Le projet de loi américain visant à désigner le polisario comme Foreign Terrorist Organization (FTO) appelle à une réflexion sur la nature exacte de ce groupe armé. Dans une première partie, nous avons évoqué la situation de la population des camps de Tindouf. Aujourd'hui, nous abordons le deuxième volet, concernant le statut du polisario. Le polisario a jusqu'à présent été considéré comme une «partie au conflit», sans que la nature de son action ne soit véritablement interrogée. Par une forme de facilité de langage, de précaution diplomatique ou d'indifférence, la presse internationale se borne généralement à indiquer qu'il s'agit d'un groupe «indépendantiste» «soutenu par l'Algérie», sans autres précisions. Or, l'Algérie ne se contente pas de «soutenir» ce mouvement. Le régime algérien en a fait une milice à sa solde qu'il utilise à sa guise depuis cinquante ans pour agresser le Maroc dans une guerre non déclarée et en violation du droit international. Venons-en à un point rarement clarifié dans les débats publics : qu'est vraiment le polisario au regard du droit international et de la réalité politique et militaire ? «Polisario» et droit international Il faut rappeler une vérité : le polisario n'a jamais été reconnu comme mouvement de libération nationale. Ni l'ONU, ni l'OUA (aujourd'hui Union africaine) ne lui ont accordé ce statut. L'OUA s'est cependant rattrapée en approuvant en 1983 une résolution (AHG/Res.104 (XIX)) qui, pour ce qu'elle vaut, a identifié «le Front Polisario» comme étant une des «parties au conflit». C'est, en définitive, la seule «légitimité» dont peut se prévaloir le «polisario». C'est à ce titre qu'il a signé en 1997 avec la Minurso des accords s'appliquant à ses forces militaires. C'est un «interlocuteur de facto» de l'ONU dans la recherche d'une solution à un différend régional et sa qualification par l'Assemblée générale de l'ONU en 1979 de «représentant du peuple du Sahara occidental» a été une erreur qui ne s'est pas répétée. D'aucuns affirment que le polisario, pour avoir adhéré aux Conventions de Genève de 1949, aurait été reconnu comme un mouvement de libération nationale, «protégé» par ces conventions et leur Protocole additionnel. Le polisario, en effet, s'est engagé à respecter les Conventions de Genève et à coopérer avec le Comité international de la Croix-Rouge. Il a aussi signé un acte d'engagement (Geneva Call), interdisant l'usage des mines antipersonnel et s'est engagé à les détruire. Cependant ces engagements sont un simple mécanisme alternatif pour ce qu'il est convenu d'appeler les entités armées non étatiques qui souhaitent respecter les normes humanitaires internationales. Les conventions de Genève s'adressent principalement aux Etats. Néanmoins, voulant anticiper la réalité des conflits armés opposant un Etat à un ou plusieurs groupes armés non étatiques, l'article 3 commun aux conventions de Genève prévoit un minimum de protections pour les personnes affectées par des conflits armés non internationaux. Cette disposition n'exige pas la reconnaissance du statut de belligérant ni la reconnaissance d'un groupe armé en tant que partie légitime au conflit. Elle se limite à imposer des obligations à toutes les parties. L'application des conventions et du protocole additionnel n'a aucun effet, ni sur le statut juridique des parties au conflit, ni sur le statut juridique du territoire concerné (article 4 du protocole additionnel II). Les groupes armés non étatiques n'acquièrent aucun droit de reconnaissance internationale par leur engagement dans ces traités. Ils sont reconnus comme étant des parties à un conflit international, au même titre qu'un Etat, mais il s'agit d'une reconnaissance fonctionnelle, pas politique. Leur statut est lié à leur capacité d'appliquer le droit international humanitaire (DIH). Une organisation sans légitimité Le polisario exerce un pouvoir quasi souverain sur les camps près de Tindouf, sans élections libres ni pluralisme politique. Plusieurs ONG dénoncent l'absence de libertés fondamentales et les atteintes aux droits de l'homme, sous l'œil bienveillant d'Alger. La supercherie d'Alger, qui veut faire du polisario le «représentant» de la population du Sahara marocain, a fait long feu. À ce sujet, Haj Ahmed Bericallah, ancien membre dirigeant du groupe de Tindouf et premier secrétaire du «Mouvement sahraouis pour la paix» (MSP) se demande si le polisario est «réellement l'expression authentique de la volonté populaire sahraouie ou plutôt le résultat de dynamiques et d'influences extérieures» ? (La Provincia, 24.08.2025). Il donne la réponse : «Des faits historiques vérifiables révèlent une fraude majeure : le Polisario n'est pas né d'un véritable mouvement populaire sahraoui, mais de manipulations et de complots extérieurs». Le polisario n'a aucune présence sur le territoire qu'il dit vouloir «libérer» (une question essentielle serait de savoir ce qu'en pensent les habitants des provinces du sud). Ce groupe armé «déterritorialisé» est hébergé en Algérie, d'où il lance ses attaques sporadiques rigoureusement encadrées – lorsque l'armée algérienne l'y autorise, et toujours selon des conditions très strictes. Depuis l'épisode de Guerguerat et la rupture du cessez-le-feu, il a perdu toute initiative militaire et a été repoussé loin du «mur de défense» marocain. Le polisario n'a pas de soutien populaire significatif dans les provinces. Il n'a aucun