Le Conseil constitutionnel, la plus haute instance juridictionnelle en France, a validé vendredi la déchéance de nationalité française d'un jihadiste franco-marocain condamné pour terrorisme, dans un contexte d'après-attentats de Paris et de crise diplomatique entre Paris et Rabat. Cette décision était très attendue par le gouvernement socialiste au pouvoir en France, qui entend utiliser cette mesure dans l'éventail des outils de lutte contre le terrorisme après les attaques qui ont fait 17 morts du 7 au 9 janvier à Paris. La décision du Conseil est survenue alors que la France et le Maroc sont en crise diplomatique aiguë depuis près d'un an, après des plaintes pour torture présumée visant de hauts responsables marocains. Depuis, les relations judiciaires bilatérales sont rompues et la coopération antiterroriste gelée. Les dispositions du Code civil français sur la déchéance de nationalité, sur lesquelles s'est appuyée la décision visant le Franco-Marocain Ahmed Sahnouni, sont "conformes à la Constitution", ont jugé les membres du Conseil constitutionnel. Cette semaine, le Premier ministre français Manuel Valls avait jugé que la déchéance était légitime lorsqu'on "décide de s'en prendre à la Nation à laquelle on appartient, soit parce qu'on y est né, soit parce qu'elle vous a accueilli". Selon M. Valls, 28 expulsions administratives de jihadistes étrangers ont eu lieu ces trois dernières années. S'agissant des jihadistes binationaux, le gouvernement avait opté avant l'été pour la déchéance de nationalité pour Ahmed Sahnouni, une décision contestée par son avocat devant le Conseil constitutionnel. Né à Casablanca en 1970 et naturalisé français en février 2003, Ahmed Sahnouni a été privé le 28 mai de sa nationalité française par un décret signé par Manuel Valls et son ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve. Cette mesure est prévue par le code civil pour les personnes ayant acquis la nationalité française et condamnées notamment pour "un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme". Elle est cependant interdite pour les personnes qu'elle aurait pour effet de rendre apatrides. Ahmed Sahnouni avait été condamné en mars 2013 à sept ans de prison pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". La justice lui reprochait d'avoir organisé une filière de recrutement au jihad vers l'Irak, l'Afghanistan, la Somalie et dans la zone sahélo-saharienne. Il est libérable fin 2015. Lors d'une audition devant le Conseil Constitutionnel, son avocat Nurettin Meseci avait plaidé le 13 janvier la rupture d'égalité entre Français de naissance et Français naturalisés introduite, selon lui, par la disposition du code civil. "Existe-t-il des Français plus français que d'autres?", avait lancé l'avocat. "Si le législateur imagine que la lutte contre le terrorisme passe par la déchéance de la nationalité, il se trompe, c'est un mauvais chiffon agité devant l'opinion publique", avait-il aussi estimé. L'avocat avait aussi critiqué "un détournement de procédure" visant selon lui "à expulser son client vers le Maroc, où il risque d'être condamné à vingt ans de prison" pour les mêmes faits. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève, comme il l'avait déjà fait en 1996 dans un autre dossier, "que les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation, mais que la différence de traitement instituée dans le but de la lutte contre le terrorisme ne viole pas le principe d'égalité". Le représentant du gouvernement, Xavier Pottier, avait de son côté rejeté tous les arguments de la défense, qualifiant certains d'"infondés", d'autres d'"inopérants". Parmi les autres mesures sur lesquelles travaille le gouvernement après les attentats de Paris figure une éventuelle intensification du recours à une autre sanction, la peine d'indignité nationale. Celle-ci prévoit la suppression de tous les droits civiques, civils et politiques d'un individu qui conserverait dans le même temps sa nationalité française. Certains ministres sont toutefois réservés. Le recours à cette peine "serait un acte symbolique mais les symboles portent leurs charges (...) Ce n'est pas un symbole que, moi, j'aurais revendiqué", a ainsi déclaré jeudi sur la radio France Inter la ministre de la Justice Christiane Taubira, tout en reconnaissant qu'il revenait aux parlementaires de s'exprimer sur cette question.