Ce 11 juillet, l'université d'Aix-Marseille remet à Mostafa Terrab, président-directeur général du Groupe OCP, l'un des esprits les plus féconds du Maroc contemporain, les insignes de docteur honoris causa. Un acte institutionnel en apparence, mais aux accents profondément politiques, intellectuels et symboliques. En distinguant ce dirigeant discret, l'université française consacre un projet singulier, celui d'un leadership africain par le savoir, la science et la souveraineté industrielle. Un profil rare, forgé entre ingénierie, stratégie et service public Né à Fès en 1955, formé à l'Ecole nationale des ponts et chaussées et titulaire d'un doctorat du MIT en recherche opérationnelle, Terrab a très tôt conjugué rigueur scientifique et pensée stratégique. Après un passage chez Bechtel, il enseigne brièvement au MIT, puis rejoint l'Institut polytechnique de Rensselaer. Son retour au Maroc, dans les années 1990, le verra occuper des fonctions clés : directeur général de l'ANRT, architecte de la libéralisation des télécoms, puis conseiller au Cabinet royal et expert à la Banque mondiale. En 2006, il prend la tête de l'OCP, alors en quête d'une réinvention. Le changement opéré sous sa conduite est radical : d'un office minier exportateur, il fait un groupe global intégré, au service d'un modèle économique centré sur l'Afrique et la durabilité. Ce n'est pas une simple privatisation modernisée, c'est une refondation industrielle avec une finalité géopolitique. L'OCP, d'acteur national à vecteur de puissance continentale Terrab imprime à l'OCP un tournant stratégique fondé sur l'ancrage africain, la transition énergétique et le co-développement agricole. Le groupe investit plus de 200 milliards de dirhams en infrastructures novatrices, dont un pipeline de 235 km entre Khouribga et Jorf Lasfar, la digitalisation des chaînes de valeur, ou encore la décarbonation de la production. Mais l'innovation est aussi diplomatique. L'OCP engage des partenariats stratégiques dans plus de 20 pays africains, mettant en place des unités locales de blending, adaptant ses engrais aux sols et aux cultures régionales, et facilitant les transferts de technologies agricoles. Cette logique va au-delà du commerce. Il s'agit de coproduire, cofinancer, cogérer des solutions agricoles et énergétiques au service des économies africaines. Un vrai contre-modèle aux logiques extractives classiques. LIRE AUSSI : OCP Nutricrops et BADC scellent un partenariat pour 1,1 million de tonnes d'engrais non uréiques Cette stratégie, alignée sur la Vision Royale d'un Maroc « pivot africain », traduit une ambition de souveraineté productive, écologique et régionale. L'OCP devient ainsi acteur du développement durable africain, à la fois sur les plans agricole, environnemental et scientifique. L'UM6P : un pari éducatif pour le continent En 2013, Mostafa Terrab lance ce qui restera peut-être son chantier le plus audacieux : l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), à Benguerir. Adossée à l'OCP, cette institution est conçue comme un écosystème de recherche appliquée et un accélérateur de talents africains. L'université attire aujourd'hui des chercheurs internationaux et des milliers d'étudiants issus du continent. Elle s'organise en campus connectés, développe des pôles d'excellence en agriculture de précision, énergies renouvelables, biotechnologies, intelligence artificielle, data science, etc. L'UM6P n'est pas une vitrine institutionnelle, mais bien un outil de souveraineté cognitive, dans une Afrique qui aspire à penser par elle-même et pour elle-même. Elle représente aussi une réponse concrète à la fuite des cerveaux. Au lieu de voir ses jeunes talents s'exiler, le Maroc leur offre les conditions d'un ancrage compétitif, sur place, dans une logique de rayonnement Sud-Sud. Un leadership sans bruit, enraciné dans l'éthique du long terme Mostafa Terrab se distingue par sa discrétion assumée. Pas de surexposition médiatique, pas de posture héroïque. Il préfère les amphithéâtres aux projecteurs, les think tanks internationaux (Council on Foreign Relations, Club de Rome, International Fertilizer Association qu'il préside depuis 2019) aux tribunes politiques. Homme de lettres autant que de chiffres, il incarne une certaine idée du service public : l'efficacité sans éclat, l'ambition sans vanité. Cette reconnaissance venue de France, après celle de Polytechnique Montréal en 2022, s'inscrit dans une trajectoire cohérente, celle d'un homme qui, loin des effets d'annonce, construit des institutions pérennes et des outils de transformation systémique. À travers lui, c'est le Maroc qui affirme une voix singulière, tournée vers l'avenir et enracinée dans les défis de son continent. Une boussole pour les générations futures Dans un monde fragmenté par les crises, traversé par les tensions identitaires et les replis souverainistes, le parcours de Terrab incarne une autre voie. Celle d'un Marocain, africain et universel, au service d'un développement éclairé. Un modèle de leadership sans fracas, fondé sur la connaissance, la coopération et la constance. Ce doctorat honoris causa, bien plus qu'un hommage personnel, est un signal adressé à la jeunesse africaine : l'excellence n'est pas un privilège exogène, elle peut émerger du Sud, s'enraciner sur le continent et rayonner avec fierté. Mostafa Terrab ne donne pas de leçon. Il laisse parler les institutions qu'il bâtit, les équipes qu'il inspire, les transitions qu'il amorce. Son œuvre est déjà celle d'un homme d'Etat, sans les habits du pouvoir. Une Afrique qui forme, qui produit, qui innove : voilà l'héritage discret mais profond qu'il propose.