Dans une étude dense et savamment construite, intitulée «Le verdissement des politiques monétaires», Christian de Boissieu enjoint les banques centrales à adapter certains de leurs mécanismes aux impératifs de la transition énergétique, tout en demeurant fidèles à leur double vocation : préserver la stabilité des prix et prévenir les désordres financiers. Ce texte, publié par le Policy Center for the New South (Policy Paper n° 23/25, juillet 2025), s'appuie sur une lecture minutieuse des pratiques actuelles et propose des orientations pragmatiques, sans jamais céder à la facilité doctrinale. Le retrait américain affaiblit la gouvernance climatique Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a coïncidé avec une série de désengagements majeurs sur le plan climatique. En mai 2025, la Réserve fédérale s'est retirée du Réseau pour le verdissement du système financier (NGFS), qui regroupait alors cent quarante-trois banques centrales. Ce geste, présenté comme purement technique, a été contesté par Graham Steele, ancien cadre du Trésor américain, qui y voit une décision éminemment politique. Pour Christian de Boissieu, «ce retrait soulève un doute sur la véritable indépendance de la Réserve fédérale à l'égard du pouvoir exécutif». Parallèlement, les contraintes budgétaires imposées par la montée des dépenses de défense, notamment en Europe, réduisent l'espace alloué au financement public de la transition énergétique. La gouvernance mondiale apparaît atone : le G7 et le G20 se montrent peu empressés d'encadrer ces enjeux, tandis que le respect des critères extra-financiers (environnement, social, gouvernance) se heurte à des reculs réglementaires dans plusieurs grandes économies. Une responsabilité modulée, un mandat inchangé L'auteur rappelle que la banque centrale ne saurait se substituer au pouvoir politique dans la définition des priorités climatiques. Elle ne dispose ni de la légitimité démocratique, ni de l'instrumentation suffisante pour prétendre conduire une politique climatique en propre. Toutefois, elle ne peut davantage ignorer les conséquences du dérèglement climatique sur sa propre stabilité. C'est tout le sens du principe de double matérialité évoqué dans l'étude : «il faut à la fois analyser l'effet du climat sur les bilans et apprécier l'effet des politiques monétaires sur le climat». Les banques centrales, selon Christian de Boissieu, «ne peuvent rester en marge d'un phénomène qui altère en profondeur la valeur des actifs et la structure des risques». Sans remettre en cause la primauté des deux objectifs qui forment le cœur de leur mandat — stabilité monétaire et stabilité financière —, il leur appartient d'ajuster leurs pratiques dans les marges permises par leur indépendance. Trois leviers monétaires pour accompagner la transition Le document identifie trois vecteurs par lesquels les banques centrales peuvent contribuer, indirectement mais efficacement, à la transformation des économies. Le premier tient aux conditions de refinancement accordées aux établissements bancaires. Plusieurs banques centrales, notamment en Hongrie, au Japon ou en Chine, ont introduit des dispositifs de taux préférentiels pour les crédits à caractère durable. La Banque centrale européenne (BCE), pour sa part, n'a pas encore instauré de «taux vert», bien que plusieurs organisations aient plaidé en ce sens. L'ancien dirigeant de la BCE Francesco Papadia a exprimé des réserves, jugeant cette différenciation problématique en l'absence d'une taxonomie stabilisée. Le deuxième levier réside dans les achats de titres effectués par la banque centrale sur les marchés. L'acquisition d'obligations dites vertes permet, sans subvention explicite, de soutenir les émetteurs engagés dans la transition. Le rapport souligne qu'en zone euro, la proportion de ces obligations dans le portefeuille de la BCE est passée de 13 % en 2022 à 20 % en 2023, avec un objectif de 25 % pour 2025. Selon l'auteur, «ce rééquilibrage des portefeuilles peut favoriser un abaissement du coût du capital pour les entreprises les plus vertueuses». Enfin, le troisième outil réside dans le choix des garanties (collatéraux) acceptées lors des opérations de refinancement. La BCE a amorcé une politique sélective en matière de collatéraux, tenant compte du profil climatique des émetteurs. Le rapport appelle à approfondir cette orientation : exclusion des actifs non durables, modulation des décotes appliquées aux garanties, exigences accrues de transparence. Ni création monétaire illimitée, ni rôle supplétif L'auteur se montre particulièrement ferme sur un point : les banques centrales ne doivent en aucun cas financer directement la transition par émission monétaire. «Le recours à la création monétaire pour contourner les contraintes budgétaires serait dangereux : il compromettrait l'ancrage des anticipations et raviverait la pression inflationniste», prévient Christian de Boissieu. Il distingue avec précision les rôles respectifs des banques centrales et des banques commerciales. Les premières disposent d'une monnaie sans limite théorique, mais dont l'usage doit demeurer prudent. Les secondes, bien que créatrices de monnaie par le crédit, sont soumises à des contraintes prudentielles et à la discipline du marché. Toute confusion des rôles serait contre-productive. Vers une convergence des taxonomies durables Le rapport évoque également la prolifération des taxonomies en matière de durabilité. Quarante-sept classifications distinctes ont été recensées en février 2024 par le Réseau pour une finance durable (SBFN), dont trois à vocation supranationale. L'auteur note une tendance à la convergence, sous l'effet d'un souci partagé de transparence et d'une volonté de circonscrire les pratiques de verdissement de façade. «Les taxonomies sont encore imparfaites, mais leur harmonisation est une condition sine qua non d'une politique monétaire plus responsable», affirme-t-il. Dans cette optique, Christian de Boissieu salue les travaux entamés par la Banque africaine de développement (BAD) pour rapprocher les référentiels nationaux du continent, et appelle les banques centrales à prendre appui sur les notations extra-financières afin d'évaluer les émetteurs. Une coopération internationale à poursuivre Le retrait américain du NGFS n'obère pas, selon l'auteur, la possibilité d'une coordination renforcée entre les autres banques centrales. «Ce désengagement, fût-il durable, ne doit pas servir de prétexte à l'immobilisme», prévient-il. Le texte conclut sur un appel à la vigilance : seule une gestion active des bilans, assise sur des critères rigoureux, permettra aux autorités monétaires de concilier les exigences climatiques avec les fondements de leur légitimité.