Adopté à la majorité le 15 mai 2025 par la commission de la justice, de la législation, des droits de l'homme et des libertés à la Chambre des représentants, le nouveau Code de procédure pénale continue de susciter des remous au sein de la société marocaine. Derrière le vote favorable de 18 parlementaires contre 7 opposants, aucunement atténué par une quelconque abstention, se dessine une réforme aussi structurante que controversée. À l'origine de cette tension, un texte central dans l'édifice juridique national, que le ministre de la Justice, M. Abdellatif Ouahbi, présente comme un « tournant » dans l'harmonisation des garanties fondamentales avec les impératifs sécuritaires de l'Etat. Mais pour de nombreux acteurs de la société civile, cette réforme compromet gravement les acquis démocratiques en matière de lutte contre la corruption, de protection des libertés, et de contrôle citoyen sur les affaires publiques. C'est dans ce climat de crispation que 23 organisations de la société civile et de défense des droits humains ont annoncé, ce 23 juin, une série d'initiatives visant à contester vigoureusement les amendements introduits par le gouvernement dans le projet de réforme. Regroupées au sein de l'« Initiative civile », ces associations souhaitent faire entendre leur voix dans un débat où elles estiment avoir été marginalisées. Une conférence de presse est prévue le mercredi 25 juin au siège du Syndicat national des journalistes marocains à Rabat, au cours de laquelle la coalition présentera un mémorandum de contestation détaillant ses griefs. Une manifestation est également annoncée devant le Parlement le 1er juillet à 18h, dans le but de « rejeter les amendements liberticides et exiger une législation garantissant la place de la société civile dans la lutte contre la corruption ». Parmi les signataires, figurent des entités de référence telles que l'Association marocaine des droits de l'homme, la Ligue marocaine de défense des droits de l'homme, le Réseau marocain de protection des fonds publics, ou encore l'Ordre des avocats du Maroc. Tous dénoncent, dans un communiqué commun, des dispositions qui affaibliraient les mécanismes d'alerte civique, compromettant ainsi le rôle de contre-pouvoir assumé depuis deux décennies par les ONG. Lire aussi : Violence faite aux femmes : la loi tiendra compte des propositions de la société civile Un débat parlementaire marqué par une avalanche d'amendements L'examen du projet de loi n°03.23 a donné lieu à une séquence parlementaire particulièrement animée. Pas moins de 1 384 propositions d'amendement ont été soumises lors des travaux en commission – un chiffre record, que le président de la commission, Saïd Baaziz, n'a pas manqué de souligner, évoquant une « première dans l'histoire du travail législatif national ». À lui seul, le groupe Justice et développement en a déposé 435. Le groupe socialiste-opposition ittihadie a suivi avec 308 propositions, devant le groupe haraki (186) et le parti du progrès et du socialisme (167). Même les députées non affiliées ont contribué activement : Fatima Tamni (55 amendements), Chafika Lachraf (42), Nabila Mounib (24) ou Rim Chabat (12). À titre de comparaison, les groupes de la majorité n'ont proposé « que » 155 amendements, illustrant la relative discipline de vote des soutiens de l'exécutif. Ce foisonnement d'amendements, s'il témoigne de la richesse du débat, reflète aussi l'extrême sensibilité d'un texte qui reconfigure en profondeur l'équilibre entre prérogatives répressives de l'Etat et libertés individuelles. Plusieurs dispositions ont ainsi cristallisé les tensions au sein de l'hémicycle. Des articles au cœur de la controverse Les articles 3 et 7, qui traitent de la recevabilité des plaintes émanant d'associations dans les affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics, figurent parmi les points les plus critiqués. Leur réécriture, jugée restrictive, est perçue par les ONG comme une tentative de neutraliser leur capacité à initier des poursuites, notamment dans les cas de délits financiers commis par des élus ou hauts responsables. Autre point de friction : l'encadrement du recours à la garde à vue, dont la durée et les modalités soulèvent régulièrement des inquiétudes en matière de droits de la défense. Par ailleurs, l'exigence de traduction assermentée dans les commissions rogatoires internationales lorsque la langue utilisée n'est pas l'arabe a suscité un vif débat, certains y voyant une entrave à la coopération judiciaire internationale. Enfin, les immunités procédurales dont bénéficient les parlementaires continuent d'alimenter les suspicions dans l'opinion, au moment même où la lutte contre l'impunité est devenue un cheval de bataille des réformes institutionnelles. Une réforme à double lecture Pour le gouvernement, l'adoption du projet constitue une avancée significative. Le ministre Ouahbi a rappelé que « plus de 200 amendements ont été retenus », traduisant selon lui une volonté de compromis. Il a salué l'émergence d'une « vision commune » permettant d'aborder avec sérénité la suite du processus législatif, notamment l'examen attendu au sein de la Chambre des conseillers et, à terme, la révision du Code de procédure civile. Du côté de la majorité, on insiste sur l'effort de modernisation d'une architecture juridique devenue obsolète. Le nouveau texte, expliquent plusieurs députés, répond à la nécessité de renforcer les garanties d'un procès équitable, conformément à la Constitution et aux engagements internationaux du Maroc. Mais pour les associations et une partie de l'opposition, la réforme, en l'état, affaiblit le contrôle citoyen et recentralise excessivement le pouvoir d'instruction entre les mains des magistrats et des forces de l'ordre, au détriment de l'implication des acteurs civils. C'est à ce titre qu'elles appellent à un réexamen en profondeur de plusieurs articles avant l'adoption finale du texte. L'enjeu est d'autant plus sensible que le Maroc, dans sa quête d'un nouveau modèle de développement, s'est engagé à renforcer l'Etat de droit, l'indépendance de la justice et la redevabilité des décideurs publics. Le bras de fer actuel autour du Code de procédure pénale s'inscrit dans ce contexte : entre exigences d'efficacité judiciaire et impératif de protection des libertés fondamentales, la ligne de crête est étroite, et les arbitrages à venir scrutés de près par l'opinion, les ONG et les partenaires internationaux.