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«L'écriture m'a permis de sonder les abysses de mon histoire personnelle»
Publié dans Albayane le 19 - 06 - 2023

Entretien avec M'hammed Mellouki, écrivain et chercheur
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
M'hammed Mellouki, écrivain et romancier, était l'un des invités de marque de la de la 28ème édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL) qui a eu lieu du 2 au 11 juin, à Rabat. Auteur des livres «La rencontre. Essai sur la communication et l'éducation en milieu interculturel», «Le lieu de soi» publié en deux tomes «L'enfant assiégé » et «Le chant de la huppe», mais aussi du recueil de nouvelles «La voie du chien», Mellouki revient dans cet entretien, sans mâcher ses mots d'ailleurs, sur son enfance douloureuse, son rapport à l'écriture, à la vie et au monde. Né près de Safi, il a œuvré comme chercheur à l'Institut Québécois de recherche sur la culture, de même qu'à l'Université Laval et à l'Ecole de hautes études pédagogiques de Berne, Jura et Neuchâtel (Suisse). M'hammed Mellouki vit au Québec depuis 1977. Les propos.
Al Bayane : vous êtes l'un des invités de marque de la 28ème édition du Salon international de l'édition et du livre (SIEL) qui a eu lieu du 2 au 11 juin, à Rabat. De prime abord, parler nous de votre participation à ce rendez-vous livresque incontournable ?
M'hammed Mellouki : J'ai été sollicité pour participer à un panel sur le thème « Ecrire pour appartenir » proposé par notre ami Mustapha Fahmi et animé par la journaliste Ghita Zine. Un thème qui faisait partie du programme culturel du SIEL «La littérature comme espace de réflexion». J'ai été aussi présent chez Marsam mon éditeur marocain pour signer des dédicaces de mon roman «Le lieu de soi» publié en deux tomes «L'enfant assiégé» et «Le chant de la huppe » et un recueil de nouvelles «La voie du chien», comme je l'ai été aussi dans l'espace Québec, invité d'honneur, pour présenter certaines de mes publications au Canada.
Qu'en pensez-vous de l'organisation et de la programmation de cet événement culturel ?
Il n'y a absolument rien à redire quant à l'organisation de cette manifestation. Les activités étaient très bien énoncées et échelonnées dans le temps, la programmation riche et variée, les ressources diversifiées, les sujets et les débats fort pertinents, les exposants nombreux et couvrants tous les horizons de l'édition, nous, les auteurs, nous avons été traités avec égard. Je remercie le Ministère de la Culture, de la Jeunesse et de la Communication ainsi que tout le personnel des soins qu'ils ont pris à l'organisation de l'événement et l'accueil des participants.
Cette année, les organisateurs du SIEL ont tourné les regards vers le Québec. Dans ce cadre, une belle brochette de plumes marocaines a marqué sa présence lors de cette manifestation. Pourrez-vous en dire plus de la participation de la diaspora lors de cette édition ?
Je ne suis pas au courant de comment et par qui a été fait le choix des participants marocains vivants au Québec, je crois néanmoins que nous devons beaucoup en la matière à notre compatriote Monsieur Mustapha Fahmi, professeur de littérature anglaise et vice-recteur à l'université du Québec à Chicoutimi, qui a été un acteur majeur dans la conception du programme et la sélection des invités. Monsieur Fahmi est un écrivain original très apprécié au Québec. Je connais Kamal Benkirane, romancier et poète dynamique qui anime à Tout.TV un programme consacré à la diffusion d'émissions culturelles. Monsieur Benkirane donne la parole à des auteurs et autrices venant d'origines diverses et touchant à tous les genres littéraires. Mon ami Majid Blal est un poète et romancier engagé. Il est très présent sur les médias sociaux et suivi par de nombreux lecteurs fidèles. Il a publié tout récemment un recueil de poésie et un roman. Il a aussi cosigné avec Mohammed Mouhib un ouvrage sur Midelt, leur ville natale. J'ai fait la connaissance au SIEL de Soufiane Chacouche, romancier et journaliste marocain vivant en Ontario. Nous avons débattu lui et moi autour du thème sur l'écriture et l'appartenance mentionné plus haut.
Vous avez enseigné la philosophie avant d'immigrer au Québec où vivez depuis 1977. A votre avis, quitter sa terre natale pour conquérir d'autres territoires est-il toujours un simple choix, un ''exil choisi'' ? En fait, les questions de l'espace, de la mobilité, de vivre l'entre-deux ont-elles traversé vos écrits et pensées ?
