Driss Basri : le chef d'orchestre Le puissant ministre de l'Intérieur a été sans conteste le véritable maestro de la fameuse campagne. Ecoutes, filatures, manipulations, chantages, bavures et utilisation des réseaux mafieux de la drogue, la tristement célèbre «campagne d'assainissement» a été incontestablement marquée par la touche Basri. A l'époque, l'entourage proche du ministre plongé à fond dans l'affairisme, a profité de la campagne pour un enrichissement personnel scandaleux sur le compte des victimes. Ceci dit, mettre tout sur le dos de Basri relève de la myopie politique si ce n'est pas carrément de la mauvaise foi. Basri a mis en place la stratégie, il a désigné ses ennemis personnels, une brochette de noms qu'il voulait se payer, mais la campagne a tout de suite viré aux règlements de compte. La campagne d'assainissement de 1996, selon les observateurs et les victimes, ressemblait à un vaste règlement de compte avec les politiques, les commerçants et les douaniers. Les commerçants devaient payer leur réticence face au compte 111 lancé au profit du monde rural et se faire taper sur les doigts pour les opérations de blanchiment d'argent. Le ministère de l'Intérieur cherchait à avoir une main mise sur l'administration des douanes qui lui échappait. Il devait la faire rapprocher de son centre de décision. D'ailleurs, le déplacement du siège de la direction générale de cette administration, de Casablanca à Rabat, en constitue la preuve, et le luxueux bâtiment de la Colline qui lui était initialement destiné, a été fortuitement transformé en Technopark. Abderrahman Amalou : Un novice ministre au peu d'entendement Alors qu'on n'entendait plus parler de lui, Abderrahamane Amalou va revenir sous les feux de l'actualité en 2005. Son parti, l'Union Constitutionnelle, avait publiquement formulé sa ferme intention d'exclure de ses rangs, l'ex- ministre de la Justice pour son implication jusqu'au cou dans la campagne d'assainissement de 1996. L'UC ne lui a jamais pardonné son implication directe dans les procès de nombreuses personnes dont des membres de l'UC comme Abdelkrim Lahlou,Tber ou encore le fameux Zahraoui. Trop mouillée dans ses relations incestueuses avec Driss Basri, l'UC a désavoué Amalou pour convaincre que le parti n'avait rien à voir avec la campagne lancée par le ministre de l'Intérieur qui avait pris sous sans aile Amalou, lui-même membre du bureau politique du parti à l'époque. Ce fut l'occasion pour le patron de la Justice de l'époque de se fendre d'une série d'interviews dans les journaux de l'époque où il expliquait notamment, qu'il n'avait joué qu'un rôle mineur dans cette affaire et que les juges assénaient des condamnations selon leur propre conviction. Un peu court ! L'ex-ministre avancera même qu'il avait sauvé des milliers de citoyens de la prison puisqu'il avait encore 4500 cas à traiter. Cour-circuitant Driss Basri, il aurait confié au roi qu'il « qu'il n'y avait plus de places dans les prisons et qu'en poursuivant cette opération, on aggravait à coup sûr leur surpeuplement. Ce serait donc grâce à son intervention qu'il a été décidé, en haut lieu, de mettre fin à l'assainissement. En réalité, Amalou a plus brillé par son absence que par quoi que ce soit d'autre. Propulsé ministre de la Justice, tout simplement parce qu'il émargeait au parti de l'administration, Amalou a été la copie parfaite du responsable qui ne fait pas de vague, le ministre qui sait écouter et d'une servilité légendaire, le ministre de la Justice et des Droits de l'homme (sic), n'avait pas hésité à déclarer que «les Marocains avaient bien de la chance car en Chine on les aurait fusillés» ! Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'au lieu de remplir son rôle de garant de l'indépendance de la Justice, il se contentait d'exécuter les ordres de Basri et se couchait même devant ses hommes de paille. Très peu de gens le savent, mais les patrons de l'époque doivent une fière chandelle à Driss Jettou. Au plus fort de la campagne d'assainissement, Driss Jettou et Mohamed Kabbaj, se concertent longuement et décident de saisir tous les deux le roi, qui n'hésite pas à trancher en leur faveur, avant de mettre fin à la fameuse campagne. Un petit bémol cependant, au début, Mohamed Kabbaj et Driss Jettou, respectivement ministres