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Lu dans la presse : D'Afrique en Asie, la traite du foot grand angle
Publié dans Le temps le 11 - 02 - 2011

Ils sont jeunes, africains, pauvres et fous de foot. Ils rêvent de devenir pros à l'étranger, et échouent en Asie dans des clubs de bourgade après avoir payé un pactole à un «passeur».
Drogba dribble, adresse un centre qui trompe le gardien et se glisse sous la transversale. Le joueur est fidèle à sa réputation de meilleur buteur de l'équipe de Cap Skirring, village de la Casamance, région du sud du Sénégal. En vérité, Drogba s'appelle Aliou, il a 17 ans, il est élève en 3e et ce sont ses copains de classe, admiratifs, qui lui ont donné le nom de l'attaquant du Chelsea FC, capitaine de l'équipe de Côte-d'Ivoire. Aliou habite à deux minutes du terrain de cailloux et de sable où il réalise ses exploits.
Tous les jours, il croise les toubabs (les «Blancs») du Club Med où son père a travaillé pendant des décennies. «Il est décédé en mars, et depuis, c'est difficile», dit Aliou. Il n'aura jamais les moyens d'aller au lycée, le Clud Med n'a pas enrichi sa famille de sept enfants mais il a forgé dans la fratrie le mirage européen. Alors, il rêve que ses pieds d'or l'amènent au-delà des mers où il deviendrait footballeur professionnel et gagnerait des mille et des cents. «S'il faut trouver de l'argent pour aller faire un essai en Europe, je me débrouillerais», dit Aliou. Le grand frère acquiesce.
2 000 euros nécessaires au «transfert»
Dans son infortune, Aliou a de la chance. Cap Skirring est trop paumé pour figurer sur la carte des «négriers du foot». Dénoncés dans un livre publié en mai par Maryse Ewanjé-Epée (1), il s'agit de ces agents véreux qui jouent aux «passeurs» de jeunes espoirs, profitant de la libéralisation de l'industrie du football, de la réussite d'équipes africaines lors des compétitions internationales et de l'organisation de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Ils arpentent les clubs de formation et les championnats provinciaux du continent, font miroiter à des gamins d'illusoires carrières au sein des clubs prestigieux, empochent un pactole que les familles ne pourront jamais rembourser et disparaissent, laissant leurs jeunes poulains sans papiers et sans argent, livrés à eux-mêmes en terre étrangère. Le trafic est dénoncé en France par les associations Culture foot solidaire et Manifootball. Mais l'horizon de ces escrocs s'étend à présent vers l'Asie. Dévorée, elle aussi, par la passion du ballon rond, elle est devenue le nouveau mirage des fous de foot africains.
Christian Manga, qui vit depuis deux ans en Thaïlande, en sait quelque chose. Il s'est trouvé en 2006 sur le chemin d'un passeur, au Cameroun. Il avait alors 19 ans, il était plein d'espoir. Il avait fait ses classes au centre de formation du quartier de Mokolo, à Yaoundé, il jouait en deuxième division. Ses copains le surnommaient «Inzaghi», du nom de la star du foot italien, se souvient-il avec fierté. Quand un «agent» camerounais lui propose une place dans une équipe du championnat de Lituanie, il décide de tenter sa chance. Sa mère institutrice n'a pas de quoi payer les «frais» et la commission d'un million et demi de francs CFA (2 000 euros) nécessaires au «transfert». Mais l'avenir de son garçon, et peut-être même de la famille, est en jeu. A force d'emprunts, la somme est réunie et Christian Manga s'embarque pour Vilnius via l'Egypte.
«Deux sont devenus fous et ont dû être rapatriés»
Arrivé au Caire, son agent se volatilise avec tout son argent. «Je ne savais pas quoi faire. Ma mère a payé pour que je sorte. Et je ne savais pas comment j'allais rentrer comme ça, subitement. Ma mère avait dépensé toutes ses économies», raconte Christian Manga. Préférant rester dans la capitale égyptienne plutôt que rentrer bredouille au pays, il passe des tests dans un club égyptien. Un contrat de quatre ans lui est proposé : succès inespéré car le championnat égyptien est de bon niveau. Mais une fois de plus, l'appétit du gain qui hante le milieu du foot s'applique à broyer ses espoirs. Le directeur de son club au Cameroun réclame une somme extravagante pour lui fournir la «libération internationale», un document visé par la fédération camerounaise qui seul lui permettra de jouer légalement dans une équipe à l'étranger. Le montant est hors de portée. Faute de ce document, le contrat s'envole.
