Avec près de 400 milliards de dirhams de chiffre d'affaires prévu d'ici fin 2025, les établissements et entreprises publics (EEP) se positionnent plus que jamais comme des piliers de l'économie marocaine. Le dernier rapport accompagnant le Projet de loi de finances (PLF) 2026, publié par le ministère de l'Economie et des Finances, dresse le portrait d'un portefeuille dynamique, stratégique, mais aussi sous tension. Entre performance économique, service public et nécessité de réformes, les EEP sont à la croisée de plusieurs exigences. Le paysage des Etablissements et entreprises publics (EEP) au Maroc se trouve à un tournant décisif. En témoignent les données du rapport accompagnant le Projet de loi de finances (PLF) 2026, qui détaillent non seulement la performance financière du secteur, mais aussi ses mutations structurelles profondes et ses perspectives stratégiques. Trois axes majeurs se dégagent : une reprise robuste de la performance économique, une dynamique de réformes structurelles et une décentralisation active en ligne avec la nouvelle configuration territoriale du Royaume. D'abord, sur le plan financier, le secteur des EEP affiche une vitalité retrouvée. Après une progression de 10% en 2024, le chiffre d'affaires global devrait atteindre 393,38 milliards de dirhams (MMDH) fin 2025, soit une hausse de 8% sur un an. Cette croissance traduit le redressement du secteur après la consolidation de 2023, et une confirmation de la relance post-crise. La valeur ajoutée du secteur, elle, bondit de 28% en 2024 pour s'établir à plus de 124,7 MMDH, et devrait grimper à 138,36 MMDH en 2025 (+11%). Cette dynamique s'observe également dans les résultats nets qui culminent à 23,41 MMDH en 2024 (+152%), avant une correction prévisible à 18,46 MMDH en 2025 (-21%). Ce recul anticipé du bénéfice net reflète à la fois des ajustements comptables et une prudence budgétaire. En revanche, le résultat d'exploitation devrait progresser de 21% à plus de 41,5 MMDH. Les fonds propres du secteur devraient également progresser, atteignant 724,8 MMDH fin 2025. Quatre piliers de croissance Cette performance est tirée principalement par quatre secteurs majeurs qui concentrent 93% du chiffre d'affaires global : l'énergie, les mines, l'eau et l'environnement (43%, dominé par OCP et l'ONEE), les secteurs sociaux, santé et éducation (28%), les infrastructures et transports (14%) et les finances (8%). En parallèle, le financement parafiscal à destination des EEP suit une courbe ascendante. En 2025, ces ressources devraient atteindre 6,51 MMDH (+8%), avec une prédominance de la taxe sur la formation professionnelle (3,53 MMDH, soit 59% du total), réservée à l'OFPPT. Parmi les autres bénéficiaires notables figurent la NARSA, l'ONMT, les Chambres de commerce et d'artisanat, la SNRT ou encore les agences de promotion économique et artisanale. La taxe parafiscale à l'importation (TPI), collectée par l'ADII, a atteint 627 MDH en 2024, profitant à l'AMDIE, Morocco Foodex, l'ANPME et la Maison de l'artisan. Cap sur la régionalisation Mais au-delà des chiffres, c'est une véritable mutation structurelle qui se profile. Le portefeuille public recense 267 EEP à fin septembre 2025 (217 établissements publics et 50 sociétés à participation directe du Trésor), auxquels s'ajoutent 532 filiales ou participations. À cela se greffent 73 sociétés à participation territoriale directe et 53 autres organismes suivis par le ministère de l'Economie et des Finances. Cette configuration illustre la montée en puissance d'un maillage institutionnel adapté à la réforme territoriale. La création de nouvelles entités (7 entre 2024 et 2025) et les réformes d'envergure engagées, notamment dans la santé et la distribution, s'inscrivent dans un cadre de modernisation. Ainsi, le secteur de la santé inaugure une décentralisation inédite avec la création du premier Groupement sanitaire territorial (GST) dans la région Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. Cette entité pilote, dotée de compétences autonomes, marque une rupture dans la gouvernance hospitalière. Cinq autres régions (Béni Mellal-Khénifra, Drâa-Tafilalet, Guelmim-Oued Noun, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Ed Dahab) s'apprêtent à suivre. Côté distribution, la réforme actée par la loi n° 83-21 et ses décrets d'application vise à substituer les anciennes régies par 12 Sociétés régionales multiservices (SRM), rattachées aux régions. Sept sont déjà opérationnelles (Casablanca-Settat, Souss-Massa, Marrakech-Safi, l'Oriental, Rabat-Salé-Kénitra, Fès-Meknès et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma), et cinq autres le seront d'ici fin octobre 2025. D'autres projets de réforme sont en gestation. Parmi eux, la création de la Fondation Maroc 2030 et de l'Agence nationale pour la protection de l'enfance, mais aussi un ambitieux chantier de rationalisation de la planification urbaine. En juin 2025, le Conseil du gouvernement a adopté le projet de loi n° 64-23 créant 12 agences régionales d'urbanisme et d'habitat (ARUH), en remplacement des 29 agences urbaines actuelles. Objectif : aligner les outils de planification sur les besoins régionaux et renforcer la gouvernance décentralisée du foncier et de l'habitat. L'ensemble de ces dynamiques positionne les EEP comme un levier clé de l'Etat stratège, capable d'accompagner les mutations économiques, sociales et territoriales. Toutefois, cette modernisation soulève aussi des défis : efficacité des gouvernances, rationalisation budgétaire, clarification des missions et articulation avec les stratégies nationales. Perspectives 2026 et défis structurants Alors que l'année 2025 confirme la dynamique de redressement du secteur des établissements et entreprises publics (EEP), les perspectives pour 2026 s'annoncent à la fois ambitieuses et exigeantes. Le rapport annexé au PLF 2026 souligne une volonté claire d'ancrer la gouvernance publique dans une logique de performance, d'optimisation des ressources et de contribution accrue à la souveraineté économique nationale. Parmi les projets majeurs attendus figure l'opérationnalisation de la réforme territoriale à travers la création de 12 agences régionales d'urbanisme et d'habitat (ARUH), se substituant aux 29 agences urbaines existantes. Cette restructuration vise à renforcer la cohérence de l'aménagement du territoire tout en dotant les régions de leviers de planification puissants et adaptés. Sur le plan sectoriel, la généralisation des sociétés régionales multiservices (SRM) devrait atteindre sa pleine vitesse de croisière avec la mise en service des cinq dernières régions à fin 2025, consolidant une nouvelle gouvernance des services publics de proximité. Néanmoins, des défis de taille persistent. Il s'agit notamment d'assurer une convergence effective entre les objectifs économiques et sociaux des EEP, de renforcer leur autonomie financière tout en améliorant leur contribution aux finances publiques, et de garantir une meilleure efficacité dans la gestion des investissements. Le pilotage de la performance, l'équilibre entre rentabilité et mission de service public, et l'articulation avec les politiques territoriales figureront parmi les enjeux cruciaux en 2026.