L'Espagne ravive un projet géostratégique ancien : établir une liaison fixe entre l'Europe et l'Afrique par un tunnel sous-marin reliant les côtes andalouses au nord du Maroc. Près de quarante ans après la signature d'un accord bilatéral avec Rabat, le ministère des transports, conduit par Óscar Puente, a mandaté la société publique Ineco pour mener une étude de faisabilité approfondie. Le montant alloué atteint 1,63 million d'euros, contre 2,4 millions prévus initialement, à la suite de modifications du cahier des charges, notamment la suppression de la galerie de reconnaissance et la réduction des tracés alternatifs à examiner, selon des sources officielles espagnoles. Un ouvrage de plus de 38 kilomètres entre Algésiras ou Tarifa et Tanger Deux points du littoral espagnol sont envisagés pour accueillir la future extrémité nord du tunnel : le secteur d'Algésiras, doté d'un port d'intérêt stratégique et d'une connexion ferroviaire, ou les abords de Tarifa, la ville la plus méridionale d'Europe. Le tracé, qui se prolongerait vers les environs de Tanger, privilégie une configuration de 38,5 kilomètres, dont 27,7 kilomètres sous-marins, avec deux galeries ferroviaires creusées sous le plancher océanique, dans une zone géologiquement instable, sujette à des séismes et constituée de flyschs. Le seuil de Camarinal, point névralgique des études géotechniques C'est dans ce segment particulièrement délicat, le seuil de Camarinal, que se concentre actuellement l'attention des ingénieurs. La société allemande Herrenknecht, spécialisée dans les tunneliers (TBM), y conduit des analyses techniques pour déterminer la faisabilité du percement. Son rapport est attendu pour juin 2025. Porté dès les années 1980 par la Secegsa (Société espagnole d'études pour la communication fixe à travers le détroit de Gibraltar) et sa consœur marocaine SNED, ce projet bénéficie aujourd'hui d'un regain de crédit, nourri par le réchauffement des relations bilatérales depuis la visite du président du gouvernement Pedro Sánchez à Rabat en avril 2022. En 2023, lors de la Réunion de haut niveau, l'ancienne ministre Raquel Sánchez avait qualifié cette infrastructure de «stratégique». Un modèle économique inspiré du tunnel sous la Manche Inspiré du précédent franco-britannique, le projet ibéro-marocain prévoit d'examiner les conditions d'une rentabilité à travers les péages ferroviaires, les recettes logistiques, les redevances sur les terminaux, voire les revenus de services annexes comme l'interconnexion électrique ou la fibre optique. Les projections financières devront déterminer si une participation publique-privée, associée à des fonds européens, peut assurer l'équilibre économique de l'ensemble. Malgré cet élan, de nombreux écueils persistent : complexité géologique, profondeur des eaux, coût potentiellement faramineux. Même les partisans du tunnel reconnaissent que sa concrétisation exige une volonté politique soutenue, un montage financier robuste et des garanties techniques solides. Madrid n'écarte toutefois pas son potentiel, jugeant qu'il constituerait «un maillon essentiel du corridor euro-méditerranéen.»