La Grande-Bretagne a défendu mercredi l'anoblissement de l'écrivain britannique Salman Rushdie face à une vague de protestations venues du monde musulman contre l'octroi de cette distinction à l'auteur controversé des "Versets sataniques". La publication de ce roman en 1988 avait provoqué une vague de violence dans les pays musulmans. Rushdie avait dû vivre neuf ans dans la clandestinité à la suite d'une "fatwa" lancée par l'Iran de l'ayatollah Khomeini pour blasphème contre l'islam. Le ministre britannique de l'Intérieur, John Reid, a déclaré que la liberté d'expression était investie "d'une valeur politique primordiale". A l'issue d'une conférence à New York, il a noté qu'il existait aussi des films que certains avaient jugés offensants pour le christianisme ou le judaïsme. "Nous devons être attentifs au point de vue des gens de religion, des gens qui ont des idées marquées, a-t-il dit. "Mais à la longue, je crois que nous apprécions tous le fait que la protection du droit d'exprimer ses idées en littérature, dans la discussion, en politique, a une valeur politique primordiale pour nos sociétés", a ajouté Reid. A Londres, Margaret Beckett, secrétaire au Foreign Office, a dit que l'anoblissement de Rushdie samedi par la reine d'Angleterre illustrait un souci croissant de faire honneur aux musulmans au sein de la communauté britannique. Cela met en évidence le fait "que les personnes de confession musulmane font partie intégrante de notre communauté prise dans son ensemble (...) et qu'elles reçoivent des distinctions dans ce pays tout comme d'autres citoyens", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse. Rushdie, né en Inde de parents musulmans, a été anobli par la reine pour son apport à la littérature, ce qui a suscité des protestations d'Islamabad et de Téhéran ainsi que des manifestations de colère au Pakistan et en Malaisie. A Multan, dans le centre du Pakistan, quelque 300 manifestants ont crié "mort à Rushdie", "mort à la reine d'Angleterre", et ont brûlé un drapeau britannique. A Islamabad, un chef religieux radical, Abdul Rashid Ghazi, a "condamné à mort" Rushdie dans un communiqué. DES ECRIVAINS SOUTIENNENT RUSHDIE Plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles des élus régionaux, ont manifesté dans la ville pakistanaise de Lahore. Et au Caire, une commission parlementaire égyptienne a exhorté le ministère des Affaires étrangères à demander aux autorités britanniques de revenir sur l'honneur fait à Rushdie, ceci "par égard pour les sentiments des populations des pays musulmans et par amour de la paix". En Malaisie, une trentaine de militants islamistes se sont rassemblés devant l'ambassade de Grande-Bretagne à Kuala Lumpur. En Afghanistan, les insurgés taliban ont dénoncé "l'apostat" et "le nouvel affront fait à l'islam par les infidèles". Pour l'Iranien Ebrahim Rahimpour, directeur des affaires d'Europe occidentale au ministère des Affaires étrangères, la distinction décernée à Rushdie est "un exemple flagrant d'hostilité à l'islam". Des écrivains se sont en revanche mobilisés en faveur du romancier britannique. Vice-présidente de la branche britannique de l'association PEN internationale des écrivains, la romancière Lisa Appignanesi a critiqué la réaction des autorités iraniennes et présenté Rushdie comme "le Dickens de notre époque". "Les journalistes, écrivains et universitaires qui croupissent dans les geôles iraniennes sont la preuve de l'intolérance d'un régime qui n'admet aucune forme de désaccord", écrit-elle dans un communiqué publié sur le site internet de l'organisation. "La plupart des musulmans de Grande-Bretagne ne veulent vraiment pas de cet islam-là", ajoute-t-elle. Pour l'écrivain britannique Hari Kunzru, il est "absurde" de présenter l'anoblissement de Rushdie comme "une insulte délibérée" envers les musulmans. "La véritable insulte, c'est l'ignorance et la paranoïa de dirigeants qui se sentent si menacés par un romancier qu'ils réclament sa mort." Les réactions observées dans plusieurs pays musulmans ont relancé le débat sur les limites de la liberté d'expression des artistes, qui avait été très vif lors de l'affaire des caricatures de Mahomet parues dans la presse danoise en 2005. "Comme personnalité culturelle, on peut discuter des mérites de Salman Rushdie, mais de toute façon nous défendrons le droit du gouvernement à l'honorer et le droit de cet écrivain à accepter cet honneur", écrit l'Independent londonien.