9 novembre 1999-9 novembre 2009. En dix ans et quatre ministres à sa tête, le Ministère de l'intérieur a appris à vivre sans Driss Basri. Rabat, Hay Ryad. Façades vitrées et architecture moderne. Chaque matin, quelques 1.200 personnes, aux allures de cadres de multinationales, entrent au siège du ministère de l'Intérieur. Blackberry collé à l'oreille, ordinateurs portables et journaux en main : ingénieurs, cadres et gestionnaires s'activent pour assurer les services techniques du plus puissant des ministères ! Inauguré en décembre 2007, la nouvelle bâtisse est peut-être le symbole le plus emblématique du changement qu'a connu le département depuis que Driss Basri n'est plus à sa tête, voilà dix ans déjà. 7 étages, 25 000 m2 couverts, 7 ascenseurs… «Rien à envier aux décors des commissariats dans la série Les Experts Miami», confie, goguenard, un visiteur. La chute du mur Le siège héberge les principales directions: la DGCL, la Direction des Régies… mais pas le cabinet du ministre Chakib Benmoussa, ni celui du ministre délégué, Saâd Hassar, restés tous les deux dans les anciens locaux du quartier Hassan. «Il y a 10 ans, ce sont plutôt les patrons qui se seraient servis d'un tel cadre de travail. Aujourd'hui, les choses ont bien changé», souligne un connaisseur des arcanes d'Addakhiliya… Flashback. Nous sommes le 9 novembre 1999. Au lendemain de ses 61 ans, Driss Basri, bras droit de Feu Hassan II et patron inamovible de l'Intérieur depuis 20 ans, est brutalement limogé par Mohammed VI, cent jours après son accession au trône. Dans les rédactions des journaux et les agences de presse, on ose même le rapprochement avec la chute du Mur de Berlin, intervenu 10 ans auparavant, jour pour jour. «La chute du mur de Hassan II » titrera un hebdomadaire. Le ministre est alors au faîte de sa puissance et ses mauvais rapports avec le jeune roi sont un secret de polichinelle. Le petit peuple craint même pour la vie du jeune roi face au «méchant vizir» et ses sbires… Il n'en sera rien. Jusqu'à son décès (à Paris en août 2007), Driss Basri gardera loyauté et fidélité au Trône alaouite, en dehors d'un projet de mémoires dites compromettantes. D'ailleurs, Mohammed VI n'avait pas hésité à le décorer d'un Wissam… quelques heures à peine après l'avoir limogé. « Lui, c'est lui… » En ce mois de novembre 1999, dans une ambiance particulière, une page de l'histoire de «la mère des ministères» est donc tournée. Changement de ministre, changement d'appareils : un gros mouvement de walis et de gouverneurs intervient le 31 décembre 1999, préfigurant le nouveau concept d'autorité voulu par le roi. Et pour l'illustrer, Ahmed Midaoui, successeur de Driss Basri, n'hésitera pas à user des artifices de la communication, allant jusqu'à paraphraser son jeune monarque, lors d'une émission télévisuelle de débat politique : «Lui c'est lui, moi c'est moi». Midaoui va gérer l'occupation des plages par les islamistes d'Al Adl Wa Al Ihsane, dénoncer l'usage de l'argent sale lors du renouvellement du tiers sortant de la Deuxième chambre en septembre 2000, et alléger la prééminence du ministère de l'Intérieur sur les autres services, notamment la DST, confiée par Dahir à Hamidou Laânigri. L'hebdomadaire Maroc Hebdo en fait même son homme de l'année 2000 ! Un titre qu'il n'a pas le temps de savourer, puisque le 19 septembre 2001, il est remplacé par… Driss Jettou ! «À ce moment-là, aucune théorie n'explique ces choix et ces timings. Avec le recul, on dira que Midaoui a géré une transition, à but de changement d'image auprès du peuple, notamment en portant le leitmoiv royal du nouveau concept de l'autorité. Jettou, quant à lui, devait gérer la réconciliation avec les patrons et faire passer politiquement le cap des élections de 2002», commente un spécialiste de la communication publique. Entrepreneur reconnu, symbole de la lutte contre Driss Basri lors de la campagne d'assainissement, ancien ministre du Commerce et l'Industrie puis des Finances, Driss Jettou a aussi été administrateur à l'ONA, PDG de l'OCP et avait la réputation d'être proche de la famille royale. Mais au ministère de l'Intérieur, l'homme n'avait pas un prénom à se faire, mais un nom. Et il y arrivera. En peu de temps, il