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Un livre en marge du printemps arabe : Un Palestinien sur la route
Publié dans Albayane le 23 - 03 - 2011

Les révolutions bienvenues qui secouent les sociétés arabes incitent à chercher des repères dans le passé. Il n'existe pas de génération spontanée en matière de sciences sociales et les problèmes d'aujourd'hui ont souvent des racines dans la longue durée historique.
Les ignorer, c'est se condamner à gaspiller une énergie inutile. Ainsi de l'Egypte, par exemple. On trouve chez Muqaddasi un exposé des problèmes qui se posaient à ce pays dès l'an mil. Car Muqaddasi est né, à Jérusalem, comme son nom l'indique, le 5 muharram de l'an 333 hégirien, soit le 28 août 944.
Il s'est trouvé en Egypte en 358h/969 du calendrier grégorien et voici comment il décrit ce qu'il a constaté dans ce pays : il a assisté à l'installation de la dynastie fatimide qui venait, depuis le Maghrib, proclamer, au Caire, un califat shiite, rival de celui de Bagdad. Lorsqu'on sait que, de nos jours, l'Egypte comme le Maghreb sont férocement sunnites, on peut méditer sur la relativité des choses humaines.
L'Egypte, écrit-il, est un pays riche. Sa richesse est d'abord culturelle : le Sinaï abrite un monastère chrétien, mais aussi l'Olivier du Coran, centre du monde, qui ne serait ni d'Orient ni d'Occident et dont l'huile est réservée aux princes. Au pied du Sinaï, la route prise par Moïse et le peuple d'Israël en quittant l'Egypte. A Fustat, on montre le lieu où Joseph fut vendu par ses frères. Et c'est en Egypte, assure-t-on, qu'il faut situer la colline tranquille, avec ses eaux vives, où Marie et son fils Jésus trouvèrent le refuge dont parle le Coran. Ainsi, aujourd'hui comme hier, la terre d'Egypte est surchargée de lourds symboles communs aux trois religions et dont la gestion est très difficile, car elle suscite des passions attisées par la pauvreté et le manque de libertés. Muqaddasi observe ensuite la richesse matérielle de l'Egypte. Il assiste à l'expédition de farine et de froment vers le Hedjaz ; il compte trois mille charges de chameau pour une seule semaine. Qui plus est, Le Caire, en même temps que ces exportations, fournit les plus forts contingents de pèlerins à La Mecque. En effet, en plus des Egyptiens, ici se rendent les pèlerins venus d'Andalousie et du Maghreb, en partance pour La Mecque. Les Egyptiens sont pratiquants. Muqaddasi assiste à la prière du vendredi. Il a trouvé les rangs des fidèles, dont il estime le nombre à dix mille, débordant sur les marchés, à plus de mille coudées de la mosquée.
Ainsi, aujourd'hui, en 2011, comme hier, vers l'an mil, les fidèles prient dans les rues par manque de places suffisantes dans les mosquées. C'est qu'aujourd'hui comme hier, le nombre de fidèles est en constante augmentation et ce phénomène ne semble pas s'apaiser. Les prières dans les rues sont une donnée permanente du monde musulman ; aujourd'hui comme hier, les mosquées ne sont pas en nombre suffisant. Même à La Mecque et à Médine, le nombre des fidèles priant déborde sur les rues. Et il est sans doute plus économique de prier dans les rues que de construire de nouvelles mosquées. Cela gêne d'autant moins les Musulmans que toute la terre peut être considérée comme une mosquée. Point n'est besoin d'un lieu particulier pour prier. Les Européens, qui n'ont jamais rien compris aux religions en expansion, ne comprennent rien à ce point du dogme.
Mais ce pays pieux et riche est mal géré. Muqaddasi donne une analyse quasi chirurgicale de la mauvaise administration qui régit la vie économique.
Il souligne l'excessive lourdeur des impôts. Pour l'illustrer, il prend l'exemple des étoffes fabriquées par les Coptes de la ville de Shata. Il leur faut obtenir un agrément préalable des autorités pour pouvoir tisser ; une fois produites, les étoffes ne peuvent être vendues sans l'intermédiaire de courtiers agréés par l'administration qui les inscrit sur un registre officiel ; ensuite, ces étoffes doivent recevoir un estampillage officiel à l'enroulage ; un autre estampillage officiel est exigé quand ces étoffes sont serrées dans la paille ; un autre estampillage est requis quand les étoffes ainsi serrées, sont placées dans des couffins ; un dernier estampillage à l'emballage, quand les étoffes sont destinées à l'embarquement. Chaque opération d'estampillage donne lieu à perception de taxes ; une ultime taxe est perçue quand la marchandise fait son entrée dans le port.
