Le Sommet "L'Afrique pour l'Océan" organisé à Nice marque un tournant décisif. Longtemps relégué au second plan, l'Atlantique africain s'impose désormais comme un levier géostratégique majeur pour le continent tout entier. Plus qu'un espace maritime, il devient un théâtre de souveraineté, d'innovation et de coopération. Au cœur de cette dynamique, le Maroc incarne un acteur pivot, structurant les échanges Sud-Sud et Nord-Sud. Face à cette réalité, l'Europe n'a plus le luxe de regarder l'Afrique par le prisme de l'aide ou de la tutelle. Elle doit désormais choisir : rester spectatrice ou devenir partenaire de co-construction, dans le respect mutuel des ambitions et des intérêts. Il faut sortir des schémas datés. L'Afrique n'est plus un continent périphérique dans les équations globales : elle est la matrice d'un nouveau centre de gravité géopolitique, économique et climatique. Le temps est venu de repenser les rapports entre l'Europe et l'Afrique non plus à travers le prisme d'une aide asymétrique ou d'un partenariat à géométrie variable, mais en bâtissant un axe souverain, stratégique, océanique. L'Initiative des Etats africains atlantiques, portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, n'est pas une simple addition d'intérêts nationaux : c'est une doctrine, un logiciel nouveau, une géopolitique de l'action ancrée dans le XXIe siècle. Avec 23 pays africains riverains ou concernés, cette initiative crée un précédent. Elle donne des droits d'accès géoéconomiques inédits à des Etats enclavés comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, en les connectant à l'Atlantique via des corridors logistiques, énergétiques et diplomatiques. L'océan cesse d'être une frontière : il devient un espace de solidarité, de mobilité et de développement. C'est une révolution discrète, que l'Europe doit comprendre, soutenir, accompagner. Le Maroc, catalyseur d'un co-développement atlantique Le Maroc n'est pas seulement un carrefour. Il est devenu un catalyseur. Fort de ses 3 500 km de côtes, de sa position entre Méditerranée et Atlantique, du hub mondial Tanger Med, de ses ports verts en construction à Dakhla ou Nador, et de son programme de dessalement à grande échelle, le Royaume a mis en œuvre une vision cohérente de l'économie bleue. Mais cette vision n'est pas nationale, elle est continentale. La façade atlantique africaine représente un potentiel colossal encore sous-exploité. Le Maroc en fait un pivot Sud-Sud et un levier de projection internationale. Son approche est systémique : elle relie sécurité maritime, transition énergétique, intégration logistique, protection de la biodiversité et inclusion sociale. Elle s'adresse autant aux Etats côtiers qu'aux pays sahéliens. Elle donne un contenu concret à l'idée d'économie de la souveraineté : souveraineté alimentaire par la pêche durable, énergétique avec le gazoduc Nigeria-Maroc, territoriale via les infrastructures portuaires et routières. Là où certains parlent de l'Afrique, le Maroc agit avec elle. Lire aussi : Nasser Bourita: « L'Atlantique est un espace géostratégique essentiel pour le Maroc » Une alliance France–Maroc au service de l'Afrique des solutions Dans ce nouveau contexte, la France et le Maroc sont appelés à jouer un rôle déterminant, non pas en tête-à-tête, mais ensemble, au service du continent. L'un possède la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde, une ingénierie maritime de pointe, une capacité de projection scientifique (Ifremer, Cerema, CNRS). L'autre incarne une ambition africaine assumée, un pragmatisme stratégique et une proximité politique rare avec les peuples et les gouvernements africains. Cette alliance bleue franco-marocaine peut devenir un moteur de diplomatie climatique, d'innovation technologique et de résilience géopolitique. Elle permettrait de créer des laboratoires conjoints dans les villes littorales africaines (Essaouira, Safi, Dakhla, Agadir), mêlant expertise française, ingénierie marocaine et ancrage local africain. Loin des centres technocratiques parisiens ou des logiques descendantes, cette alliance ferait de la mer non plus un objet d'étude, mais un territoire de preuves. Changer d'échelle, changer de logiciel Ce que propose l'Initiative Atlantique, c'est un changement d'échelle. Il ne s'agit plus seulement de protéger les mers, mais de les penser comme infrastructures géopolitiques. Il ne s'agit plus d'exporter des modèles, mais d'essaimer des solutions hybrides, issues du terrain. Cette approche appelle à un nouveau multilatéralisme maritime, fondé sur l'interdépendance volontaire, la sécurité collective, la gestion partagée des ressources et la redistribution équitable des richesses océaniques. L'Europe, pour rester crédible, doit elle aussi changer de logiciel. Elle ne peut pas parler de partenariats stratégiques si elle reste enfermée dans une logique postcoloniale ou purement technocratique. Elle doit reconnaître que l'Afrique innove, propose, agit, et que certains pays africains, à commencer par le Maroc, peuvent être des copilotes, et non de simples bénéficiaires. L'Initiative Atlantique n'est pas un supplément d'âme. C'est le cœur d'une nouvelle architecture africaine, que les partenaires européens feraient bien d'adopter s'ils veulent redevenir des acteurs influents du XXIe siècle. L'heure des preuves, pas des promesses Nous sommes à un tournant. La Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC 3) à Nice est une chance historique : celle de sortir du verbe, des résolutions sans lendemain, et de passer à l'action concrète, concertée, structurante. Appeler à la coopération ne suffit plus. Il faut agir : relier les territoires, financer, décloisonner. Une Task Force franco-marocaine, orientée vers les villes et les régions côtières africaines, pourrait naître à Nice. Elle associerait acteurs publics, investisseurs privés, centres de recherche, institutions multilatérales et communautés locales. Elle traduirait l'Initiative Atlantique en projets tangibles : ports intelligents, stations de dessalement, fermes aquacoles durables, zones maritimes protégées, formations techniques. C'est ainsi que naît une diplomatie utile : dans la mise en œuvre, dans le concret, dans le terrain. Le XXIe siècle sera atlantique, ou il ne sera pas. Et dans cet Atlantique, l'Afrique n'est plus l'arrière-cour du monde : elle est sa rive d'avenir. (*)Yassin LAMAOUI Conseillé en diplomatie économique et stratégies d'influence, spécialiste des relations euro-africaines.