Mohammed Darif, politologue et spécialiste des groupes islamistes, nous éclaire sur les répercussions du 11 septembre, et nous explique la manière dont les groupes islamistes ont géré la situation. Professeur de science politique à l'Université de Mohammedia, Mohammed Darif est l'un des plus grands spécialistes de l'islamisme politique au Maroc. Pour le politologue, les répercussions du 11 septembre sur le monde sont de quatre ordres : le premier étant la difficulté pour les régimes politiques d'identifier le terrorisme ; le second consiste à un retour de l'Etat dans son volet sécuritaire, le troisième réside dans l'amalgame entre résistance et terrorisme, tandis que le quatrième point consiste en la disparition de la souveraineté sécuritaire des pays, au profit des pays occidentaux. L'Amérique célèbrera dimanche le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre. Quelles en sont les répercussions sur le monde, 10 ans après ? Le monde a connu un changement radical suite aux attentats du 11 septembre 2001. Les USA ont déclenché une guerre ouverte contre le terrorisme. Ils ont réussi à rassembler presque tous les pays du monde autour d'eux pour faire face à Al-Qaïda. Car quand les Américains parlent de terrorisme, ils parlent d'Al-Qaïda, d'Oussama Ben Laden et d'Ayman Al Zawahiri. Mais ils parlent aussi des organisations liées à Al-Qaïda, soit de manière directe, soit de manière indirecte comme le GICL (Groupe islamique des combattants libyens). Il y a deux sortes de liaisons entre Al-Qaïda et ces organisations. Il y a des liens d'ordre organisationnel, comme pour AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), et il y a des liens d'ordre idéologique. Mais, pour moi, cette guerre mondiale contre le terrorisme a posé énormément de problèmes, par ce qu'il faut définir le terrorisme avant de le combattre. Les USA étaient obligés de lutter contre Al-Qaïda, mais aussi contre les organisations liées à Al-Qaïda. «Les Américains ont encouragé le courant soufi pour faire face au radicalisme.» Autre élément, avant les attentats du 11 septembre, la fonction de l'Etat était affaiblie dans les pays occidentaux. Mais après les attentats, on peut parler d'un retour de l'Etat… Quand vous parlez d'un retour de l'Etat, vous parlez du volet sécuritaire ? Bien-sûr. Les régimes occidentaux se sont permis de ne pas respecter les droits de l'Homme en prétextant lutter contre le terrorisme. Il y a le cas de Guantanamo par exemple. Le Maroc n'échappe pas à cette règle. Avant 2001 et les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, on parlait d'une volonté d'ouverture du roi Mohammed VI, d'une ouverture politique, de la nécessité de respecter les droits de l'Homme. En octobre 1999, Mohammed VI avait donné un discours dans lequel il a parlé de ce nouveau concept d'autorité, etc… Mais, il y eut soudain un recul. Et les sécuritaires marocains commencèrent à chercher des prétextes et des justifications pour légitimer bien des dépassements. Autre conséquence, les causes justes dans le monde ont été délaissées. L'exemple de la cause palestinienne est parlant à ce propos. Après les attentats, Israël est devenu libre de bafouer les droits des Palestiniens et a utilisé la carte du terrorisme en qualifiant les Palestiniens de terroristes. Il y a aussi la cause tchétchène, puisque l'Occident a fermé les yeux sur les exactions des Russes. Après le 11 septembre, on a commencé à faire un amalgame entre terrorisme et résistance. « Après le 11 septembre, on a commencé à faire un amalgame entre terrorisme et résistance » Autre point, c'est la disparition de la souveraineté sécuritaire du pays. Presque tous les pays du monde ont été obligés de collaborer avec l'Occident, en général, et les Etats-Unis, en particulier. Concernant l'Islam politique, pensez-vous que les partis politiques islamistes ont souffert des attentats ? À mon avis, ils ont bien géré leur combat contre les régimes arabes. Avant les attentats, on avait du mal à distinguer les composantes du champ religieux. Parfois, quand on parle d'Islam politique, on ne déploie pas d'efforts pour clarifier les intentions des uns et des autres. Le 11 septembre a au moins eu le mérite de clarifier les choses. L'Occident commence maintenant à prendre en considération la différence qui existe entre soufisme, islamisme et salafisme. Le soufisme, par exemple, peut être considéré comme un courant laïcisant de l'Islam, c'est pour cela que les Américains ont encouragé le courant soufi pour faire face au radicalisme. Et le Maroc ? Au Maroc, il y a plusieurs sortes de courants islamistes ; il y a le courant contestataire, incarné par Al Adl Wal Ihssane qui n'est pas un islamisme radical en ce sens qu' il ne conteste par le régime. Malgré tout ce qu'on peut dire sur lui, Al Adl a toujours voulu intégrer le jeu politique. A des conditions bien sûr. On voit bien qu'il milite aujourd'hui pour la monarchie parlementaire, ses membres font partie du Mouvement du 20 février, etc… Et il y a l'islamisme intégré, incarné par le PJD et le MUR. C'est un islamisme qui chercher à intégrer, sans conditions, le jeu politique, en croyant qu'il est possible de procéder au changement à l'intérieur des institutions. Il y a aussi l'islamisme élitiste, incarné par Al Badil Al Hadari et par le mouvement pour la ouma. C'est un courant qui reproduit le discours de la gauche ; il se rapproche des positions de la gauche et des démocrates et milite pour un Etat civil. Et, bien sûr, il ne faut pas oublier le courant salafiste qui, lui-même, est divisé en deux tendances : le salafisme traditionnel et le salafisme djihadiste. Après le 11 septembre, les islamistes ont commencé à clarifier leurs positions, en s'éloignant des salafistes et en condamnant leur violence. Et c'est déjà ça ! Qu'évoque pour vous le souvenir des attentats du 11 septembre 2001 ? Imane C'était un acte absolument condamnable. Tuer des innocents ne peut être une bonne chose. Ce sont des innocents, ils n'ont rien fait. Ces attentats n'ont fait que créer des problèmes entre les religions. Oumaima C'est une bande de criminels en col blanc qui a créé ces attentats de toutes pièces pour jeter le discrédit sur les musulmans et l'Islam. Les musulmans ne peuvent pas commettre un acte aussi ignoble. Arafat Le 11 septembre évoque pour moi un nouvel ordre mondial, le regard de l'Occident sur le monde arabe a complètement changé depuis cette fameuse date. Il y a pas mal de choses qui ont changé. Rédouane Moi je dirais que c'est un complot. De toute façon, c'est la politique, on ne peut pas savoir grand-chose. Aujourd'hui, beaucoup de gens se méfient de l'Islam, alors que l'Islam n'a rien à voir avec ça. Dina Pour moi, c'était d'abord une surprise, car on ne connaissait pas ce genre de moyens pour faire des attentats. Quand on a vu les gens se jeter par les fenêtres, parce qu'ils étouffaient, c'était vraiment horrible !