En termes d'élus parlementaires (une des manières de mesurer la force d'un parti), le PJD est le premier, suivi du PAM, puis de l'Istiqlal. Et les trois formations ont un très sérieux problème de leadership et de positionnement, n'ayant pas de dirigeant incontesté et ne disposant pas de vision politique et sociale attestée. Benkirane, el Omari et Chabat sont sur le départ, ou partis, et ce qui arrive dans le proche avenir n'augure rien de bon. Le PJD et la crise de croissance A tout seigneur, tout honneur… Le PJD est de loin le premier parti au Maroc, aussi bien en nombre d'élus parlementaires qu'en termes de « maires » de grandes villes. Il a réussi les exploits électoraux de 2015 et 2016 après avoir dirigé le gouvernement pendant plusieurs années. Le secret de ces succès réside dans le « sérieux » affiché dans la gestion et dans l'intégrité de ses responsables, en situation de pouvoir ou non. Le PJD est proche de ses militants et le parti vit et se montre très actif, surtout en périodes non électorales. Ses instances se réunissent régulièrement, et malgré des tiraillements et autres échauffourées entre dirigeants, les choses vont bien car les règlements sont respectés. Mais pas tout à fait, depuis quelques temps… En effet, après sa révocation de la présidence du gouvernement, ce 15 mars, par le roi Mohammed VI, le secrétaire général Abdelilah Benkirane traverse une passe personnelle difficile. Il ne se remet tout simplement pas de son départ du gouvernement, et encore moins du choix de son challenger personnel au sein de la mouvance, en l'occurrence Saadeddine Elotmani. Et de fait, les réunions du secrétariat général se sont espacées, et à chacune de ses sorties, Benkirane en profite pour déployer ses grandes envolées et distiller ses petites phrases. En filigrane, un troisième mandat de secrétaire général pour lui, ce que les statuts du PJD interdisent. Un jeu de rôles s'est installé entre dirigeants, les uns, formant l'écrasante majorité, ayant compris que la page Benkirane est tournée, et les autres, en général des recalés du gouvernement, insistant pour maintenir l'actuel chef en fonction, ce qui nécessitera que le parti fasse quelque entorse à ses règlements internes, principalement l'article 16 qui limite le nombre de mandat du secrétaire général à deux. Le parti est donc divisé en deux clans, les inconditionnels de Benkirane, apôtres du changement des statuts, et les autres, qui croient davantage dans l'institution que dans la personnalisation. On en est là, avec l'actuel chef du gouvernement, Saadeddine Elotmani, lui-même ancien secrétaire général du parti (2004-2008) et favori pour la succession de Benkirane. Le match continue… Résultat le 10 décembre 2017. Le PAM et la crise d'existence Ce parti, créé en 2008 par Fouad Ali el Himma, ancien ministre délégué à l'Intérieur et actuel conseiller du roi Mohammed VI, a vu le jour avec l'objectif déclaré, affiché et assumé d'en découdre avec le PJD et de le bouter, voire le buter – électoralement –, hors des institutions. Il y a réussi en 2009, lors des municipales, avec le ministère de l'Intérieur à la manœuvre et dans le rôle du levier. En 2015, ce même ministère s'étant mis en retrait sur instructions royales, le PAM s'est effondré face au PJD, perdant toutes les grandes villes. Toutes ? Oui, toutes, aucune n'ayant résisté au rouleau compresseur islamiste. En 2016, l'histoire se répète et le PAM, malgré un coup de main sensible et visible de l'Intérieur, s'est encore incliné devant le PJD, qui a remporté 125 sièges, contre 102 pour lui. L'arrivée officielle d'Ilyas el Omari à la tête de ce dernier n'a pas changé grand-chose à ce qui était prévu. Et puis la crise d'al Hoceima a fait le reste et, en août, El Omari a, à la surprise générale, quitté le navire, le laissant sans capitaine, dans une sorte de quarantaine politique. Il n'existe aujourd'hui pas de successeur affiché qui se détacherait du lot des nombreux prétendants, plus pâles les uns que les autres. Mohamed Cheikh Biadillah