au développement durable du secteur et, d'autre part, un programme de protection de l'environnement similaire à celui proposé pour les grands producteurs de gaz. Quant au 3e groupe, il est composé des producteurs de gaz sans potentiel en termes de gaz de schiste, comme le Mozambique et la Tanzanie. Ces derniers pays, face aux évolutions futures de l'offre en gaz de schiste, devront s'assurer que leurs stratégies d'exploitation du gaz conventionnel sont en mesure de résister à l'évolution des cours. «Ces pays auront besoin d'aide pour mieux comprendre l'évolution future des différents marchés du gaz sur lesquels ils interviennent». Le 4e et dernier groupe de pays est évidemment formé par les pays qui ne produisent ou ne consomment pas de gaz et qui ne présentent aucun potentiel en termes de gaz de schiste. La BAD recommande à ces Etats d'approfondir leurs connaissances de leur propre géologie pour, éventuellement, déceler la présence potentielle de réserves de gaz de schiste ou de gaz conventionnel. Gaz de schiste, pourquoi est-il dangereux ? Si le gaz de schiste recèle d'importants potentiels énergétiques dans le monde, il fait l'objet depuis plusieurs années de vifs débats liés notamment à ses impacts négatifs environnementaux. Ces impacts proviennent notamment de l'une des méthodes d'extraction de ce gaz les plus courantes, la fracturation hydraulique. Le concept consiste, de manière très simple, à injecter de l'eau à forte pression mélangée à des produits chimiques dans la roche, pour créer de petites failles à partir desquelles le gaz emprisonné dans la roche est extrait. Cette pratique suscite des inquiétudes dans trois domaines. Les deux premiers – l'approvisionnement en eau et le risque de pollution – revêtent une importance majeure, tandis que le troisième, le risque sismique, est moins préoccupant, même s'il est fréquemment mentionné dans les débats publics. Selon la BAD, «la décision de savoir s'il faut aller de l'avant doit être prise en connaissance de cause plutôt que par excès d'optimisme ou de pessimisme».