Directrice des activités de marché- Attijari Global Research AGR / CIB, Attijariwafa bank Alors que l'or vient d'atteindre des sommets historiques inédits, franchissant successivement les seuils de 3.000 puis 4.000 $/oz en 2025, le métal jaune s'impose à nouveau comme un pilier de stabilité dans un monde financier en recomposition. Pour Lamyae Oudghiri, directrice des activités de marché chez Attijari Global Research, cette envolée ne relève pas d'un simple emballement conjoncturel mais traduit un véritable changement de paradigme. Entre dédollarisation, politiques monétaires accommodantes et quête de diversification, elle décrypte les ressorts d'une revalorisation structurelle des métaux précieux et leur place croissante dans les portefeuilles d'investissement. Quel est l'intérêt aujourd'hui selon vous de s'intéresser aux métaux précieux comme un véritable véhicule d'investissement ? Depuis le début de la décennie, les métaux précieux connaissent une revalorisation structurelle. L'année 2025 a marqué un tournant stratégique suite au franchissement de l'or de la résistance symbolique des 3.000 $/Oz, et ce, pour la première fois de son histoire. Quelques mois plus tard, l'or atteint de nouveaux sommets historiques à plus de 3.400 $/Oz en avril 2025 et puis franchit un record absolu de plus de 4.000 $/Oz en octobre 2025. Cette performance significative reflète, selon nous, un réajustement profond des équilibres économiques, géopolitiques et monétaires mondiaux. Face à l'érosion du dollar, à la multiplication des chocs exogènes géopolitiques et à la redéfinition des stratégies des réserves des banques centrales, l'or semble retrouver un rôle pivot dans l'architecture financière mondiale. Dans ce contexte, il devient essentiel pour les investisseurs de s'interroger sur la soutenabilité de cette tendance haussière, d'en identifier les moteurs fondamentaux, mais aussi les points de fragilité potentiels. L'objectif étant d'en tirer les meilleurs enseignements pour optimiser son intégration dans les stratégies de construction de portefeuilles tout en alliant résilience, performance et diversification à moyen terme. Quelles sont les forces structurelles qui sous-tendent la résilience du marché de l'or en 2025 ? La résilience du marché de l'or en 2025 repose sur un socle macroéconomique particulièrement robuste marqué par trois facteurs. D'abord, le cycle de baisse des taux directeurs entamé en 2024 par les grandes banques centrales à l'international a entraîné une perte d'attractivité des actifs obligataires, redirigeant les flux vers les métaux précieux. La BCE a baissé son taux directeur de -200 PBS depuis juin 2024, ramenant son taux de dépôt de 4% à 2% et pourrait poursuivre sa baisse des taux à MT vers un taux cible autour de 1,75%. Pour sa part, la FED a abaissé à trois reprises son principal taux directeur de -100 PBS en cumulé durant l'ensemble de l'année 2024. En 2025(e), la Fed a abaissé une nouvelle fois son TD de -50 PBS en cumulé en septembre et en octobre 2025, après cinq pauses monétaires successives et devrait entamer de nouvelles baisses d'ici la fin de l'année 2026. Aussi, la faiblesse persistante du dollar, alimentée par le déficit jumeau américain, une politique monétaire toujours accommodante et les incertitudes économiques générées par la guerre commerciale, a renforcé mécaniquement la valeur relative de l'or. Depuis le début de l'année, l'indice dollar qui mesure la performance du billet vert face à un panier de six devises de référence affiche une contre-performance de près de -9%, soit la pire évolution de cet indicateur depuis 2017. Enfin, la poursuite de la stratégie de dé-dollarisation des réserves des banques centrales. En effet, face à la fragmentation du commerce mondial, au retour des sanctions économiques, et à la perte de confiance dans le dollar comme actif de réserve exclusif, de nombreuses banques centrales, notamment en Asie et au Moyen-Orient, cherchent à renforcer leur autonomie financière et à diversifier leurs réserves. Depuis 2022, leurs achats d'or atteignent des niveaux record, dépassant pour la troisième année consécutive la barre des 1.000 tonnes en 2024, au point que l'or dépasse aujourd'hui la part des bons du Trésor US dans leurs réserves, une première depuis des décennies. Ces trois piliers convergent vers une tendance de fond haussière cohérente, d'autant plus crédible qu'elle est adossée