Généraux algériens... Comment ils exploitent le peuple algérien comme bouclier humain pour protéger leurs intérêts    La Chambre des représentants adopte à la majorité le projet du Code de procédure pénale    Le Maroc renforce sa coopération avec le Burkina Faso dans le domaine de la sécurité militaire    Sahara : Le ministre des AE de la Mauritanie se réunit à Bruxelles avec De Mistura    Fès : La Cour d'appel annule l'interdiction de quitter le territoire pour Mustafa Lakhsem    Scandale à l'Université d'Agadir : Le ministre Ouahbi dévoile un accord surprenant    Emploi: Agadir à la recherche de convergence entre formation et entreprise    Jorf Lasfar : Falcon Energy s'allie à Fluoralpha pour implanter une usine d'anodes    Industrie : SKF inaugure une usine à Tanger    Prix du phosphate : Platts change sa méthodologie de calcul    Cours des devises du mercredi 21 mai 2025    Le Club Afrique développement tient sa 41ème mission multisectorielle en Egypte    Maroc : Bourita tacle ceux qui «se nourrissent» du malheur des Palestiniens    Une ministre palestinienne salue les efforts de Mohammed VI pour la solution à deux Etats    Nasser Bourita : La solution à deux Etats, clé de voûte pour la stabilité régionale    Lekjaa aux jeunes Lions de l'Atlas : Les supporters marocains s'attendaient à une performance plus convaincante et plus stable    Coupe du Trône / 8es (MAJ) : FAR-RCAZ, ce soir    Europa League : Man United-Tottenham, une finale 100% anglaise, un titre pour Mazraoui?    Ligue 1 : Achraf Hakimi (PSG) et Neil El Aynaoui (RC Lens) dans le onze type de la saison    Marruecos: Bourita critica a quienes «se alimentan» de la desgracia de los palestinos    Commission nationale des investissements : 191 projets approuvés pour plus de 326 milliards de dirhams    Les prévisions du mercredi 21 mai    Morocco issues first ESCO authorization, boosting energy efficiency and job creation    Sahara : Mauritania's Foreign Minister meets with De Mistura in Brussels    Lekjaa : L'organisation d'événements sportifs, un levier de développement    Karim Zidane : La Commission nationale des investissements a approuvés 191 projets    Protection sociale : Le CESE alerte sur les défis structurels et propose une refonte globale    « Jiutian »... le porte-avions aérien chinois qui redéfinit la suprématie aérienne    Xi Jinping appelle à une industrie manufacturière plus forte pour faire avancer la modernisation chinoise    FRMF : M. Fouzi Lekjaâ reçoit la délégation de l'Equipe Nationale U20    Bruges : Naples et Leipzig insistent pour Chemsdine Talbi    Affaires étrangères chinoises : Taïwan n'a ni base, ni raison, ni droit de participer à l'Assemblée mondiale de la santé    Santé : L'OMS adopte un accord international sur les pandémies    JPO de la DGSN : La Police montée, un engagement fort au service de la sécurité touristique au Maroc    Gaza : La solution à deux Etats, c'est faire de la paix une réalité    "African Lion 2025" : Exercice de lutte contre les Armes de Destruction Massive au port militaire d'Agadir    Hammouchi reçoit les membres de la DGSN et DGST en partance pour le pélerinage    L'intérêt culturel en Chine se manifeste : plus de 1,4 milliard de visites dans les musées en 2024    Festival de Fès des musiques sacrées : l'Afrique au cœur de la Renaissance    Prochain Spider-Man : le Maroc en toile de fond ?    Festival de Cannes : Denzel Washington reçoit une Palme d'or d'honneur surprise    FNM : Le Musée Nejjarine de Fès, premier établissement à recevoir le Label « Musée du Maroc »    Voilà comment le gouvernement a rendu à la profession d'enseignant ses lettres de noblesse    Coupe de la CAF : Simba SC – RS Berkane se jouera à midi    Trafic illégal de plastiques agricoles : le Maroc cité dans une vaste affaire de déchets exportés depuis l'Espagne    « Semaine Africaine » : L'UNESCO lance les festivités    Projet Madrastna : L'école fait son show    Le cinéma chinois brille au Festival de Cannes : un pavillon dédié reflète l'essor de la créativité cinématographique chinoise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Oum Zahra va au cinéma
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 15 - 11 - 2002

Inédit. Le jeune écrivain Abdellah Taia a envoyé à ALM une nouvelle de son prochain livre, «Premier retour», qui paraîtra en janvier 2003 aux éditions Séguier. Ce récit, à la fois tendre et délicieux, témoigne de la voix très distinguée d'Abdellah Taia parmi la nouvelle génération d'écrivains.
Elle est toujours en vie, Oum Zahra. Elle vit à côté de chez nous, au quartier de l'Océan. Sa maison est de plus en plus sombre. Tout ce qu'elle possède est dans sa chambre à coucher : une armoire vieille où elle cache « ses trésors », une petite télé en couleurs, et des photos presque toutes en noir et blanc accrochées au mur. C'est tout ce qu'elle a, c'est tout ce qui lui reste.
Elle passe ses journées seule avec son chat. Elle lui a donné un drôle de prénom : Michmiche.
