41 % du territoire de l'Union européenne sont désormais touchés par un déficit hydrique avéré ou imminent, selon les derniers relevés de l'Observatoire européen de la sécheresse (EDO). Alors que les mois les plus ardents de l'année restent à venir, le dérèglement climatique imprime sa marque, au-delà du seuil des 1,5 °C fixé par l'Accord de Paris. Durant la période du 11 au 20 mai, l'EDO a recensé des conditions particulièrement critiques en Espagne méridionale, à Chypre, en Grèce et en Albanie. La Pologne et l'Ukraine enregistrent également des déficits alarmants. Plus au nord, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni font face à un assèchement progressif des sols. L'Agence de l'environnement (EA) britannique a déclaré une sécheresse dans le nord-ouest de l'Angleterre le 28 mai, à la suite d'un affaissement notable du niveau des nappes et des réservoirs. Les prévisions demeurent pessimistes. L'accélération de la crise climatique dépasse désormais les projections antérieures. Selon les dernières simulations des experts du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), l'objectif de +2 °C sera franchi aux alentours de 2037, faisant basculer le système climatique mondial dans une phase de bouleversements irréversibles. «Les températures ont déjà franchi le seuil des 1,5 °C. L'augmentation pourrait atteindre entre 2,7 et 3,1 °C même dans le scénario le plus optimiste», avertissent les scientifiques. La Grèce en alerte extrême La Grèce, particulièrement éprouvée, se prépare à une saison de feux hors normes. Le gouvernement annonce «un été particulièrement difficile» et mobilise 18 000 pompiers, un record. La flotte de drones d'observation a été presque doublée pour repérer les foyers à temps. Les incendies de l'an dernier avaient déjà révélé les limites de l'infrastructure face à l'emballement thermique. D'après l'Attribution météorologique mondiale (WWA), le réchauffement climatique d'origine anthropique accroît sensiblement la sévérité des sécheresses. Le phénomène observé en 2022 à travers l'hémisphère nord a été «vingt fois plus probable à cause du changement climatique», conclut l'organisation. Pressions sur l'énergie et pertes économiques La pression sur les infrastructures énergétiques devient aiguë. L'Association internationale de l'hydroélectricité (IHA) alerte sur le fait que «les centrales électriques sont désormais contraintes de fonctionner à la limite de leurs capacités» en raison de l'alternance brutale entre sécheresse et précipitations extrêmes. Les pertes économiques s'accumulent. La société d'assurance Howden estime que les événements climatiques extrêmes coûtent environ 28,3 milliards d'euros par an à l'Union européenne, en dommages aux cultures et aux cheptels. Les précipitations déréglées par le réchauffement L'évolution des températures mondiales pourrait entraîner des perturbations durables de la zone de convergence intertropicale (ZCIT), clef de voûte des régimes pluviométriques dans les régions équatoriales. Selon une étude publiée par le Centre international de recherche sur le climat (CICERO) dans la revue Earth's Future, un réchauffement au-delà de 1,5 °C pourrait déplacer la ZCIT vers le sud, modifiant en profondeur les saisons humides et sèches en Afrique, en Asie du Sud-Est, en Amazonie et en Europe. «Les effets que nous décrivons sont appelés à s'inscrire dans la durée», explique Norman Steinert, chercheur principal du CICERO. À travers huit modèles du système terrestre, deux scénarios ont été examinés : l'un dit «idéal» avec une augmentation régulière du CO2 durant 140 ans suivie d'un reflux symétrique ; l'autre «réaliste», tablant sur un pic d'émissions en 2040, puis une décroissance. Dans plusieurs cas, un déplacement significatif de la ZCIT a été observé, faisant peser de lourdes incertitudes sur la répartition des pluies à l'échelle mondiale. Environ 23 % de la population mondiale et plus de 12 % des terres émergées seraient concernées. Un affaiblissement de la circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC), déjà amorcé, pourrait en outre rendre ce basculement plus probable que ne le laissent supposer les modèles actuels. Certains scientifiques redoutent un effondrement de l'AMOC dans les 25 à 50 prochaines années, ce qui pourrait provoquer une glaciation partielle du continent européen.