AMO Tadamon: M. Ait Taleb réaffirme la continuité de l'hospitalisation gratuite pour les maladies chroniques ou incurables    Regards croisés sur les enjeux de la transition énergétique dans la province d'Essaouira    Le Président Xi Jinping s'est entretenu avec le Président français Emmanuel Macron    Séisme d'Al-Haouz : Un coût économique estimé à 3 milliards de dirhams    Mohamed Boudrika déchu de ses fonctions de président de l'arrondissement de Mers Sultan    Industrie automobile: Le Maroc devient le principal exportateur de voitures vers l'Union Européen    Office des changes : le déficit commercial s'allège de 14,6% à fin mars 2024    Sommet des affaires USA-Afrique à Dallas: Trois questions à la présidente du Corporate Council on Africa    L'avenir de l'Afrique au cœur des débats à Benguerir    Entretiens maroco-tchèques sur le renforcement de la coopération dans le domaine de la santé    Basketball féminin/KACM-IRT (68-62) : Victoire synonyme de qualification à la finale de la Coupe du Trône    Festival du film africain de Tarifa-Tanger : Le cinéma marocain vedette de la 21ème édition    IR au titre des profits fonciers : possibilité de demander un avis préalable auprès de la DGI    La FIFA lance un classement mondial de futsal, le Maroc pointe au 6è rang    Casablanca : Le wali mène une enquête sur le recrutement des travailleurs temporaires    Sahara-CIA files #5 : Hassan II a transformé les victoires du Polisario en défaites    Le Président Xi Jinping tient avec le Président français Emmanuel Macron et la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen une réunion des dirigeants Chine-France-Union européenne    Tanger: Ouverture d'une enquête pour déterminer les circonstances d'une tentative de trafic de cocaïne (source sécuritaire)    Koweït : Le Marocain Mohamed Daoudi parmi les lauréats du 42e prix de la KFAS au titre de 2023    Message de condoléances de SM le Roi au Serviteur des Lieux Saints de l'Islam suite au décès de SAR le prince Badr Ben Abdel Mohsen Ben Abdelaziz Al-Saoud    Des intempéries continuent de frapper le Kenya    Accord social : L'OTRAGO apporte ses remarques et exprime des préoccupations    Le Maroc voudrait ajouter les drones SeaGuardian à son arsenal    Botola D2/J24: Le CODM chute à Beni Mellal, le KACM en profite !    UEFA Conférence Europa League/Demi-finales : El Kaabi meilleur joueur de la journée    Cyclisme. Le Marocain Achraf Ed-Doghmy vainqueur du Tour international du Bénin    Amine Adli ou l'ambition de remporter la CAN 2025 à domicile    LdC : Le PSG de Hakimi déterminé à inverser la tendance face au BVB    OLA Energy Maroc: Nouvel accord pour mélanger des lubrifiants de la marque Mobil au Maroc    Education : Construire l'Afrique de demain avec une jeunesse bien formée    Santé : Meknès renforce son offre en centres de soins    La Fondation Banque Populaire restaure des écoles dans la région de Nador-Al Hoceima    Vaccins anti-Covid-19 : Résurrection du débat sur les effets secondaires !    Sommet des propriétaires des médias : Réorganiser le secteur sur le continent    Azerbaïdjan : Exposition photographique consacrée au patrimoine architectural du Maroc    Alune Wade, Ablaye Cissoko et Aïta Mon Amour... enflammeront les scènes du Festival Gnaoua 2024    Jazz au Chellah 2024 : une symphonie transfrontalière s'invite à Rabat    Le CESE plaide pour un renouvellement des informations sur la mendicité    Championnat d'Espagne : En-Nesyri continue sur sa lancée    Présidentielle en Mauritanie: le parti au pouvoir adopte la candidature de Mohamed El Ghazouani    Le bilan des réalisations de l'Agence Bayt Mal Al-Qods dépasse 13,8 millions de dollars pour la période 2019-2024    Détenu attaqué : la prison de Casablanca réfute    La Fondation BMCI réitère son soutien au Festival « Moroccan Short Mobile Film Contest » pour sa deuxième édition    Sortie, cinéma, exposition, festival… 10 choses à faire ce mois-ci    CV, c'est vous ! EP-69. Zineb Bouzoubaa, la danse au service des femmes    Les musées de France ne connaissent pas la crise dans leur histoire d'amour avec le public    Maroc-Azerbaïdjan : signature d'un accord d'exemption de visas    Les températures attendues ce lundi 6 mai 2024    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Fawaz Hussain : «Le réel ne me satisfait pas !»
Publié dans Albayane le 05 - 01 - 2021

Fawaz Hussain est né en Syrie dans une famille kurde. Il arrive en France en 1978 afin de poursuivre ses études littéraires. Il soutient une thèse de doctorat en littérature française à la Sorbonne en 1988. Fawaz Hussain vit, actuellement, à Paris et se consacre à l'écriture et à la traduction des classiques français en kurde, sa langue maternelle. Il est notamment l'auteur de plusieurs romans dont Les sables de la Mésopotamie(2007), Murcie, sur les pas d'Ibn Arabi (2020).
