Nous sommes en pleine campagne référendaire non seulement pour convaincre les citoyennes et citoyens à s'exprimer en faveur du texte soumis au référendum, ce qui ne devrait pas poser a priori problème, mais surtout pour débattre des enjeux actuels et futurs de notre pays et de sa place sur l'échiquier régional et international. Ce faisant, on se projette déjà dans l'après référendum et des nouvelles tâches qui se posent et s'imposent. Pour ce qui est du projet de constitution, deux lectures nous paraissent possibles et chacune d'elles s'inscrit dans une logique propre : une lecture académique relevant de la discipline du droit constitutionnel et présentant un intérêt scientifique évident ; une lecture politique relevant du champs de la praxis politique et du combat démocratique présentant elle aussi un intérêt pratique et s'appuyant sur la dialectique du concret. La première lecture va forcément servir à dégager des idées intéressantes pour étoffer la discipline du droit constitutionnel et donner matière à des sujets de dissertation pour les étudiants de droit constitutionnel du genre : «la monarchie marocaine est-elle constitutionnelle ou parlementaire ? Argumentez vos réponses» ; «le caractère bicéphale du pouvoir exécutif au Maroc»…Sans nulle doute, les constitutionnalistes auront matière à réflexion pour analyser le texte constitutionnel et le décortiquer en utilisant les techniques qui sont les leurs. La deuxième lecture qui est celle des politiques s'inscrit sur un autre registre. Elle part du concret, c'est-à-dire de ce qui existe, pour voir en quoi le nouveau texte est en avance et dans quelles mesures il répond aux attentes des citoyennes et citoyens et aux propositions formulées par les différentes forces politiques et syndicales. Cette lecture conduit ipso facto à une approbation du projet constitutionnel. D'ailleurs, l'écrasante majorité des forces politiques et syndicales qui se sont exprimées en faveur du projet l'ont fait sur cette base. Ne parlons pas de ceux qui ont annoncé leur position bien avant qu'ils n'aient pris connaissance du texte. Ceux-là ne méritent aucune attention puisqu'ils ont choisi par eux-mêmes de se mettre en dehors de l'histoire perdant ainsi toute crédibilité ! Cette lecture objective, concrète et responsable nous conduit à une large adhésion du peuple marocain, dans sa diversité, au projet de constitution. Tout le monde s'y retrouve d'une manière ou d'une autre sauf ceux qui ne veulent pas voir ou qui ne peuvent pas voir par myopie politique ! La constitution, on ne le dira jamais assez, n'est pas faite pour caresser dans le sens du poil telle ou telle catégorie sociale et a fortiori répondre aux fantasmes personnels. Elle est faite pour l'ensemble du peuple marocain. En ce sens, le texte soumis au référendum, et qui est l'œuvre collective de toutes les composantes de la nation, constitue plus qu'une évolution par rapport au texte de 1996, c'est une révolution en douce qui se profile à l'horizon à condition que l'on sache gérer avec sérénité et patriotisme la nouvelle situation et saisir toutes les opportunités qui nous sont offertes. Pour s'en convaincre, il suffit simplement de lire attentivement le préambule où tout ou presque a été dit. Le parcours des 180 articles formant corps du texte nous donne la conviction que nous aurons désormais notre destin entre les mains. La souveraineté appartient à la Nation et à elle seule. Le peuple marocain accède pour la première fois au stade de la «majorités» et il est traité et considéré comme tel. Nous quittons la loi de la jungle pour vivre ensemble sous la protection de la loi, où le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. Tout laisse croire que le Maroc va accéder aux standards en vigueur des pays démocratiques, sachant que la démocratie est un processus qui n'est jamais définitivement achevé sauf si on croit à la fable de la «fin de l'histoire». Par conséquent, ceux qui ont pris position contre le projet constitutionnel, et c'est leur droit absolu que nous respectons, auront franchement du mal à convaincre les électrices et les électeurs. D'ailleurs, leur argumentaire est puisé dans des considérations «externes» au texte parce qu'ils sont incapables de trouver des éléments «internes» à l'appui de leurs thèses. Tous les prétextes sont bons pour justifier leur position : le manque de concertation, la méthodologie de travail de la commission de rédaction, les modalités de fonctionnement du mécanisme politique… Sur le fonds, ils n'ont presque rien à dire si ce n'est «un Roi qui règne sans gouverner» et faire comme si on était sur une autre planète ! Bien sûr, les choses sérieuses vont commencer au lendemain du premier juillet après la promulgation du nouveau texte constitutionnel. D'autres batailles et d'autres défis nous attendent. Il s'agira de rendre opérationnelles les principales dispositions constitutionnelles à travers le vote des lois organiques dont le nombre avoisine la vingtaine ! C'est un travail de titan qui va s'étaler sur une législature entière. La vigilance et la veille doivent être de mise pour que les acquis constitutionnels ne soient pas confisqués par les conservateurs qui sont toujours à l'œuvre et à l'affût de toute opportunité. Du reste, comme la «plus belle fille au monde ne peut pas donner plus qu'elle a», la constitution elle-même, aussi perfectionnée et avancée soit-elle, ne peut résoudre tous nos problèmes. La constitution est un moyen et non une fin. Il faudra au plus vite, et avec le même sens de responsabilité et de détermination, se pencher sur les réformes politiques et économiques. Et Dieu sait l'ampleur des tâches à ce niveau. Oui, la démocratie est nécessaire comme l'air que nous respirons, mais elle ne nous met pas nécessairement à l'abri des crises économiques et sociales majeures. Regardons ce qui se passe autour de nous dans des pays démocratiques comme l'Espagne et la Grèce pour ne citer que ces deux exemples. L'irréversibilité du choix démocratique, inscrite dans le projet constitutionnel comme constante au même titre que l'intégrité territoriale, et garantie par le Roi en tant que Chef de l'Etat, nécessite justement des réformes politiques, économiques et sociales conséquentes. * Professeur de l'Enseignement Supérieur et membre du Bureau Politique du PPS Article publié dans Al Bayane du vendredi 24 juin 2011.