encadre dans un grand élan la vague des walis technocrates, qui gèrent les grandes régions du royaume, rassure la classe politique sur les choix historiques du pouvoir par rapport au déroulement des législatives de 2002 et encourage l'investissement, notamment par la stimulation des CRI (Centres régionaux d'investissement) placés sous l'autorité des walis. Il n'a pas le temps de démarrer la restructuration du ministère de l'Intérieur que, le 7 novembre 2002, à l'issue des premières élections législatives au Maroc reconnues transparentes (en fait, les premières sans Driss Basri), le roi Mohammed VI le nomme… Premier ministre ! L'USFP dénonce publiquement ce qui est considéré comme un «recul de la démocratie». « Oppression sécurisante » Le ministère de l'Intérieur voit alors arriver, en l'espace de trois ans, son troisième ministre : El Mostafa Sahel. Driss Basri serait-il donc si difficile à remplacer ? Ancien ministre de la Pêche maritime et de la Marine marchande, Sahel doit gérer les conséquences des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca. L'ère de Basri commence à faire des nostalgiques et une partie de la rue préfère «une oppression sécurisante à une culture des droits de l'Homme exploitée par les fanatiques». Les consultants et techniciens de la sécurité pointent du doigt le vrai problème : le statut défaillant des agents et représentants de l'autorité, la misère, la pauvreté, le sous-équipement des bâtiments de sécurité, les services en sous-effectifs, l'absence de nouvelles technologies de gestion de l'information, le système de CIN vieillissant, les méthodes de délation et de renseignement inefficaces ou abandonnées… Sahel quittera le ministère de l'Intérieur le 15 février 2006, sur un bilan très contrasté. Il y est remplacé par Chakib Benmoussa. L'homme, au CV impressionnant, est proche autant du management de Jettou, alors Premier ministre, que des méthodes de la vieille maison, où il officie depuis le 11 décembre 2002 en tant que wali secrétaire général du ministère. Son premier chantier est clair : la mise à niveau du département de l'Intérieur. Entouré de techniciens, d'ingénieurs et des meilleurs talents parmi les gouverneurs et walis, Chakib Benmoussa entame la véritable mue de la «vieille dame». Le ministère se met à l'heure des nouvelles technologies. Et moins d'un an après sa nomination, le voilà investi d'une mission taillée sur mesure : la coordination nationale pour la mise en œuvre de l'Initiative nationale du développement humain. Lutte contre le terrorisme, contre la drogue, contre les circuits d'immigration clandestine… Les arrestations spectaculaires se suivent et ne se ressemblent pas. Chakib Benmoussa n'hésite devant rien. Il lance la carte nationale biométrique avec Thales, fait de même pour les cartes grises et duplique la méthode pour les permis de conduire et les passeports. Il fait aussi passer la loi sur le nouveau statut des agents d'autorité. Avec Saâd Hassar, secrétaire général, secrétait d'Etat puis ministre délégué à l'Intérieur, Benmoussa forme un tandem de choc. Les élections législatives de septembre 2007, qui voient notamment leur ancien collègue, Fouad Ali El Himma, rafler trois sièges à la tête d'une liste sans appartenance politique, se passent dans des conditions plus que correctes. Le principe démocratique souhaité par les partis politiques est enfin appliqué : Abbas El Fassi, chef de la première force politique, est nommé Premier ministre et Chakib Benmoussa, pressenti à un moment pour ce même poste, est reconduit au ministère de l'Intérieur. Il gère l'année de transition de 2008 puis l'année, fortement électorale, de 2009, sans fausse note. Son projet de «Commune 2015» est présenté en grande pompe et la régionalisation demeure un objectif réalisable. Dix ans après Basri, le ministère de l'Intérieur a connu 4 ministres, partiellement réconcilié le petit peuple et l'élite économique avec l'autorité, assaini les élections, séparé la vocation d'abriter l'homme fort du régime en l'envoyant dans l'arène partisane (PAM) et amélioré la technicité de la gestion du territoire et des citoyens. En un mot comme en mille : sans Si Driss, l'Intérieur va mieux. Beaucoup mieux. Mounir Arrami