Le Haut Commissariat au Plan (HCP) a publié les conclusions de son enquête sur le secteur l'informel qui demeure fortement concentré dans le milieu urbain. Le commerce accapare la majeure partie de l'activité. L'enquête livre un constat choc sur le respect des droits sociaux. Détails. Réalisée en 2023/2024, cette enquête concerne toutes les unités de production non agricoles ne disposant pas d'une comptabilité conformément à la réglementation comptable en vigueur au Maroc. Cependant, les activités illicites ou illégales, ni la production volontairement non déclarée ne sont pas prises en compte. Les enquêteurs du HCP se sont basés un échantillon de 12391 unités informelles.
2,03 millions d'unités Selon le rapport, le secteur informel compte environ 2,03 millions d'unités de production informelles en 2023, soit une augmentation de plus de 353 000 unités par rapport à 2014. Cette croissance est principalement urbaine avec 77,3 % des UPI localisées en milieu urbain, et une forte concentration dans la région de Casablanca-Settat (22,7%). Le commerce constitue la principale activité, avec 47% des UPI. Celles-ci sont majoritairement de très petite taille, 85,5 % sont constituées d'une seule personne. La même source fait remarquer que la majorité des unités informelles opèrent sans local professionnel et ont un accès limité aux infrastructures de base. Il s'agit de plus de la moitié des UPI (55,3 %). L'industrie se distingue avec 56,5% d'UPI disposant d'un local professionnel et compte également 22,5% d'unités travaillant à domicile. Le BTP est le secteur qui abrite la proportion la plus élevée d'activités sans local professionnel fixe (90,2%) majoritairement exercées chez le client. L'exercice de l'activité informelle hors local professionnel est souvent lié à des contraintes financières (42,9 %) ou par la nature même de l'activité exercée (42,5 %), notamment dans les secteurs du transport et de la construction. Par ailleurs, l'accès aux infrastructures de base est très inégal. Bien que 94 % des unités disposant d'un local professionnel aient accès à l'électricité, seulement 46 % ont l'eau potable, 43 % un assainissement, et 41 % un accès à Internet. Les unités de plus grande taille (quatre emplois ou plus) bénéficient d'un meilleur accès aux infrastructures de base, tandis que les micro-unités (un seul emploi) font face à un déficit important en la matière.
Seules 9,8 % des unités informelles sont affiliées à la CNSS Les unités informelles sont très peu enregistrées administrativement, même quand elles possèdent un local professionnel. A cet égard, Les taux d'enregistrement administratif restent globalement faibles : seuls 14,2 % des UPI sont inscrites à la taxe professionnelle, 9,8 % sont affiliées à la CNSS, 7,5 % sont enregistrées au registre du commerce, 6,2% sont affiliées au régime de la contribution professionnelle unique (CPU) et à peine 1,7 % bénéficient du statut d'auto-entrepreneur. Ce faible taux d'enregistrement administratif est en grande partie lié aux conditions d'exercice : les UPI disposant d'un local professionnel sont significativement plus nombreuses à entreprendre des démarches d'enregistrement que celles exerçant à domicile ou sans local fixe. Par ailleurs, des disparités sectorielles sont observées : le commerce et l'industrie présentent les taux d'enregistrement les plus élevés, alors que le secteur du BTP reste particulièrement en retrait sur ce plan.
Les contraintes économiques derrière le recours à l'informel
Avant de créer leur UPI, 78,8 % des dirigeants étaient déjà actifs, notamment dans le BTP (81,4 %), avec de fortes disparités de genre : 82,3 % des hommes étaient en emploi contre seulement 36,1 % des femmes. Près de 60 % des chefs d'UPI étaient salariés auparavant. Par ailleurs, 38,3 % des femmes étaient propriétaires d'une autre UPI en tant qu'indépendantes, contre 27,6 % des hommes.
