Depuis l'assassinat de son fils Imad, première victime de Mohamed Merah, Latifa Ibn Ziaten fait tout pour éviter qu'un tel drame se reproduise en France. Mais le 7 janvier dernier, trois Français issus de quartiers défavorisés ont commis des attentats encore plus graves, au nom de l'islam. Des faits qui ont donné un second souffle à cette mère de 55 ans, bien décidée à faire de son chagrin, un combat. «Pour qu'il n'existe plus d'autres Merah» en France, Latifa Ibn Ziaten a fondé, quelques semaines après la mort de son fils, une association qu'elle a appelée «Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix». A travers elle, cette maman marocaine de 55 ans, arrivée en France à l'âge de 17 ans pour rejoindre son mari Ahmed, cheminot à la SNCF, tente de faire son deuil, mais pas que. Son fils, c'est Imad Ibn Ziaten, le soldat français qui a été, en mars 2012, la première victime de Mohamed Merah à Toulouse. Après sa mort, Latifa ne voulait pas rester les mains croisées, surtout lorsque les «copains du tueur de [s]on fils» l'ont appelée à l'aide, se souvient-elle dans un entretien qu'elle a accordé au journal Le Monde. C'était aux Isards, cité du nord-est de Toulouse où vivait Mohamed Merah. Elle a d'abord entendu un groupe de jeunes garçons lui lancer que ce dernier était «un héros, un martyr de l'islam». Puis, quand elle leur a révélé leur identité, le ton a changé, souligne le journal. «On est comme des rats» «On s'excuse Madame, mais vous voyez bien. Regardez autour de vous : là où on vit. On n'a pas de vie, on est perdus, enfermés. On est comme des rats. Et les rats, Madame, quand ils sont enfermés, ils deviennent enragés», lui avaient-ils alors confié. C'est là qu'elle a eu l'idée de créer l'association. «Ils attendent que je les aide. Donc il faut que je fasse tout ce que je peux pour leur tendre la main, pour qu'ils s'en sortent. C'est important». Son travail passe aussi par l'échange. C'est ainsi qu'un voyage en Israël et en Palestine sur le thème du «vivre ensemble» a déjà été organisé. D'autres sont prévus à Washington et au Maroc, entre autres. «Ma mère est quelqu'un de très dynamique. Elle a trouvé un moyen de vivre sa souffrance de manière intelligente. Elle ne s'est pas laissée aller à la haine, mais a cherché à s'ouvrir aux autres», explique Hatim, 35 ans, aîné des fils de Mme Ibn Ziaten et vice-président de l'association, interrogé également par Le Monde. «Un vide dans leur vie» Pour sa maman, l'écoute et le dialogue jouent aussi un rôle très important. «Ces jeunes, ils ont un vide dans leur vie, et si on ne remplit pas ce vide, si on ne leur donne pas d'espoir, si on ne leur donne pas une chance, si on ne les sort pas des ghettos où ils sont enfermés, quelqu'un d'autre va venir à leur rencontre. Leur dire : "Vous voyez, vous n'êtes pas aimés, vous n'êtes pas considérés, vous n'avez pas de chances dans ce pays-là. Alors moi je vais vous donner une chance. Je vais vous donner de l'argent, je vais vous donner de l'importance, je vais vous donner de l'amour." Et ces jeunes, ils tombent dans le piège, malheureusement.» Latifa sait cependant qu'elle ne peut pas tout faire toute seule. «Bien sûr que je ne peux pas faire ça seule, chacun a sa responsabilité. Il faut former des éducateurs, des assistantes sociales qui ne soient pas là juste pour parler paperasse. Il faut aussi comprendre ces jeunes, aller vers eux, ne pas attendre qu'ils viennent dans les bureaux. Dès les premiers signes de faiblesse, de violence, il faut les encadrer. On ne peut pas continuer à les ignorer», estime-t-elle. En tout cas, depuis les attentats perpétrés récemment en France, sa démarche a encore plus de significations. Son discours est entendu et applaudi presque partout où elle va. Même dans les quelques lycées où les élèves «ne sont pas Charlie», elle arrive à créer le débat. Cette semaine, Latifa Ibn Ziaten a, notamment, rencontré une jeune fille de 15 ans qui a renoncé à partir en Syrie à la dernière minute. Elle a également visité deux établissements scolaires, a participé à un débat sur la jeunesse et donné plusieurs interview à la presse. C'est ainsi qu'elle arrive à vivre et à se souvenir de son fils. «A chaque bonne action que je fais avec cette association, je vois mon fils grandir. Et ça, c'est important pour moi. Il n'est pas mort pour rien, Imad.», conclut-elle.