On voit ainsi se profiler une certaine politique économique et sociale. Il y a pléthore de fonctionnaires, sans doute un remède contre le trop grand nombre de demandeurs d'emplois ; car il faut du monde pour opérer toutes ces inutiles opérations de contrôle. Hier, comme aujourd'hui, il faut embaucher pour enrayer la grogne populaire. Ces inutiles fonctionnaires, il faut les payer ; d'où la multiplicité des taxes qui dépouillent l'entreprise de ses gains et qui conduisent l'entreprise à pratiquer des hauts prix ; et ces derniers suscitent la grogne populaire ; c'est une politique à mécontentement fermée ; cette politique déjà archaïque en l'an mil, est d'une actualité étonnante en 2011. Prenez la filière du cacao en Côte d'Ivoire ; c'est le système en vigueur aujourd'hui : l'Etat encaisse le produit des exportations et distribue des miettes aux producteurs. Ne citons pas l'Egypte par charité. C'est ainsi que l'on tue un pays. Les problèmes que suscitent les mauvais procédés économiques remontent à l'an mil et les solutions sont toujours à venir. Muqaddasi poursuit ses observations. Il s'intéresse bien évidement à l'agriculture, mère de toute l'économie d'un pays. Il constate avec plaisir que les paysans égyptiens ne sont pas soumis à l'impôt foncier. Mais il déchante au fur et à mesure qu'il observe. Le paysan travaille sa terre ; une fois qu'il a labouré, semé, moissonné, dépiqué et réuni sa récolte en tas, il n'a plus le droit d'en disposer ; des employés du gouvernement arrivent ; ils prélèvent sur cette récolte ce qu'ils estiment devoir prélever ; cela s'appelle le loyer de la terre ; car, en Egypte, aucun paysan n'est propriétaire de sa terre ; toutes les terres appartiennent au gouvernement. On conçoit sans peine ce que ces prélèvements peuvent avoir d'arbitraire. Immuable et éternelle Egypte ; rien n'a changé depuis l'an mil. Et elle a offert un modèle de sous-développement au monde entier. La mauvaise administration cristallise les mauvaises solutions et les rendent pérennes ; elles peuvent même acquérir un caractère idéologique sacré, comme à Cuba. On voit ainsi comment l'observation du passé peut montrer le présent sous un nouveau jour. Le sous-développement n'est pas un accident de l'histoire ; c'est l'accumulation millénaire de mauvaises solutions données à des problèmes économiques. Le contrôle tatillon et payant de l'administration a tué tout espoir de développement économique ; qui peut avoir envie de travailler dans ces conditions ?
Muqaddasi a d'autres contrées à nous faire visiter. C'est pourquoi son livre a pour titre : « De la meilleure façon de répartir les pays pour mieux les connaître. » Il donne également une explication de sa méthode de travail : « La description d'un pays est suivie, dans mon œuvre, d'un tableau général où je regroupe diverses données touchant aux domaines suivants : productions de la terre ou de l'artisanat, eaux et climat, traits physiques ou moraux des habitants, populations, coutumes, lieux illustres ou vénérables, impôts, monnaies, poids et mesures, langages, rites de pratique religieuse ou de lecture coranique, pouvoirs en place, distances et itinéraires. » Il s'agit d'un inventaire systématique, d'une radiographie complète d'un empire à son apogée mais montrant plusieurs signes avant coureurs du déclin. La lecture de ce livre est précieuse parce que, comme pour l'Egypte, les enseignements qu'on en tire facilitent la lecture du présent.
Voici, à titre d'exemple, un renseignement intéressant sur le rôle de la politique monétaire dans la prospérité d'un pays : il aborde au pays du Khuwarizm et s'interroge sur son exceptionnelle prospérité. Il trouve un interlocuteur qui lui en donne la raison : « c'était de fixer la monnaie d'argent, le dirham, à un taux sous-évalué ; ainsi, me dit-il, les commerçants sont moins tentés, dans leurs achats hors de leur pays, de profiter d'une somme trop forte, et l'argent reste chez nous et même y entre. » Voici une explication de l'an mil, toujours d'actualité en 2011. Tous les opérateurs économiques apprécieront. De nos jours, le monde riche se plaint de ce qu'il appelle la sous-évaluation du yuan, la monnaie chinoise ; celle-ci suit le dollar dans ses évolutions. De ce fait, comme pour le Khuwarizm en l'an mil, elle s'enrichit en attirant les investissements étrangers et en ouvrant des marchés extérieurs à leurs produits. Par contre, les pays sous-développés qui, comme le Maroc ont réévalué de 20% en dix ans, leur monnaie par rapport au dollar, pénalisent leurs exportateurs sur la zone dollar, pénalisent les touristes en provenance de cette même zone, pénalisent les investissements en provenance de cette zone, se privent de la création de centaines d'entreprises et de milliers d'emplois. L'exemple de Khuwarizm en l'an mil et de la Chine au XXI° siècle, le démontre à l'évidence. Encore faut-il utiliser le capital culturel que les siècles ont accumulé pour notre plus grand profit.