Peu importe la nature du lien qui nous lie à notre pays d'origine, celui-ci ne nous quitte jamais. Ceci est très clair dans mes romans et mon recueil de nouvelles. J'ai longtemps été en colère contre non mon pays, mais sa culture, au sens anthropologique : la sclérose qui caractérisait les mœurs et les rapports humains, la corruption, la lenteur administrative, l'impunité des uns, les injustices commises à l'encontre des plus démunis de la société, la répression et le déni des libertés individuelles. En dépit de tout cela et nonobstant mes déboires personnels, le pays emplissait ma mémoire et mes rêves, au sens propre du terme. Et pour dire vrai, ce n'est ni le soleil ni le sable de nos plages ni les plats succulents mijotés par ma mère qui m'ont manqué. Ce qui me revenait dans les rêves ce sont la bonté dont m'ont entouré certaines personnes à des moments difficiles de ma vie et, tout à l'opposé, la violence à laquelle j'ai été confrontée, comme certains de mes concitoyens.
Vous avez œuvré depuis plusieurs comme chercheur à l'Institut Québécois de recherche sur la culture, de même qu'à l'Université Laval et à l'Ecole de hautes études pédagogiques de Berne, Jura et Neuchâtel (Suisse). Vous avez travaillé également sur les questions de l'interculturalité. En fait, la rencontre/ les rencontres entre les cultures et les différences culturelles sont-elles toujours possibles dans un contexte actuel ayant perdu les repères et la boussole ? L'altérité, le vivre ensemble et le dialogue ont-ils toujours une place dans un monde déchiré par les violences et l'individualisme ?
Plus que jamais nous avons besoin de nous parler, de communiquer, de faire tomber les barrières de langues et de préjugés qui nous séparent. J'ai lu durant la période du coronavirus un ouvrage imposant de Stephen Pinker, un chercheur américain, qui montre combien le dialogue entre les cultures est important dans l'atténuation des tensions idéologiques et des conflits mondiaux. Dans cette analyse très documentée qui porte bien son titre, La part d'ange en nous. Histoire de la violence et son déclin, Pinker montre combien la violence dans toutes ses formes a diminué dans notre monde actuel grâce aux efforts diplomatiques et au règlement des désaccords par le recours à la concertation.
A votre avis, quelles sont les tâches des intellectuels, des écrivains et des créateurs pour promouvoir les discours de l'ouverture, de la diversité et du vivre en commun ?
Eveiller les consciences qui finissent par s'endormir sous la masse des mensonges et de l'obscurantisme de tout acabit qui nous empêchent de jouir des beautés du monde. Assumer leur rôle de critiques qui veillent, décortiquent les discours, restaurent à la raison sa fonction dans la direction de notre conduite.
« L'enfant assiégé », votre premier roman à la fois bouleversant et poignant, édité par Marsam en 2019, est un cri qui brise le silence, dont Fadi, le narrateur, mène une bataille sans merci contre la pédophilie, la soumission, la brutalité et les violences faites à l'égard des enfants. D'abord, pourquoi ce roman ressemblant à une traversée du désert ? Que voulez dire en travaillant sur un sujet tabou que peu de gens ont l'audace d'en parler ?
Je voulais tout d'abord me soulager en mettant hors de moi le poids de la souffrance toujours plus lourd que je traîne depuis mon enfance. Par le fait même, voyant que les esprits s'ouvrent et que des voix s'élèvent pour dénoncer partout dans le monde l'agression sexuelle et la pédophilie pendant que rien ou presque ne se passe au Maroc, je voulais sonner la sonnette d'alarme contre ce dernier phénomène que j'ai bien connu pour l'avoir vécu enfant et dont je porte les séquelles : la pédophilie. Les pédophiles sont toujours actifs, mais l'omerta sociale entrave toute action sérieuse contre eux. Quand des citoyens bravent la peur de se faire désigner du doigt et dénoncent, les autorités policières ont du mal à les écouter et à les accompagner dans leur démarche. Des enfants sont atteints dans leur intégrité physique, leur développement psychique et social est miné, leur avenir est compromis, l'investissement que font les parents et la société dans leur éducation est une perte totale. Quand ils sont jugés, les criminels s'en tirent avec des peines ridicules ou, pire, sont graciés.
J'ai subi à répétition des viols et des agressions au sein des écoles coraniques. Âgé de seulement cinq à douze ans, je ne pouvais rien contre le pouvoir des adultes qui me promettaient versets coraniques à l'appui les feux de l'enfer si je ne me soumettais pas et ne les laissais pas assouvir leurs bestioles désirs. J'ai tenté d'avertir mon père qui, au lieu d'écouter et comprendre ma complainte, me servait des taloches bien appliquées et me confiait à des écoles coraniques loin de chez moi où je passais mes nuits à attendre l'épouvante les mains serrées sur mon ceinturon. Rien que ce souvenir me fait encore aujourd'hui venir les larmes aux yeux. Sans compter cette méfiance des autres, sans compter le manquer de confiance en moi que je combats malgré mon âge avancé, malgré ma carrière qui m'a mené aux quatre coins du monde devant des publics nombreux et variés. Et ce rêve hallucinant, toujours le même, qui me réveillait certains matins fauchant l'air avec une machette ou en main un fusil tirant dans le tas de corps sans visage devant moi. Je me demandais parfois si les terroristes et les tueurs en série n'avaient pas traversé le même désert que moi qui les avait conduits là où ils sont.