Fawaz Hussain serait-il devenu écrivain sans l'exil ?
Fawaz Hussain : L'envie d'écrire est née en moi alors que j'étais tout enfant, et que je vivais sur les terres kurdes du Nord-Est de la Syrie. Je venais juste d'apprendre l'arabe et je me perdais dans la bande dessinée, des aventures de Tarzan aux exploits de Superman en passant par les contes des Mille et Une Nuits. Les livres étaient l'unique moyen que j'avais de m'évader loin de ma région qu'un soleil de plomb brûlait jusqu'aux entrailles et qui ne proposait pas le moindre loisir. Mes tout premiers textes étaient en arabe et ils ont paru dans des revues littéraires à Damas dans les années 70.
Cette manière d'écrire qui vous caractérise émane-t-elle d'un désir de rompre avec une représentation convenue de l'écriture ?
Il me semble que l'écrivain n'a en lui aucune « représentation convenue de l'écriture » à laquelle il se soumettrait. On peut en dire autant du peintre et du musicien, auxquels on ne peut demander de mettre leurs pas dans les pas de leurs prédécesseurs. Les siècles changent et les représentations convenues, codifiées, deviennent caduques et révolues. Mon écriture dépend de mon sujet, qui dicte le phrasé et la tonalité adaptés. Je ne sais comment j'écris, mais ce que je sais, c'est que le réel ne me satisfait pas, que je l'étaie à l'aide de béquilles qui sont l'imagination et le surnaturel.
Quand on m'a invité à Murcie pour participer à un colloque sur l'exil, j'ai cherché partout le grand mystique musulman Ibn Arabi, surtout dans les ruelles de la médina, mais c'était chercher une aiguille dans une botte de foin. Huit siècles et demi me séparaient de sa date de naissance et le temps avait fait son œuvre : les traces du passé musulman de la ville étaient bel et bien sous les couches laissées par les différents maîtres chrétiens. J'avais un atout de taille : je m'étais recueilli en 2010 sur sa tombe à Damas, et présentement je me trouvais dans le quartier où il avait vu le jour. Je devais désormais compter essentiellement sur l'imagi­nation et le réalisme magique pour combler le vide.
Dans Murcie, sur les pas d'ibn Arabi vous semblez, dans bien des passages, vous identifier à la figure d'Ibn Arabi. Ai-je raison ?
Ibn Arabi me fascine depuis presque toujours, et ce n'est qu'en me rendant à Murcie que j'en ai compris la vraie raison. Je n'ai jamais réussi à le suivre sur les chemins difficiles de l'herméneutique, ni quand il prêche que la foi en Dieu, ainsi que la sunna et surtout l'ubûdiyya, la servitude ontologique, constituent la seule voie d'accès à la perfection spirituelle.
J'étais plutôt disciple du chantre de l'amour et de la tolérance. Une fois sur place, et ne trouvant nulle part le grand mystique musulman, j'ai compris que ce qui m'attirait en lui, c'était la thématique de l'exil. Ibn Arabi est l'exilé par excellence car, en quittant la péninsule ibérique, il savait que c'était un départ sans retour et que tôt ou tard al-Andalus tomberait aux mains des rois catholiques.
L'histoire lui a donné raison, car trois ans après sa mort à Damas, en 1243, sa ville est arrachée aux Almohades musulmans. Ibn Arabi n'a jamais revu Murcie et n'a rien laissé derrière lui, à part ses livres et son enseignement. Il incarne à mes yeux la quête de la transcendance en restant toujours fidèle à la Voie de Dieu qu'il avait choisie.
Votre écriture est empreinte d'une tonalité ironique que vous dirigez contre ceux qui ont trahi Ibn Arabi et d'autres figures de l'histoire de l'islam. Est-ce une manière d'exprimer un parti pris idéologique ?
La tonalité ironique et l'autodérision sont mon bouclier et mon armure contre l'absurde dans lequel nous vivons depuis l'aube des temps. Ibn Arabi a toujours et partout été la cible des Uléma', les fanatiques docteurs de la loi qui le traitaient d'hérétique. Tout récemment, en mars 2019, la maire islamiste de Tunis a supprimé la plaque portant son nom et rebaptisé la voie « rue de Serbie ». Si les hommes de Daech avaient pris Damas en 2014, ils auraient commencé par mettre à sac son mausolée sur le flanc des monts Qasyoun et par brûler ses œuvres.
Ibn Arabi voulait à tout prix préserver la vie de ses semblables. Selon lui, Dieu ne pouvait jamais demander à qui que ce fût de le remplacer sur terre pour appliquer la peine capitale et porter ainsi atteinte à la vie.
L'espace dans ce roman est chargé de symboles et vous semblez lui accorder une importance particulière à telle enseigne que Murcie, sur les pas d'ibn Arabi devient un roman de la mémoire des lieux par excellence. Qu'en dites-vous ?