Jeune, elle a travaillé chez les chrétiens. Elle répète assez souvent qu'elle avait été très heureuse avec eux. Ils la respectaient, la payaient bien et l'emmenaient même des fois en vacances à Marrakech. Ils lui ont appris la dignité, le sens de la liberté et de l'indépendance. Ils n'avaient pas d'enfants : ils se consacraient l'un à l'autre, s'aimaient vraiment. Oum Zahra les regardait avec tendresse, et parle d'eux avec la même tendresse, dans la voix, dans le regard.
Elle n'a jamais voulu se marier, même quand ses chrétiens sont repartis en France. Pourquoi d'ailleurs, disait-elle parfois, pour être l'objet d'un homme qui se croit Dieu sur terre, la bonne et la prostituée de Monsieur, l'esclave enfermée dans le noir d'un geôlier qui se sent investi d'une mission divine : la protection des valeurs et des traditions ? Non, non, elle n'a jamais voulu de cette prison, de cette sacro-sainte institution, elle la laisse aux autres femmes qui l'acceptent avec résignation.
Les hommes, elle les a toujours invités dans son lit. Ils se donnaient à elle bien volontiers, ils ne restaient jamais longtemps, ils s'aimaient en elle et ils partaient, heureux, légers, inconscients de la réalité du monde pour quelques heures. Elle disait «mes hommes». Ils répondaient «chère Maîtresse». Elle disait «Quand et où». Ils répondaient «Quand tu veux où tu veux».
Aujourd'hui pourtant, ces hommes ne viennent plus vers elle, ils l'ont oubliée, ils sont morts ou mariés avec des mégères sorcières. Le Temps de l'Amour est passé ? Il ne reviendra plus ? Pas si sûr. Elle a plus de 70 ans peut-être. Mais l'année dernière elle est sortie avec un garçon âgé seulement de 30 ans. Les gens la prenaient pour sa mère, parfois même pour sa grand-mère. Dans le quartier, c'était le scandale. Elle laissait dire les autres, elle faisait ce qu'elle voulait, elle suivait son cœur et sa vérité. Le garçon semblait l'aimer vraiment. Sûrement il l'aimait. Mais, lui aussi, à présent, il ne revient plus. Oum Zahra ne le pleure pas. Elle l'a remplacé par les soldats de la caserne militaire à qui elle loue les autres pièces de sa maison. Ils sont beaux ces militaires. Parfois, ils ne payent pas le loyer, elle ne leur en veut pas, elle les garde auprès d'elle. « Ils n'ont nulle part où aller. Ils me tiennent compagnie. Je les vois, je les entends et je les sens vivre à côté de moi. Et pour cela, je leur en sais gré. Ils réchauffent ma maison, et ça, ça n'a pas de prix.»
Ce sont les chrétiens qui lui ont appris à boire et à fumer. Elle continue toujours de le faire. Elle fume beaucoup, que du tabac noir, une marque bon marché, Casa Sport. Mais celle qu'elle préfère par dessus tout, c'est Troupe, une marque distribuée uniquement dans les casernes militaires. Chaque samedi soir, il lui faut son litre de vin rouge. C'est moi qui le lui achète parfois. Elle me dit : «Mon petit Aziz, cette nuit je ne pourrai pas dormir tranquille encore une fois. Tu sais ce qu'il me faut.
C'est tout ce qui me reste. Tu veux bien aller me le chercher?» Elle le boit toute seule, toute la nuit, tout en fumant des cigarettes et en écoutant de la musique, des vieilles chansons françaises, Damia, Edith Piaf, Maurice Chevalier, etc. Tout le monde dans le quartier est au courant de ces soirées auxquelles participent volontiers ses soldats, cela ne choque plus personne.
Certains la trouvent indigne, folle, mais quand il leur arrive de la croiser ils ne peuvent s'empêcher d'être gentils avec elle. A cause de son âge je crois : on ne manque pas de respect à une personne âgée. Son chat Michmich fait l'admiration de toutes les voisines (lui aussi il boit du vin rouge), Oum Zahra dit qu'il ne pisse pas n'importe où, il va aux toilettes lui aussi, tout seul, comme une grande personne.
Aujourd'hui, elle est de plus en plus malade, elle souffre d'une pneumonie qui s'est compliquée avec le temps, car elle ne veut pas arrêter de fumer.
Le soir, elle reste longtemps à regarder la télévision, elle adore les films américains et déteste les feuilletons égyptiens qu'elle trouve insipides. De temps en temps, elle se fait belle et va au cinéma Al-Hamra. Le public de cette salle, exclusivement masculin, s'est habitué avec le temps aux apparitions d'Oum Zahra, on ne la dérange pas, on lui offre des cigarettes et on lui demande même parfois du feu. Elle a sa place dans le dixième rang. Elle lève sa tête vers l'écran et avant même le début du film, elle commence à pleurer en silence, des larmes, des larmes ininterrompues.
Elle ne vient au cinéma que quand il y a des films de guerre : c'est son genre préféré. Ils lui rappellent son fils qu'elle a eu il y a très longtemps avec un Anglais et qui est mort dans la guerre d'Indochine. Les films de guerre lui permettent de le revoir vivre, puis mourir, courir, puis tomber, s'éclairer de l'intérieur, puis s'éteindre, rire, puis souffrir pour finir par s'en aller définitivement… loin d'elle, à côté des Chinois au ciel.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.