des Finances et du Commerce, croyant que la campagne allait les débarrasser de concurrents déloyaux, que sont les gros pontes de la contrebande, avaient donné tête la première, dans le piège tendu par Basri. Les deux hommes, proches des milieux d'affaires fassis et casablancais, voulaient cibler uniquement la région nord, arguant du fait que la contrebande et l'informel sanctionnaient les hommes d'affaires respectueux des lois. Ils poussaient discrètement dans ce sens. Jettou qui avait démarré dans le cabinet de Mohamed Karim Lamrani, en novembre 1993, à la tête du département du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat, connaissait très bien le monde des affaires. Ce gestionnaire volontiers amateur de politique de réformes, avait deux ans plus tard, cumulé ce poste avec celui des Finances, ce qui lui avait apparemment permis de prévoir la catastrophe qui se profilait si Basri persistait dans sa répression. A quelque chose malheur est bon, c'est d'ailleurs au cours de cette période que naîtra le gentleman's agreement entre le patronat et les pouvoirs publics et l'accord du premier août 1996 signé entre le gouvernement et les syndicats dans le cadre du dialogue social. Nourredine Riahi : L'avocat du diable Le procureur qui tire plus vite que son ombre. L'homme qui a conduit des interpellations à la pelle, n'avait pas d'état d'âme. La justice d'abattage qu'il a conduit avec un zèle inimaginable, restera dans les mémoires. A un moment où les auditions dépassaient les limites, le fameux procureur n'hésita pas à aménager un commissariat au sein même de l'enceinte de l'hôpital, histoire de faire encore plus vite. Résultat, ce sont 1285 personnes qui sont présentées à la justice dont 133 ont bénéficié d'un non-lieu et 122 sont acquittées. Les interrogatoires se faisaient sous la torture en l'absence de professionnels qui maîtrisent les règlements et les procédures douaniers. La police se référait à de simples agents douaniers et à des commis de transitaires comme experts pour établir ses procès verbaux. Les amendes issues des jugements se chiffraient en centaines de milliards de Dirhams. Abdelaziz Lâafora : L'illusion du pouvoir Hammouda El Caïd, malgré la sévérité qu'on lui connaissait, a refusé de prendre part à la curée. L'avocat de formation et wali du Grand Casablanca, avait mis en garde contre l'arrestation des personnes et ne se cachait pas pour faire remarquer que les choses allaient forcément déraper. De guerre lasse, il va demander audience à Dris Basri qui l'a laissé attendre pendant des heures pour lui signifier, en fin de compte de prendre son congé. L'intérim va être alors confié à un certain Abdelâziz Lâafoura, gouverneur de Hay Mohammadi-Ain Sebâa. Habillé en treillis de guerre, un Talkie walkie à la main, l'homme supervisait autant les arrestations que les auditions. Abdelâziz Allabouch étant mis hors jeu, Lâafora coiffait aussi la DST. Tard la nuit, il regardait le film du déroulement des audiences. Il en rendait quotidiennement compte à Basri. Un hélicoptère mis à sa disposition, le prenait lui et Riahi pour aller rendre compte et prendre les instructions de son supérieur pour les grands dossiers. Comment s'explique le zèle de Lâafora ? Il y avait d'abord une certaine admiration qu'il vouait à son maître. En effet, l'homme a été l'étudiant de Driss Basri, à la Faculté de droit, en licence, puis en 3ème cycle, de 1972 à 1977, du temps où Driss Basri tenait à assurer son cours de droit public, entre Casablanca et Rabat. A l'époque, Driss Basri qui recrutait les futurs agents d'autorité à la faculté de Droit, avait déjà fabriqué un destin tout tracé pour Abdelaziz Lâafora, dont il fera son chef de cabinet à partir de 1976, avant de le nommer gouverneur de la province de Ben Slimane en 1984. Lâafora revient au ministère de l'Intérieur pour occuper le poste stratégique de la direction de l'Equipement, de l'Administration du territoire et de l'Environnement, avant de se retrouver gouverneur de Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi. Ironie du sort, c'est pour des faits remontant à cette période où il était gouverneur de cette province que Lâafora a été jeté en prison par Mohamed Bouzoubâa, qui était l'avocat de feu Ali Amor épinglé par l'ex-gouverneur au cours de la fameuse campagne !