Paul Eluard dit qu' « il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous ». Mon dernier séjour à Damas remonte à 2010, juste avant la guerre civile. Une voix avait alors exigé de moi que je me rende sur la tombe d'Ibn Arabi dans le quartier Muhyeddin, qui porte son sobriquet, comme si elle savait qu'en 2019 je serais invité dans la ville qui l'a vu naître.
Si le hasard existe, il fait bien les choses. Murcie et Damas sont deux villes chargées de mémoire. C'est dans cette dernière que le grand penseur est mort en 1240, et c'est dans la première que moi, j'ai eu la chance d'être invité, une ville créée de toutes pièces en 825 par Abd al-Rahman II, l'arrière-petit-fils d'Abd al-Rahman 1er, le fondateur omeyyade de l'émirat de Cordoue en 756.
Nombre d'écrivains s'intéressent à des figures de l'islam spirituel et philosophique en les insérant dans des fictions. Je cite à titre d'exemple, des œuvres comme Samarcande, d'Amin Maalouf et récemment Au détroit d'Averroès, de Driss Ksikes. Comment interprétez-vous cet intérêt ?
Amin Maalouf a écrit la vie d'Omar Khayyâm et de Hassan Sabah, le fondateur de la secte des Assassins dans Samarcande. Il a également retracé la personnalité de Mani qui a donné son nom au manichéisme dans Le Jardin de lumière. On en a vu beaucoup ces temps-ci s'inspirer de la vie des peintres comme Picasso, Le Caravage ou d'autres. Normalement j'écris pour explorer mes propres contrées en faisant comme J.M.G. Le Clésio quand il dit : « J'écris pour savoir qui je suis, de quoi je suis fait. » Bien qu'il ne se passe pas grand-chose dans ma vie, je la trouve par moments aussi aboutie que celle d'Alexandre le Grand assis sur le trône de Darius au palais d'Apadana à Persépolis ou à cheval à regarder les eaux majestueuses de l'Amou-Daria.
Même dans Murcie, sur les pas d'Ibn Arabi, mon alter ego Faramarz Hajari est omniprésent. Et puis, comment passer à côté de cet homme qui a laissé derrière lui 550 traités attestés par 2 917 copies. C'est vraiment la chance qui m'a mis sur les traces de Mohammad Ali Mohammad Ibn Arabi, Shaykh al-akbar, le plus grands des maîtres et Muhyeddin, le vivificateur de la religion, le poète et le sceau de la sainteté muhammadienne.
Dans son excellent essai Eloge du métèque Abnousse Shalmani parle d'une différence de traitement entre les réfugiés d'une part, les immigrés de l'autre, arguant que les réfugiés profitent de ce qu'elle appelle » la solidarité idéologique « . Partagez-vous cet avis ?
Quand j'ai quitté la Syrie pour la France, mon départ était voulu, et il s'agit donc d'un exil volontaire. Si j'étais né dans un pays comme la Suède ou le Portugal, je serais sans doute rentré chez moi et, pourtant, la France m'a presque tout donné. En kurde on dit « Sham shakar eh, welat shêrîntar eh », Si Damas est fait de sucre, le pays est encore plus doux. Roland Barthes dit dans La Lumière du Sud-Ouest : « ... l'enfance est la voie royale par laquelle nous connaissons le mieux un pays. Au fond, il n'est Pays que de l'enfance. » Qu'il y ait « solidarité idéologique » ou pas, l'immigration et l'exil minent la personne qui par malheur s'arrache aux terres de ses ancêtres. Si partir c'est l'exil, rester chez soi c'est l'asile.
Vous intéressez-vous à la littérature arabe ?
Je m'intéresse beaucoup à la littérature arabe, surtout la francophone. Né de parents kurdes dans le Nord-Est de la Syrie, j'ai appris l'arabe au bout de quelques années de scolarité. C'est grâce à l'arabe que j'ai découvert la littérature mondiale en la lisant dans des traductions faites dans la capitale libanaise, la fenêtre du Levant qui donne sur le monde.
Je lis rarement en arabe, mais m'identifiant à Kateb Yacine, l'auteur de Nedjma, je considère l'arabe comme un « butin de guerre », une valeur ajoutée, une richesse de plus. Je rêve de voir Murcie, sur les pas d'Ibn Arabi traduit en arabe et de séjourner au Maroc, où Ibn Arabi a longuement vécu avant de tourner définitivement le dos au Maghreb en 1200.
Pourquoi, à votre avis, à part des cas très rares, peu d'écrivains arabes accèdent à l'« universalité » ?
Naguib Mahfouz est le seul prix Nobel arabe. L' « universalité » est une question de promotion et de politique. Les écrivains arabes sont d'abord peu traduits dans les langues européennes, et puis ils n'ont pas l'appui de leurs pays respectifs. Ce qui pourrait atténuer leur frustration, c'est que l'universalité ne garantit pas l'éternité. Qui de nos jours lit ou se souvient d'Eugène Sue ?


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.