L'ancien président français Nicolas Sarkozy a été incarcéré mardi à la prison parisienne de la Santé, près d'un mois après sa condamnation pour association de malfaiteurs dans l'affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle, une détention inédite dans l'histoire de la République. Le Brésilien Lula ou le Sud-Africain Jacob Zuma ont dormi en prison après avoir quitté le pouvoir. Mais ce n'est arrivé à aucun ancien chef d'Etat de l'Union européenne. Âgé de 70 ans, Nicolas Sarkozy est arrivé à la prison de la Santé, dans le sud de Paris, peu avant 09H40 (07H40 GMT), accueilli par des « Oh bienvenue Sarkozy! », « Y'a Sarkozy! » de détenus depuis les cellules. Trente minutes plus tôt, il avait quitté son domicile d'un quartier cossu de l'ouest parisien sous les cris de « Libérez Nicolas! », dans un ultime bain de foule, en compagnie de son épouse Carla Bruni. L'ancien président (2007-2012) a été condamné le 25 septembre à cinq ans de prison, reconnu coupable d'avoir, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, laissé ses deux plus proches collaborateurs entamer des pourparlers à Tripoli, en vue d'un financement occulte de sa campagne présidentielle de 2007 par la Libye de Mouammar Kadhafi, qui ne s'est toutefois pas matérialisé, selon la justice. En cause, des réunions fin 2005 de Claude Guéant et Brice Hortefeux avec Abdallah Senoussi, beau-frère du dictateur libyen, sous le coup d'une condamnation à perpétuité en France pour l'attentat contre un DC-10 d'UTA en 1989, dans lequel 170 personnes, dont 54 Français, ont trouvé la mort au-dessus du désert du Ténéré (Niger). « Ce n'est pas un ancien président de la République que l'on enferme, c'est un innocent », a réaffirmé mardi matin dans un message sur X l'ancien chef de l'Etat, qui s'est régulièrement comparé à Alfred Dreyfus, l'officier envoyé au bagne en 1895 pour trahison sur la foi d'un faux document et sur fond d'antisémitisme débridé. Plus encore que sa condamnation, la demande d'incarcération avait suscité la stupeur. Les juges du tribunal correctionnel de Paris l'avaient justifiée par la « gravité exceptionnelle » de faits « de nature à altérer la confiance des citoyens ». Il a déposé une demande de mise en liberté immédiatement après son placement en détention, ont indiqué ses avocats, qui ont qualifié son incarcération de « honte ». La justice aura deux mois pour trancher, même si le délai devrait être plus court. « Quoi qu'il arrive », ce sera « trois semaines, un mois de détention », avait estimé un peu plus tôt son avocat Christophe Ingrain sur la radio Europe 1. En attendant une éventuelle libération, Nicolas Sarkozy sera confronté à la solitude. Le régime d'isolement sous lequel il sera placé prévoit une promenade par jour, seul, dans une courette de quelques mètres carrés. Il aura accès selon un planning établi à une des trois petites salles de sport du quartier pénitentiaire ou à la pièce qui fait office de bibliothèque. Il a confié qu'il avait pris pour lecture une biographie de Jésus et du roman « Le Comte de Monte-Cristo », un homme qui se venge après une condamnation injuste. Ancienne figure tutélaire de la droite française, toujours régulièrement consulté par ses chefs, Nicolas Sarkozy a reçu le soutien de son camp. L'ex-chef de l'Etat a également été reçu vendredi à l'Elysée par Emmanuel Macron, qui a jugé cette entrevue « normale », « sur le plan humain ». « J'ai eu des propos publics toujours très clairs sur l'indépendance de l'autorité judiciaire dans le rôle qui est le mien », a affirmé le président français. « Mais il était normal que sur le plan humain, je reçoive un de mes prédécesseurs, dans ce contexte ». Le ministre de la Justice Gérald Darmanin, un proche de l'ancien dirigeant, a assuré qu'il irait le « voir en prison », s'inquiétant des « conditions de sécurité » lors de sa détention. Un choix dénoncé par les syndicats de magistrats, qui pointent une « confusion des rôles », et par le plus haut procureur de France. Une telle visite présenterait un risque « d'atteinte à l'indépendance des magistrats », a mis en garde mardi le plus haut procureur de France, Rémy Heitz, évoquant un « risque d'obstacle à la sérénité » avant les prochaines échéances judiciaires dans le dossier libyen et notamment le procès en appel.