Plombé par une sécheresse persistante et une gestion défaillante de son secteur agricole, le Maroc se tourne massivement vers l'Espagne pour assurer son approvisionnement en bétail. Cette dépendance croissante désorganise le marché ibérique où la contraction du cheptel et l'explosion des exportations entraînent une flambée des prix. Face à cette pression, éleveurs et négociants espagnols s'inquiètent des effets d'une demande marocaine qui semble dictée plus par l'urgence que par une véritable stratégie de souveraineté alimentaire. La pénurie de bétail et la demande soutenue du Maroc alimentent depuis plusieurs mois une flambée des prix sur le marché espagnol, exacerbée par une conjonction de facteurs climatiques et économiques. L'attrait grandissant de Rabat pour le cheptel ibérique, notamment pour couvrir les besoins du ramadan, bouleverse l'équilibre du secteur, déjà fragilisé par une offre restreinte. «Le Maroc achète massivement, sous toutes ses formes : jeunes veaux destinés à l'engraissement, bêtes prêtes pour l'abattage, carcasses. La demande est si forte qu'elle assèche le marché intérieur», explique la bourse agricole de Salamanque. Cette augmentation des importations marocaines s'explique en partie par la mauvaise gestion des ressources nationales qui a réduit les capacités d'élevage du royaume et contraint ses opérateurs à se tourner vers l'étranger. La bourse de León, elle, a confirmé que le Maroc est devenu le principal débouché des exportations de bétail vivant, au point de structurer une grande partie des flux commerciaux. «Il s'agit désormais du marché extérieur le plus important pour nos éleveurs. Le bétail espagnol y est recherché pour sa qualité, ce qui stimule la filière mais raréfie l'offre sur notre territoire», a-t-on mentionné. Outre les exportations, la contraction du cheptel espagnol accentue la pression sur les prix. «Nos élevages ont subi plusieurs années de turbulences, entre maladies, sécheresse et coûts d'exploitation élevés. La viande bovine ne se renouvelle pas instantanément», a-t-on souligné. «Nous sortons d'une période marquée par l'épidémie hémorragique qui a réduit les effectifs, suivie d'une année de fourrages coûteux et d'une raréfaction des pâturages et des ressources en eau. Résultat : le nombre de veaux sur le marché s'effondre.» Le secteur ovin suit une tendance similaire. Après les fêtes de fin d'année, les prix sont demeurés stables grâce aux exportations de jeunes agneaux vers le Maroc. «En janvier et février, l'offre était réduite, car les éleveurs écoulent leurs stocks avant Noël. Mais les ventes à destination du Maroc, amplifiées par la proximité du Ramadan, ont permis de préserver l'équilibre du marché», a-t-on détaillé. Dans le royaume, la hausse des prix du bétail nourrit un mécontentement grandissant, d'autant que les importations massives semblent profiter plus aux intermédiaires qu'aux consommateurs. Alors que le gouvernement d'Aziz Akhannouch promettait un approvisionnement stable et des prix maîtrisés, le marché marocain est livré à des spéculateurs qui exacerbent la flambée des coûts. Eleveurs locaux et consommateurs se retrouvent pris en étau, les premiers écrasés par le coût des intrants et les seconds par des prix inaccessibles. Une situation qui évoque l'absence de régulation efficace et les limites d'une politique agricole où les circuits de distribution demeurent largement opaques.