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Les distributeurs de carburants, à leur tête Aziz Akhannouch, imposent une ponction massive au détriment des ménages marocains et malgré la décrue mondiale
Les compagnies pétrolières opérant au Maroc ont procédé, le 2 juin, à une nouvelle majoration des prix du gazole et de l'essence, à hauteur de 12 centimes par litre, en dépit du reflux des cours internationaux. Cette décision, non encadrée par une régulation effective, illustre la dérive d'un modèle économique converti en machine à profit, indifférente aux équilibres sociaux. À Casablanca, le litre de gazole, à titre indicatif, atteint désormais 11,26 dirhams tandis que celui d'essence grimpe à 13,22 dirhams. Or, selon les données techniques disponibles, le coût moyen à l'importation, déchargement compris, ne dépasse guère cinq dirhams le litre. La différence, représentant plus de la moitié du prix final, se partage entre des prélèvements fiscaux substantiels — de 3,5 dirhams pour le gazole et 4,7 dirhams pour l'essence — et des marges commerciales difficilement justifiables. Une économie de la rente sous perfusion fiscale Le secrétaire général du Syndicat national du pétrole et du gaz et président du Front national pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole, Elhoussine Elyamani, accuse les distributeurs d'avoir multiplié leurs marges nettes par cinq en moins d'une décennie. «Les gains réalisés par les opérateurs dépassent désormais 3 000 dirhams par tonne pour l'essence, contre à peine 700 dirhams avant la libéralisation de 2015», affirme-t-il. D'après lui, la réforme conduite par le gouvernement Benkiran (2012-2016) à la fin de 2015 — qui a supprimé tout mécanisme de plafonnement — n'a jamais été conçue pour soulager le consommateur. Elle aurait, au contraire, légalisé des pratiques spéculatives, sous couvert de libéralisme, sans cadre de contrôle adéquat. L'Etat sommé de rompre son inertie M. Elyamani dénonce une dépendance systémique aux carburants raffinés importés, exposant le pays à la volatilité externe. L'arrêt de la raffinerie de Mohammédia — pilier de la souveraineté énergétique nationale — a aggravé cette vulnérabilité. «Le Maroc a délibérément renoncé à ses capacités de raffinage pour confier son approvisionnement à un oligopole privé, au mépris du pouvoir d'achat», tranche-t-il. Alors que le gouvernement prétend réorienter les aides vers les catégories vulnérables, les prix des denrées, du transport et des services continuent de grimper. «Il est illusoire de proclamer la protection de la classe moyenne tout en garantissant les rentes des distributeurs d'hydrocarbures», déplore M. Elyamani. Le silence des décideurs À mesure que les bénéfices du secteur s'accroissent — estimés à plus de 80 milliards de dirhams depuis 2015 — les interrogations se multiplient : pourquoi aucune action n'est-elle engagée pour relancer le raffinage ou encadrer les marges ? Pourquoi le gouvernement tolère-t-il cette prédation organisée ? Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, dont le groupe familial opère dans le secteur pétrolier, reste silencieux. Ce mutisme alimente les soupçons de conflits d'intérêts durables, dans un contexte d'érosion sociale et de crise économique. De nombreuses voix plaident pour une réhabilitation du rôle stratégique de l'Etat. La relance de la raffinerie Samir, symbole de souveraineté économique, figure parmi les revendications les plus pressantes. «Tant que la politique énergétique sera dictée par des intérêts privés, aucune protection durable du citoyen n'est envisageable», conclut M. Elyamani, dans un appel à rompre avec ce qu'il nomme «le capitalisme débridé d'Etat».