Christian Manga est au point zéro. Grâce à l'entremise d'un ami, lui aussi footballeur en Egypte, il finira par atterrir dans une équipe de seconde division dans le sud de la Thaïlande. Dans la charmante petite ville de Chumphon, à 400 kilomètres au sud de Bangkok, bien loin de la Vilnius promise aux confins de l'Union européenne, il s'entraîne sur un terrain détrempé par les pluies de mousson avec une trentaine de Thaïlandais. Le directeur du FC Chumphon, lui, est satisfait : «Les Africains sont forts et ils ne sont pas chers. On les paie 12 000 bahts par mois [300 euros], c'est bien mieux que ce qu'ils pourraient gagner chez eux.»
Des centaines d'Africains se retrouvent ainsi, par des chemins plus ou moins tortueux, à jouer sur les pelouses d'Asie. «La plupart ont été dupés. Pour eux, quand tu viens d'Europe, ça veut dire que tu as de l'argent. Si tu te fringues un peu et que tu joues au manager, tout le monde viendra derrière toi», assure Landri Féverin-Mbimingou, directeur de l'agence Black Tigers Football Agency, une société basée à Bangkok qui place des footballeurs dans des clubs en Asie. Certains «pigeons» débarquent directement en Thaïlande, comme ce Camerounais qui préfère conserver l'anonymat. «On m'avait raconté qu'un club m'attendait ici. Mais quand je suis arrivé, je n'avais même pas un endroit où dormir», dit-il. Quelques rares joueurs s'en sortent haut la main, intègrent des équipes de Ligue 1, et touchent environ 2 500 euros. Pour les autres, la survie est un enfer. Certains sombrent dans la drogue, la prostitution, le trafic de faux papiers. «Deux sont devenus fous et ont dû être rapatriés. D'autres, sans papiers, finissent à la prison de l'immigration», raconte Landri Féverin-Mbimingou.
Christian Manga, 24 ans aujourd'hui, veut encore y croire après deux ans en Thaïlande. «Je ne regrette pas. J'ai beaucoup mûri. Tout cela a changé ma façon de penser», dit-il. Même le «rêve européen» plane toujours : «Beaucoup d'Africains ont trouvé ici des connexions pour des pays qui paient mieux, comme la France ou le Portugal. Il y a plein d'opportunités à partir de la Thaïlande, vers le Japon aussi», insiste-t-il. Tout plutôt qu'un retour au pays sans l'auréole de la gloire.
Le problème, estiment beaucoup de ceux qui échouent en Thaïlande, doit être réglé à la source, en Afrique où les complicités locales et la permissivité des règlements des diverses instances du monde du ballon rond assurent la prospérité de cette traite des footballeurs. Mais rares sont ceux qui s'indignent.
Et encore plus rares ceux qui travaillent à redorer l'éthique de ce sport, comme les fondateurs du projet sénégalais Diambars («les Guerriers») - qui compte le joueur de Manchester City, Patrick Vieira. «Malheureusement, dans nos pays, l'industrie du foot est devenue concurrente de l'école. Notre philosophie est de faire de la passion foot un moteur pour l'éducation», dit Saer Seck, un des pionniers du centre ouvert en 2003. Basé à Saly, sur la «Petite Côte» au Sénégal, le centre accueille une centaine de fous de foot.Les jeunes, recrutés à 13 ans ou 14 ans sur leurs valeurs sportives, vont en cours avant d'aller courir sur l'un des deux terrains synthétiques de l'institut Diambars. «Nous formons des footballeurs, mais surtout des hommes», poursuit Saer Seck.
Un contrat de stagiaire au FC Sochaux
Parmi eux, Joseph Romaric Lopy, 19 ans. Il est né comme Aliou dans les faubourgs de la Casamance. Mais sa chance à lui, c'est d'avoir rencontré l'équipe des Diambars. Après cinq années au centre, il vient de signer un contrat de stagiaire au FC Sochaux, dernière marche avant le statut de pro, mais c'est son baccalauréat décroché en 2010 qui réjouit ses coachs.
Seul regret pour Saer Seck, l'absence de soutien des instances nationales et internationales du football. Pas un signe, pas un coup de pouce alors qu'il s'agirait de multiplier ce genre de programme. «Un pays comme le Sénégal ne se développera jamais par le football. Mais par l'éducation.»
Aliou, pour sa part, n'est riche que de ses illusions. Son seul espoir de gain réside dans le match du lendemain, un Get the money où chacun mise 1 000 francs CFA (1,5 euro), avec l'espoir de gagner le double en cas de victoire.
ARNAUD DUBUS (Libération)


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