En marge de la 26e édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, le directeur général de l'IFC – Société Financière Internationale (SFI) -, Makhtar Diop, a accordé un entretien exclusif à Maroc diplomatique, mêlant réflexion stratégique et regard personnel sur les liens profonds entre culture et développement. Présent à Essaouira dans le cadre d'une tournée nord-africaine qui l'a mené du Caire à Rabat, l'ancien ministre sénégalais de l'Economie incarne une vision du développement résolument transversale, où les arts, le tourisme, les infrastructures et l'investissement privé s'articulent autour d'une même ambition : bâtir des économies africaines résilientes, inclusives et compétitives. « Le lien entre culture et développement est très fort », affirme d'emblée Makhtar Diop. Selon lui, la culture ne constitue pas un simple ornement social ou une vitrine identitaire : elle est un levier économique à part entière, agissant sur l'emploi, le rayonnement international des nations — le soft power — et la stimulation des investissements en infrastructures. « Lorsqu'on veut développer la culture et le tourisme, on est contraint de penser aux infrastructures », rappelle-t-il, citant le Maroc comme modèle d'intégration stratégique. Cette vision est au cœur des échanges qu'il a eus, lors de sa visite au Maroc, avec le chef du gouvernement, M. Aziz Akhannouch, les ministres de l'Economie, du Budget et de la Culture. « Nous avons discuté du rôle que peut jouer la culture dans le développement marocain, notamment à travers le tourisme », précise-t-il. Car au-delà de la croissance quantitative des flux touristiques, le défi consiste désormais à accroître la qualité et la valeur ajoutée des séjours, en favorisant des expériences culturelles qui incitent les visiteurs à dépenser davantage sur place. La SFI entend articuler son action autour de quatre axes touristiques majeurs : le tourisme balnéaire, déjà bien ancré au Maroc ; le tourisme culturel, illustré par des événements comme le festival d'Essaouira ; le tourisme de santé, encore émergent ; et le tourisme d'affaires, à forte intensité en infrastructures. Pour Makhtar Diop, le festival Gnaoua est un exemple abouti de valorisation patrimoniale : « Le fait de transformer une tradition comme celle des Gnaouas en patrimoine de l'humanité reconnu par l'UNESCO, puis de bâtir un festival international autour d'elle, démontre comment la culture peut devenir un facteur d'attractivité durable ». Lire aussi : Musiques gnaoua et rythmes amazighs enchantent le public du Festival d'Essaouira Cette approche nécessite également des équipements à la hauteur. La SFI soutient actuellement un fonds dédié à la construction de petites arénas (entre 5 000 et 9 000 places) à travers l'Afrique, pour faciliter les tournées d'artistes et l'essor d'une économie culturelle régionale. Au Maroc, plusieurs projets d'infrastructures sont en discussion, notamment à Rabat, Marrakech et Casablanca. « Ces arénas permettront d'organiser des événements culturels et sportifs de manière plus régulière, de professionnaliser le secteur et de créer de l'emploi local », souligne-t-il. Football, Coupe du monde et investissements massifs Dans le sillage des grands événements sportifs continentaux — Coupe d'Afrique des Nations, Coupe du monde 2030 — la SFI s'implique aussi dans les infrastructures sportives. Makhtar Diop évoque des discussions en cours avec le gouvernement marocain sur les équipements nécessaires à l'accueil de ces compétitions majeures. L'ambition est claire : faire de la culture et du sport des moteurs de transformation économique. Cette dynamique s'inscrit dans une stratégie d'investissement plus vaste. En 2025, la SFI prévoit d'engager plus de 1,3 milliard de dollars au Maroc, répartis entre entreprises locales et initiatives d'expansion régionale. C'est notamment le cas de Maroc Telecom, avec qui un financement de 400 millions de dollars vient d'être signé pour soutenir son implantation au Tchad et au Mali. « Nous encourageons les champions africains à se projeter au-delà de leurs frontières », explique-t-il, en référence à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qu'il espère voir alimentée par des dynamiques entrepreneuriales intracontinentales robustes. Au fil de l'entretien, le propos se fait plus personnel. Makhtar Diop, amateur de jazz et fin connaisseur des musiques traditionnelles africaines, rappelle que la culture fut l'un des piliers de la diplomatie sénégalaise dès les premières années d'indépendance. « Ce n'est pas un hasard si le Sénégal rayonnait culturellement sous l'ancien président, Léopold Sedar Senghor. Il y avait une élite politique tournée vers les arts », affirme-t-il. Il voit aujourd'hui au Maroc une résonance de cette tradition. « Ce qui me frappe ici, c'est que l'élite marocaine — qu'elle soit politique, financière ou économique — est fortement impliquée dans la culture. Il y a un nombre impressionnant de collectionneurs, de mécènes, de passionnés d'art », dit-il, saluant la richesse du tissu culturel national. Il mentionne également ses échanges avec Neila Tazi, productrice du Festival Gnaoua, qu'il décrit comme une figure essentielle du rayonnement culturel marocain. La culture comme enjeu panafricain À travers son podcast Creative Development with IFC, qui en est à sa quatrième saison, Makhtar Diop promeut cette convergence entre culture, sport et développement. Parmi ses invités : Youssou Ndour, Baba Maal, Don Cheadle, Antonio Rüdiger... tous engagés à démontrer que la réussite artistique ou sportive peut s'arrimer aux grands objectifs de développement durable. Son message est clair : les leaders africains doivent reconnaître la culture comme un levier stratégique et non comme un supplément d'âme. « J'en appelle aux décideurs du continent : la culture est une composante essentielle de notre développement. Elle doit être portée par des politiques publiques ambitieuses, mais aussi par l'engagement des élites économiques », plaide-t-il. Makhtar Diop conclut l'entretien par un mot de reconnaissance à l'égard du Maroc. Il se félicite de la qualité des partenariats avec des institutions telles que l'OCP, l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) ou encore Maroc Telecom. « Ce sont des partenaires engagés, crédibles, stratégiques pour notre action en Afrique. Notre coopération ne fera que s'intensifier », assure-t-il. À Essaouira, entre un concert de jazz gnawi et débats, le financier sénégalais rappelle que le développement est aussi affaire de sens, d'âme et de beauté.