La création d'UPI est principalement motivée par des besoins économiques (68,3 %), avec une part minoritaire (31,7 %) choisissant cette voie par préférence ou tradition familiale. Les femmes, en particulier, accèdent au secteur informel souvent par nécessité (71,9% contre 65,1% pour les hommes) et rencontrent davantage des difficultés pour concilier vie professionnelle et obligations familiales : 30% d'entre elles déclarent éprouver des difficultés à gérer les deux sphères, contre seulement 8,1% des hommes. L'autofinancement domine, très faible recours au crédit bancaire L'autofinancement constitue la principale source de création des UPI (72,2 %), tandis que le recours au financement formel reste marginal (1,1 % pour les crédits bancaires, 0,8% pour les microcrédits). De même, le fonctionnement quotidien des UPI repose quasi exclusivement sur les fonds propres (91,0%). Les financements externes demeurent marginaux : 0,3% via les crédits bancaires, 0,5% via les microcrédits, 2,7% via les crédits auprès les fournisseurs.
Seuls 2,1% des chefs d'UPI disposent d'un compte bancaire dédié à l'activité. L'accès au crédit bancaire est quasi inexistant pour les chefs d'UPI : 97,9 % n'y ont jamais eu recours. Les raisons principales incluent un refus volontaire d'endettement (56,6 %), un manque de besoin (11 %), ainsi que des obstacles structurels comme des garanties trop élevées (20 %) ou un statut juridique inadapté (2,6 %).
Le commerce concentre 44,1 % de l'emploi du secteur informel, suivi des services (28,7 %), de l'industrie (15 %) et du BTP (12,2 %). L'emploi du secteur informel est majoritairement urbain (77,6 %), et la région de Casablanca-Settat en regroupe 23,2 %, suivie de Marrakech-Safi (14 %) et de Rabat-Salé-Kénitra (12,9 %).
Le salariat informel : 60% des employés ne disposent d'aucun contrat Le salariat ne représente que 10,4 % de l'ensemble de l'emploi du secteur informel. Plus de 77% des salariés ont été recrutés via l'entourage familial ou les amis et 60% ne disposent d'aucun contrat. Le salariat est plus fréquent dans l'industrie (17,2 %) et le BTP (15,9 %).
Entre 2014 et 2023, le chiffre d'affaires annuel du secteur informel est passé de 409,4 à 526,9 milliards de dirhams, soit une progression de 28,7 %. Cette hausse reste modérée avec un taux de croissance annuel moyen de 2,6 %. La production informelle a également progressé, atteignant 226,3 milliards de dirhams en 2023, soit une augmentation globale de 22,3%. Or, malgré cette augmentation en valeur absolue, la part du secteur informel dans la production nationale hors agriculture et administration publique est passée de 15% en 2014 à 10,9% en 2023.
Le commerce demeure le secteur principal dans la structure de la production du secteur informel, bien que sa part ait légèrement diminué, passant de 34,7 % en 2014 à 30 % en 2023. En revanche, les services affichent une progression significative, atteignant 24 % en 2023 contre 18,6 % en 2014. Le secteur du BTP se maintient de manière stable autour de 18,4%, contre 18,1 % en 2014. Par ailleurs, la part de l'industrie dans la production du secteur informel a légèrement reculé, passant de 28,6 % à 27,7 %.
Dans l'industrie, l'alimentaire gagne en poids (49,2 % en 2023 contre 36,2 % en 2014), au détriment du textile et habillement (16% contre 27,7%). Les services sont dominés par le transport (37,2%) et la restauration/hôtellerie (29,4%). Le commerce reste centré sur le commerce de détail (63,9%), et les travaux de finition renforcent leur place dans le BTP (57,1%).
Contribution à la valeur ajoutée nationale en diminution
Le secteur informel a généré 138,97 milliards de dirhams de valeur ajoutée en 2023, en hausse par rapport à 2014 (103,34 milliards de dirhams), avec un taux de croissance annuel moyen de 3,06 %. Sa contribution à la valeur ajoutée nationale hors agriculture et administration publique est passée de 16,6% en 2014 à 13,6% en 2023. Le commerce reste le principal secteur contributeur (38,9 % contre 43,1%), en recul, au profit des services (25,6 % contre 19,9 %) et du BTP (14,8 % contre 14,3%). L'industrie, quant à elle, voit sa part diminuer de 22,8 % à 20,8 %.