et Hassan Benaddi sont des « has been », Mustapha Bakkoury « s'occupe de son soleil », pour reprendre la formule de Benkirane, et de la Région Casablanca-Settat, deux tâches dont il s'acquitte fort bien au demeurant, Fatima Zahra Mansouri, cheffe du Conseil national, n'a pas l'envergure de la fonction, ayant été « faite » par le partant El Omari, Habib Belkouch assurant la transition mais inconnu du grand public et Me Abdellatif Ouahbi en embuscade mais trop volatile pour diriger un parti qui peine à exister. Le suspense, largement négligé par une opinion publique tout aussi largement indifférente, prendra fin en octobre… L'Istiqlal et la crise d'inconstance… Hamid Chabat est arrivé dans les fourgons et les valises d'Abbas el Fassi, battant facilement en septembre 2012 un Abdelouahed el Fassi qui n'a ni trop insisté pour gagner ni trop persisté dans la lutte après sa défaite. Chabat est venu avec ses gros sabots et cinq plus tard, l'Istiqlal est en lambeaux. Il a trôné cinq ans durant à la tête d'un Comité exécutif formé essentiellement de deux clans : les soumis et dociles d'un côté, des pieds nickelés de l'autre (Baddou, Ghellab…). Il a passé toute cette période à s'attaquer au chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, fonction pour laquelle il a été adoubé pour remporter la fonction suprême à la tête du plus vieux parti du Maroc, et l'un des plus anciens au monde. Il a insulté tout le monde, d'Ilyas el Omari à Aziz Akhannouch en passant par Abdelilah Benkirane, à la botte duquel il a fini par se ranger après l'élection de 2016. Puis il s'en est pris à l'Etat, qu'il a accusé de volonté de le liquider. C'était juste après que les caciques du parti, et à leur tête feu Mhamed Boucetta, ne déclarent officiellement et solennellement que Chabat n'a ni les compétences ni l'aptitude à diriger le parti de l'Istiqlal. Arrive l'hirondelle de printemps, en la personne providentielle de Nizar Baraka, actuellement président du Conseil économique, social et environnemental. Il se met sur les rangs pour briguer le secrétariat général au Congrès électif de la fin septembre, et il n'a d'autre challenger que le désormais très malaimé Chabat. Pour être chef de l'Istiqlal, il faut un certain nombre de conditions : l'ascendance familiale, la compétence technocratique dans le gouvernement, le militantisme politique au sein du parti et le charisme tribunicien et tacticien. On aurait pu avoir Taoufiq Hjira, qui dispose de toutes ces qualités mais il ne s'est pas proposé, pour des raisons que l'on ignore et que seul lui et quelques autres connaissent. Il y a aussi Yasmina Baddou et Karim Ghellab mais ils n'ont pas la stature de diriger ce parti, pour s'être entre autres fait battre à plate couture aux législatives. On aurait pu penser à Abdelouahed el Fassi, mais le veut-il vraiment ? Il reste donc Nizar Baraka, ancien ministre chevronné, actif dès son plus jeune âge dans les différentes organisations istiqlaliennes, et petit-fils du fondateur du parti Allal el Fassi, ce qui n'est pas rien à l'Istiqlal. Il lui manque le charisme, mais cela doit pouvoir s'apprendre. Le peu de suspense s'achèvera à la fin de ce mois, Chabat ayant été lâché par les siens, et lynché par tous les autres.
Les trois partis classés sur le podium électoral en sont donc là, jonglant entre une conscience en panne pour le PJD, une existence en peine pour le PAM et une inconsistance en vrac pour l'Istiqlal. En face d'eux, il y a les autres… le RNI sans crise de leadership, alignant de très nombreuses compétences, mais qui ne se résout pas (encore) à communiquer avec le peuple, l'USFP qui ne compte plus, l'UC qui compte peu, le PPS qui compte ses abattis et le MP sur qui on ne peut pas vraiment compter… Avec cet aréopage politique, il ne faut pas s'étonner de la crise d'al Hoceima qui, au-delà des revendications populaires, aura montré l'insoutenable insignifiance des formations politiques, une insignifiance qui n'a d'égale que la formidable défiance des Marocains à leur égard.