à des fondamentaux macroéconomiques et géopolitiques lourds. L'envolée récente du cours de l'or traduit-elle un simple phénomène conjoncturel ou un véritable changement de paradigme sur les marchés financiers ? L'ascension spectaculaire du cours de l'or, depuis avril 2025, ne peut être réduite à un simple mouvement technique. Cette tendance incarne, selon notre lecture, un basculement structurel dans la perception des investisseurs vis-à-vis du métal jaune. L'or endosse à nouveau son statut de « valeur refuge systémique », à la fois contre l'érosion du pouvoir d'achat monétaire et les risques géopolitiques à l'international. Ce repositionnement stratégique devrait rester soutenu par une demande importante et structurelle, à la fois institutionnelle à travers le rehaussement des flux vers les fonds d'investissement ETF or, mais aussi par la poursuite d'achats massifs des banques centrales de stocks d'or, notamment, via la « dé-dollarisation » de leurs réserves. Pour rappel, des pays comme l'Inde et la Chine disposent encore de marges importantes en raison de la part relativement modeste des stocks d'or dans leurs réserves, soit moins de 10% contre une moyenne mondiale de 20%. Ainsi, les perspectives d'achats nets de stocks d'or par les banques centrales dépassent les 1.000 tonnes en 2025(e). Il faut dire que la tendance haussière de l'or semble moins relever d'un emballement spéculatif que d'une réévaluation profonde de son rôle au sein de la hiérarchie des actifs financiers. Peut-on anticiper une poursuite de la tendance haussière des métaux précieux sur le moyen terme, malgré les niveaux élevés actuels ? Oui, nous croyons que la dynamique haussière est soutenable à moyen terme, même après les records atteints durant ce dernier trimestre. L'analyse des prévisions publiées par des institutions, telles que JPMorgan, Goldman Sachs, Morgan Stanley ou encore UBS, révèle des révisions haussières successives au cours des 12 derniers mois. Ce réajustement résulte du retour marqué de l'aversion au risque global, de l'ancrage des politiques monétaires dans un paradigme accommodant et de la dynamique persistante de dé-dollarisation des réserves officielles. Parallèlement, les brokers à l'international commencent à revaloriser les perspectives de l'argent métal, longtemps sous-performant, et ce, en raison de son attrait dual : valeur refuge et métal industriel. La hausse de l'or durant 2024-2025 a propulsé le ratio «or/argent» à des niveaux difficilement soutenables. Celui-ci se situe actuellement autour des 80x contre une moyenne 10 ans de 65x. À titre indicatif, le retour de ce ratio vers sa moyenne 10 ans correspond à un cours cible de l'argent au-delà de 60 $/Oz à MT. Le déficit structurel du marché de l'argent, à travers une offre en contraction et une demande croissante des industries vertes, renforce cette thèse. Aussi, le retour des flux vers les ETF argent, conjugué aux arbitrages opérés par les investisseurs face au niveau élevé du cours de l'or, rend crédible un scénario de rattrapage sur l'horizon 2025-2026 vers un objectif supérieur à 50 $/Oz. Le consensus haussier actuel des métaux précieux, loin d'être excessif, reflète une lecture rationnelle des tensions géoéconomiques et de l'évolution des politiques d'allocation des grands investisseurs mondiaux. Comment expliquer la réactivation des flux vers les ETF adossés à l'or après deux années de baisse ? La réactivation des flux d'investissement vers les ETF or résulte d'un rééquilibrage stratégique des portefeuilles face à un environnement devenu durablement incertain et au retour d'une forte volatilité sur les marchés financiers. La progression de plus de +500 T des encours ETF à fin septembre 2025 marque une inflexion majeure par rapport à la trajectoire baissière observée depuis 2022. Ce renversement reflète à la fois la recherche de protection contre les mouvements erratiques sur les marchés actions et une reprise de l'allocation vers les actifs tangibles. Ce mouvement s'inscrit également dans une logique tactique : la sous-performance des grands indices actions à l'instar du S&P ou encore de l'Euro Stoxx 50 face à l'or en YTD a renforcé le caractère diversifiant du métal jaune. Par ailleurs, la reprise des flux ETF intervient dans un contexte où le dollar baisse fortement depuis le début de l'année 2025, accroissant mécaniquement l'attrait de l'or. Ainsi, les ETF agissent à