À l'heure où le Maroc aborde une nouvelle phase de son développement économique et institutionnel, la lutte contre la corruption s'impose comme un chantier national prioritaire. Présente mercredi devant les conseillers de la deuxième Chambre, l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) a livré un exposé dense et sans concession sur l'état de la gouvernance publique, les failles persistantes et les leviers d'action envisagés pour la période 2025–2030. Au centre du propos : un constat préoccupant. Douze ans après l'adoption de la Constitution de 2011, qui a élevé l'INPPLC au rang d'institution constitutionnelle de contrôle, le Maroc ne parvient toujours pas à infléchir durablement les indicateurs internationaux relatifs à la corruption. Le pays demeure en effet figé à 37/100 dans l'indice de perception de la corruption publié par Transparency International, un score identique à celui qu'il enregistrait déjà en... 2012. Et si la stabilité du score pourrait, à première vue, suggérer une forme de résistance aux phénomènes corruptifs, le classement mondial raconte autre chose : le Maroc se situe désormais à la 99e place sur 180 pays, soit une baisse nette de 26 rangs depuis 2018. Un retard structurel illustré par les indicateurs internationaux Au-delà du seul CPI, plusieurs autres métriques internationales accentuent ce diagnostic. Le World Justice Project acte une nouvelle dégradation du Maroc dans le champ de la primauté du droit, tandis que les indices du PRS Group, de l'Economist Intelligence Unit ou encore du V-Dem Institute font état d'un recul dans la gestion des risques, la qualité institutionnelle et les pratiques démocratiques. Le pays stagne également dans la matrice Trace Bribery, un outil spécialisé dans la mesure des risques de corruption dans l'administration, où son score de 56/100 demeure supérieur à la moyenne mondiale mais révèle des tensions persistantes dans l'accès à l'administration et la transparence des services publics. Au regard de ces performances, l'INPPLC insiste sur la nécessité d'une approche renouvelée. « Lutter contre la corruption n'est pas une bataille morale, mais un impératif de développement », rappelle l'institution. Les estimations internationales appuient ce propos : selon le FMI et la Banque mondiale, la corruption peut coûter entre 3 % et 5 % du PIB mondial, tandis que la Banque africaine de développement avance un coût équivalent à 6 % du PIB continental. Au sein de l'Union européenne, ce fardeau atteint jusqu'à 6,3 % du PIB. Autant d'ordres de grandeur qui laissent imaginer l'impact économique potentiellement subi par le Maroc. Une décennie de réformes, mais des résultats mitigés Le royaume s'est pourtant doté depuis 2015 d'une Stratégie nationale de lutte contre la corruption, articulée autour de dix programmes : amélioration du service au citoyen, digitalisation, accès à l'information, éthique, contrôle interne, poursuites, commande publique, intégrité du secteur privé, communication et éducation. Si certains chantiers ont avancé – notamment en matière de digitalisation ou d'accès aux données –, d'autres ont peiné à se déployer ou n'ont pas produit l'impact attendu sur la vie des citoyens. Le bilan global, dressé par l'INPPLC elle-même, apparaît contrasté : plus de quarante chantiers et études ont été réalisés, mais une partie des projets structurants, tels que la systématisation des cartographies de risques ou la mise en place d'un système national de signalement de la corruption, reste inachevée. L'impact sur le quotidien des usagers, lui, demeure limité. L'INPPLC muscle sa gouvernance interne Pour renforcer ses capacités, l'Instance s'est dotée en 2025 d'un nouveau règlement intérieur et s'appuie désormais sur un conseil ayant adopté 67 décisions depuis sa mise en place. Des comités permanents se consacrent à la législation, à l'intégrité du secteur privé, à l'audit interne ou encore à la formation. Un observatoire national – le « Merçad » – est chargé de produire des données objectives sur la corruption, de suivre les indicateurs internationaux et d'élaborer des cartographies sectorielles. Sur le plan opérationnel, l'INPPLC a également renforcé ses ressources humaines, passant de 1 employé en 2023 à 99 salariés fin 2025. Le projet de loi de finances 2026 prévoit la création de 35 nouveaux postes, un signe de montée en puissance de l'institution. Budget 2026 : un effort d'investissement marqué Le budget de l'INPPLC pour 2026 s'élève à 70 millions de dirhams, avec un accent particulier sur l'investissement. Dix millions seront consacrés à la construction du siège, tandis que près de 14 millions financeront la modernisation numérique des plateformes et systèmes d'information de l'Instance. L'année verra également le renforcement des représentations régionales – dont la dotation augmente de 470 % –, la production d'études stratégiques ou la mise en place de dispositifs de sensibilisation. La lutte anticorruption ne pouvant être menée en silo, l'INPPLC s'appuie sur un réseau national et international étoffé. Au Maroc, des accords de coopération ont été signés avec la DGSN, Bank Al-Maghrib, la CGEM, le ministère de la Justice, le HCP, ainsi que plusieurs autorités de régulation sectorielles. Sur le plan international, l'Instance collabore avec l'Agence française anticorruption, Hong Kong ICAC, la République de Corée, les Émirats arabes unis, la Côte d'Ivoire ou encore l'Irak. Le Maroc a en outre adhéré en 2025 à la Recommandation de l'OCDE sur l'intégrité publique, marquant une étape importante dans l'alignement du pays sur les standards internationaux. Une nouvelle stratégie 2025–2030 en gestation Pour la période 2025–2030, l'INPPLC prépare une nouvelle stratégie quinquennale articulée autour d'un objectif central : faire baisser de manière mesurable la corruption dans le pays. Parmi les priorités annoncées figurent la mise en place d'un système national d'indicateurs pour mesurer l'intégrité, un système sécurisé de signalement accessible au public, le déploiement d'un centre d'appel national, la création d'une Académie marocaine de l'intégrité, la généralisation des cartographies de risques dans les administrations et une veille législative continue pour identifier et corriger les failles juridiques. La philosophie générale se veut claire : il s'agit désormais de passer de la planification à l'exécution, et de la norme à l'impact. Au terme de sa présentation, l'INPPLC affirme que les conditions sont aujourd'hui réunies pour engager une nouvelle phase de rupture : meilleure coordination institutionnelle, montée en puissance des outils analytiques, adhésion à des référentiels internationaux, et volonté politique réaffirmée. Reste un défi immense : celui de la confiance. Car la lutte contre la corruption ne se mesure pas seulement par des lois ou des outils, mais par la transformation effective des pratiques administratives et la perception des citoyens souligne l'INPPLC dans son exposé. C'est à ce prix que le Maroc pourra prétendre à un véritable décollage institutionnel et économique.