pouvoir de décision et ne jouit d'aucune liberté de manœuvre. Il dépend entièrement de l'Algérie pour sa logistique, sa diplomatie et sa sécurité. Ses dirigeants, qui détiennent pour la plupart des passeports algériens (souvent diplomatiques), ainsi que les membres armés ne sauraient être considérés comme des réfugiés : ils pourraient relever de la clause d'exclusion prévue à l'article 1F de la Convention de 1951, selon laquelle certains individus peuvent être exclus du statut de réfugié si : «Il y a des raisons sérieuses de penser qu'ils ont commis un crime de guerre, un crime contre la paix, ou un acte contraire aux buts et principes des Nations Unies.» Cette clause vise précisément les personnes engagées dans des activités militaires ou politiques violentes. Cela signifie que les combattants du polisario ne relèvent pas du même statut que la population. Tandem polisario-«rasd» Rappelons que, peu après le départ des Espagnols du Sahara marocain en 1976, Alger a créé une «république» dans les camps de Tindouf. Alger n'ignorait pas qu'un «mouvement de libération» installé hors du territoire ne pouvait avoir aucune crédibilité. Pour ne pas être accusé d'abriter des terroristes, il fallait donner l'illusion de l'existence d'un «Etat» disposant d'une armée régulière qui contrôlerait une partie du territoire et lutterait pour la libération du reste. D'où les affabulations au sujet de prétendus «territoires libérés» et le flou volontairement entretenu sur le territoire de cette «république». D'où également les «communiqués militaires» qui sont prétendument datés de Bir Lehlou, et attribués non pas au polisario mais à «l'Armée populaire de libération». Notons au passage la contradiction dans laquelle s'est mis le polisario, qui se veut un «mouvement de libération», mais qui attribue ses actions armées à une milice composée de «réfugiés». Toutes ces manœuvres visent à donner de la consistance et de la visibilité à la «rasd» et à donner de la substance à la thèse fallacieuse d'un conflit entre le Maroc et une «république», de surcroît membre de l'Union africaine. Dans les camps de Tindouf, il y a une dualité de commandement polisario/rasd, le polisario ayant cependant la primauté sur la «république». Aux termes de l'article 51 de la constitution de la «rasd», «le secrétaire général du polisario est le chef de l'Etat». En réalité, les dirigeants du tandem polisario/«rasd» sont les mêmes, et la soi-disant «armée» est «le bras armé» du polisario (art. 13). Cet échafaudage souffre cependant d'un défaut majeur : la «rasd» n'est rien d'autre qu'une fiction juridique, sans territoire. Vers une désignation comme organisation terroriste ? À ce stade, on peut se demander pourquoi le Maroc ne prendrait-il pas lui-même l'initiative d'une désignation du polisario comme organisation terroriste. En réalité, le Royaume est engagé dans un processus onusien de règlement dans lequel le polisario est partie prenante. Une déclaration unilatérale qualifiant ce mouvement de groupe terroriste pourrait être perçue à l'ONU comme une rupture du cadre négocié et un acte de défiance à l'égard de l'instance onusienne elle-même. Par ailleurs, une telle mesure risquerait d'affaiblir la position du Maroc en donnant à ses détracteurs un prétexte pour remettre en cause sa bonne foi dans la recherche d'une solution politique. Elle pourrait également provoquer des tensions avec des pays qui, sans soutenir le polisario, tiennent à préserver le processus diplomatique. Enfin, sur le plan stratégique, une telle qualification, si elle n'est pas relayée par une coalition d'Etats ou par des institutions internationales, risquerait de demeurer symbolique et sans effets concrets, voire contre-productive. En définitive, il est préférable que la mesure vienne d'ailleurs. Le polisario remplit toutes les conditions Le droit américain est explicite : pour désigner un groupe comme FTO, il faut trois conditions : qu'il soit étranger ; qu'il s'engage dans des activités terroristes (enlèvements, attaques contre des civils, violences transfrontalières) ; que ces activités menacent les intérêts américains. Or, le polisario est bien un groupe armé étranger, qui a perpétré et revendiqué de nombreux actes terroristes depuis les années soixante-dix, et qui menace la stabilité d'une région où les intérêts américains sont importants. Ce serait un acte de cohérence avec les principes que les Etats-Unis affirment défendre : la sécurité régionale, la lutte contre les milices déterritorialisées, et la recherche de solutions politiques négociées. Le projet de loi Wilson s'inscrit dans cette logique juridique. Les précédents existent : des groupes aux profils similaires ont reçu le label peu enviable. Le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), les FARC colombiennes, les Tigres tamouls, ou encore le Hezbollah libanais, ont tous été désignés comme FTO alors même qu'ils disposaient d'un ancrage populaire local, parfois d'une branche politique ou d'une reconnaissance régionale. Deux scénarios possibles Deux scénarios peuvent se présenter : la simple menace ou la désignation effective. La menace est un moyen de pression redoutable : c'est une épée de Damoclès qui devrait suffire à vaincre les réticences d'Alger. Le passage à l'acte serait, en revanche, une mesure radicale. Elle provoquerait un séisme diplomatique, avec de lourdes conséquences tant pour le polisario que pour l'Algérie.