nouveau comme catalyseurs de la demande institutionnelle. L'argent métal peut-il bénéficier d'un effet de rattrapage dans le sillage de l'or ? Absolument. L'argent métal apparaît aujourd'hui comme un actif dual aux fondamentaux techniques et industriels attractifs. Historiquement, les phases de rattrapage de l'argent suivent celles de l'or, avec un effet de levier souvent amplifié. En 2025, l'accélération haussière de l'or a remis l'argent sur les radars des investisseurs, d'autant que son positionnement technique reste sous-valorisé par rapport à ses moyennes historiques. À cela s'ajoutent les difficultés croissantes liées à la production minière, à savoir les contraintes géopolitiques, techniques ou environnementales qui alimentent le déficit structurel entre «offre-demande» d'argent. Une situation qui exerce de fortes pressions sur le cours de ce métal. Parallèlement, la demande en argent pour l'industrie devrait atteindre un nouveau record en 2025(e) et franchir pour la première fois le seuil des 700 MOz, selon les dernières projections du Silver Institute. Cette dynamique est portée par le rôle croissant de l'argent dans les technologies vertes et numériques : solaire, véhicules électriques, 5G, centres de données et intelligence artificielle. Sur le MT, la concentration géographique de la production d'argent combinée à une faible élasticité de l'offre créent un risque de pénurie durable du métal gris sur les marchés mondiaux. Quels risques pourraient remettre en cause la tendance haussière actuelle sur les métaux précieux ? Bien que les fondamentaux soient solides, plusieurs risques pourraient perturber la dynamique haussière sur les métaux précieux. En premier lieu, un retournement des politiques monétaires, notamment si l'inflation structurelle venait à refluer. Un tel scénario renforcerait les taux réels et fragiliserait la demande pour l'or. Ensuite, une atténuation des tensions géopolitiques réduirait la demande envers les valeurs «refuges». Enfin, une correction brutale des marchés obligataires ou actions pourrait entraîner des ventes techniques, y compris sur l'or, par effet de liquidité. Le principal facteur à surveiller demeure néanmoins la trajectoire du dollar à MT : un rebond marqué du billet vert remettrait sous pression les métaux précieux. La gestion active de l'exposition à ces actifs reste donc essentielle dans un environnement de plus en plus asymétrique et en constante évolution. Comment la dynamique actuelle des métaux précieux s'intègre-t-elle dans une perspective de portefeuille stratégique ? Dans un contexte de fragmentation économique et de montée des risques géopolitiques, l'intégration des métaux précieux dans une stratégie d'allocation stratégique apparaît de plus en plus pertinente. L'analyse détaillée des moteurs de la tendance haussière actuelle des métaux précieux révèle une convergence de facteurs structurels rarement observée par le passé. La recomposition géoéconomique mondiale, l'érosion du régime dollar, le pivot accommodant des banques centrales et la montée des risques de fragmentation financière forment un socle robuste qui justifie une revalorisation durable des métaux précieux à l'avenir. L'or offre ainsi une couverture judicieuse et une diversification efficace contre le risque extrême, la perte de confiance monétaire et la corrélation positive entre les actifs risqués. La dynamique actuelle, bien que marquée par des points d'entrée élevés, peut être exploitée via des approches opportunistes (ETF, fonds thématiques) ou via de l'or physique. Il faut rappeler que chez Attijariwafa bank, nous avons été pionnier dans l'intégration de la thématique «métaux précieux» dans les stratégies de construction des portefeuilles. Ainsi, «Attijari Gold», un fonds indiciel lancé en 2012, permet de capter la dynamique du métal jaune à l'échelle internationale, et ce, au profit des investisseurs locaux. À l'heure où l'incertitude devient une composante permanente des équilibres globaux, l'or redevient un actif stratégique. L'exposition aux métaux précieux ne peut plus être perçue uniquement comme une couverture tactique, mais bien comme un pilier de diversification de long terme dans des portefeuilles en quête de résilience et surtout de diversification. La poche métaux précieux pourrait ainsi atteindre 5 à 10% des portefeuilles sur un horizon de placement moyen terme. Sami Nemli / Les Inspirations ECO