Président de l'Association Nationale des Avocats du Maroc, Me Mohamed Lahbib Benchikh adresse une lettre ouverte à Fernando Hernandez Gomez, président de l'Union Internationale des Avocats, en son cabinet à Paris. Il l'interpelle sur ce qu'il considère être une régression de l'indépendance de la profession, à la lumière du projet de loi régulant l'exercice d'avocat dans le royaume. Photo d'illustration / Ph. Olivier Chassignole ‹ › Monsieur le Président de l'UIA, Nous avons l'honneur en tant qu'Association Nationale des Avocats du Maroc de vous solliciter en tant que Président de la plus grande et plus ancienne organisation représentative de la Profession dans le monde, doté du partenariat ECOSOC avec l'Organisation des Nations unies, afin de vous informer de ce que nous considérons comme des régressions graves touchant l'indépendance de la profession d'avocat et l'immunité de la défense telles que prévues par les principes internationaux des droits humains, et ce dans les dispositions du projet de loi régulant la profession d'avocat présenté par le ministère de la Justice marocain. Cher Confrère, Selon les normes internationales, la profession d'avocat représente un pilier fondamental de l'Etat de droit et une garantie essentielle du procès équitable et du droit à la défense. Les principes fondamentaux relatifs au rôle des Avocats adoptés par le huitième congrès des Nations unies sur la lutte contre le crime et le traitement des criminels tenu à La Havane en 1990, notamment les principes 16 - 18 - 23 et 24, prévoient l'incitation à un exercice professionnel des Avocats sans persécution ni obstruction ni intervention non justifiées, ainsi que la garantie de l'indépendance de leurs organisations professionnelles et leurs protection de toute poursuite ou pression à l'occasion de leurs mission de défense. Sauf que le projet de loi régulant la profession d'avocat au Maroc, dans sa version actuelle, contient des dispositions que nous considérons en infraction aux principes onusiens touchant de manière directe : - L'indépendance organisationnelle des avocats à travers l'élargissement du pouvoir exécutif dans sa supervision et son intervention dans les affaires professionnelles, ce qui est en opposition avec le 24e principe du dispositif onusien qui confirme le droit des Avocats à la création et à l'administration des organisations professionnelles de manière indépendante ; - L'immunité de la défense à travers des dispositions qui rétrécissent la liberté de l'avocat dans l'exercice de ses fonctions le menaçant de poursuite en raison de sa mission de défense dans une infraction explicite des principes 16 et 18 ; - La liberté d'expression et d'appartenance des Avocats dans une orientation en opposition avec le 23e et 19e principe du Pacte international sur les droits civiques et politiques. L'Association considère aussi que ce projet de loi est contraire à l'article 14 du pacte International qui garantit le procès équitable qui ne peut être mis en œuvre sans une défense libre et indépendante non soumise à aucune influence ou dépendance. Monsieur le Président de l'UIA, Cette position n'est pas celle de l'Association uniquement, mais aussi celle de l'Association des Barreaux des Avocats du Maroc et un nombre important d'organisations professionnelles et associatives civiles et de droits humains, qui déclarent leurs refus explicite du projet de loi le considérant comme une régression par rapport aux acquis constitutionnelles et historiques de la profession d'avocat et une menace directe quant à son rôle dans la protection des droits et libertés ainsi qu'à la primauté de la loi. Ainsi nous rappelons dans ce contexte que les rapports du Rapporteur Spécial sur l'indépendance des Juges et des Avocats confirment à maintes reprises que toute législation affectant l'indépendance des Avocats ou qu'elle les mettrait sous la tutelle du pouvoir exécutif représente un danger structurel pour le système judiciaire et porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Par conséquent, l'Association requiert auprès de votre bienveillance ce qui suit : - Intégrer ce sujet dans les préoccupations de l'UIA ; - La publication d'alertes ou de communiqués relatifs à la mise en danger de la profession d'avocat au Maroc ; - Une communication avec les autorités marocaines afin de les pousser vers la révision du projet de loi en vue d'une conformité avec les principes internationaux en lien avec l'indépendance des Avocats et l'obligation d'adopter une approche participative minutieuse et véritable avec les organisations professionnelles et de droits humains afin de garantir l'indépendance de la profession et l'immunité de la défense. Veuillez agréer Monsieur e Président de l'Union Internationale des Avocats UIA l'expression de notre respect et haute considération . Pour l'Association Nationale des Avocats du Maroc, Le Président Maître Benchikh Mohamed Lahbib