Quand je suis venu en 2019 présenter « Le lieu de soi », je voulais alerter l'opinion publique, les acteurs associatifs et les médias des dangers de la pédophilie. Peine perdue. Je n'ai même pas réussi à parler aux deux dirigeantes des associations, à Rabat et Agadir, qui se donnent pour but la protection des enfants contre la pédophilie. J'avais l'intention de leur céder mes maigres droits d'auteur sur mon roman pour les aider dans leur lutte. Mes appels aux journalistes sont restés vains. Il faut dire que dans notre pays les éditeurs ne font pas correctement leur travail. J'ai déjà œuvré dans le domaine de l'édition, l'une des choses importantes dont on s'acquitte scrupuleusement est de faire parvenir un exemplaire de nos publications à tous les journalistes chargés de la rubrique culturelle des quotidiens et de la recension dans les revues littéraires, et de faire le suivi de cet envoi en les rappelant et en insistant sur leur devoir d'informer. J'ai discuté avec plusieurs écrivains, il semble que rien de tel ne se fait ici. Les éditeurs empochent les subventions du Ministère de la Culture et laissent les auteurs faire chacun sa propre promotion, chacun à sa façon, en fonction de se ressources propres, de son réseau de contacts. Cela nous place, nous écrivains de la diaspora, dans une situation pour le moins inconfortable compte tenu des dépenses que cela exige de nous et du rendement à toute fin pratique nul de nos productions.
Le roman est une espèce d'analyse d'une société en pleine transformation où, d'ailleurs, se côtoient tradition et modernité. Certainement, les temps changent et beaucoup d'eaux ont passé sous les ponts. Après tant d'années, que pensez-vous du Maroc d'aujourd'hui ?
Je ne connais pas le Maroc d'aujourd'hui, mais je vois et j'entends de bonnes choses. Les langues se sont déliées, les mentalités s'ouvrent sans cependant se libérer des discours convenus, les attitudes s'assouplissent sans briser leurs entraves archaïques, la raison y fait le coude-à-coude avec le mythe, le préjugé, les jugements à l'emporte-pièce et l'arrogance des bien nantis du fric et du savoir. Je dois cependant avouer que je suis beaucoup plus heureux dans le Maroc actuel que dans celui où j'ai vu le jour et grandi. Je sens régner une agréable atmosphère de détente générale.
Certes, dans ''Le chant de la huppe, deuxième partie du roman Le lieu de soi'' l'auteur nous livre une réflexion profonde sur le corps, mais il invite le lecteur à protéger ses enfants de la pédophilie, des abus, des violences et des agressions sexuelles et surtout de l'omerta social. Peut-on le considérer comme un récit salvateur ?
Ce récit a été salvateur pour moi, bien que je ne sois pas tout à fait tiré d'affaire. Je me sens plus apaisé, je crains moins le contact avec les autres, ma confiance en moi se renforce, la joie de vivre et de partager mon bonheur gagne mon cœur et teinte mes rapports sociaux. J'imagine, j'espère que la lecture du roman pourrait apporter un peu de sérénité aux âmes tourmentées comme ce fut longtemps le cas de la mienne. J'espère aussi qu'elle incitera les parents et les adultes en général à protéger les enfants, à maintenir un dialogue continu avec eux, à ne pas hésiter à dénoncer les actes délictueux à leur endroit.
L'écriture peut sauver des vies. Que représente l'acte d'écrire pour vous ?
L'acte d'écrire a plus d'un tranchant. On a vu ce qu'une fatwa a fait tout dernièrement. On est témoin de ce que des textes rédigés il y a treize ou quatorze siècles continuent de faire dans le monde et dans la vie de chacun. Le poète Abou Tammam disait de l'épée que, contrairement à l'écrit, il a le pouvoir de trancher entre le bon grain et l'ivraie, entre le bien et le mal. Je ne suis pas d'accord avec cette opinion. En revanche, à notre petite échelle d'individus ballottés entre des héritages pesants qui obscurcissent notre vision des choses et l'obligation d'être au clair avec nos semblables, nous n'avons pas le choix de manipuler avec prudence le verbe et d'employer avec dextérité notre pouvoir et notre liberté d'expression. L'écriture a attiré sur moi la foudre des jaloux et des personnes qui ne partagent pas ma façon de voir le monde. Mais, elle m'a aussi permis de sonder les abysses de mon histoire personnelle et de mettre le doigt sur des traumatismes qui remontent à mon enfance. Cela a été à la fois douloureux et salvateur.


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