Ce capital culturel, Muqaddasi en profite largement à son époque. Dans son livre, il signale les bibliothèques qui lui ont permis de parfaire ses connaissances.
Il a visité la bibliothèque de Khuzistan qui lui rappelle celle de Bassora, « quoique plus modeste, moins fréquentée et moins riche en livres. L'accès est payant pour tous ceux qui viennent y lire ou recopier des manuscrits. C'est le siège permanent d'un maître théologien, qui y dispense ses leçons selon la doctrine mu'tazilite. »
Abordant la région d'Ispahan, il écrit : « On n'oubliera pas non plus cet autre titre de gloire : sa bibliothèque.
Au Khurassan, l'auteur écrit : je ne peux que citer les mots lus dans un livre à la bibliothèque de l'émir buyide Adud ad-Dawla. » L'auteur utilise le capital culturel de son pays. Un auteur l'a devancé et a déjà décrit Khurassan. Muqaddasi se sert de ces données livresques pour compléter son ouvrage. L'usage des bibliothèques lui permet de parfaire ses connaissances ; elles sont faites pour cela, même si, de nos jours, on ignore cette fonction. Il décrit longuement la bibliothèque de Shiraz, dans le Fârs : « L'accès de la bibliothèque est réservé aux personnes de qualité, et la gestion est assurée par un administrateur, un garde, un contrôleur et un porte-clés choisis parmi les hommes faisant autorité dans la ville. Tous les livres, de toutes disciplines, qui ont pu être composés avant l'époque d'Adud ad-Dawla sont arrivés ici. La bibliothèque consiste en une longue salle voûtée au sol recouvert de nattes d'Abbadan, avec une grande banquette, ouvrant sur un certain nombre de cellules latérales. Tous les murs, ainsi que ceux de la salle voûtée, disparaissent derrière de grands casiers en bois, longs de la taille d'un homme et larges de trois coudées, fermés par un panneau qui s'ouvre vers le bas. Sur des étagères reposent, en bon ordre, les catalogues. Chaque discipline a ses casiers et ses index de noms d'ouvrages. » Muqaddasi et ses lecteurs connaissent l'importance des bibliothèques dans la prospérité matérielle d'un pays. Ils y trouvent le levier qui leur permet d'accroître leurs connaissances et leur intelligence. Là réside le secret du développement quand on est un pays sous-développé. Il ne suffit pas d'aller dans une bibliothèque pour préparer son mémoire de fin d'études ou sa thèse, pour ensuite oublier ce qu'est la lecture. Abraham Lincoln était un ouvrier agricole ; il a préparé sa licence en droit en fréquentant la bibliothèque de sa ville ; c'est ainsi qu'on devient président des Etats-Unis ; sans le savoir, il était un disciple de Muqaddasi. La civilisation musulmane a servi, en bien, à tout le monde, sauf aux Musulmans.
Le livre que je viens de vous présenter, « Un Palestinien sur la route », est dû à la plume d'André Miquel. Celui-ci a reculé devant la traduction intégrale du livre de Muqaddasi. Il en a restitué une synthèse facile à lire. Mais André Miquel connaît bien l'œuvre de Muqaddasi. Il l'a largement utilisée dans sa thèse intitulée : « La géographie du monde musulman jusqu'au milieu du 11ème siècle. » Cet immense ouvrage comprend plus de deux mille pages et sa publication en quatre volumes, s'est étalée de 1967 à 1980.
En exergue de son œuvre, André Miquel a placé une réflexion intuitive de Marcel Proust :
« L'amour, c'est l'espace et le temps rendus sensibles au cœur. » C'est que l'ouvrage scientifique d'André Miquel est en même temps une œuvre du cœur. Effectivement l'auteur a rendu sensible au cœur l'espace et le temps de la civilisation musulmane de l'an mil. Il nous l'a rendu présente. Et, je peux le certifier, la lecture en est passionnante. Comme celle d'un roman policier. On y voit vivre, au jour le jour, une société à son apogée ; on la voit se battre pour un monde meilleur ; et nous savons ce que Muqaddasi ne savait pas : que cette société allait être détruite. Mais, en succombant, elle a laissé aux générations futures les écrits nécessaires pour qu'elles puissent recommencer une nouvelle aventure vers le bien-être social et le progrès intellectuel. C'est à cela que sert la géographie historique et économique.
(Muqaddasî avec
la complicité d'André Miquel : Un Palestinien sur
la route, Le monde
musulman vers l'an mil,
édition Sindbad, Actes Sud, 2008.)


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