À la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, le ministre algérien des affaires étrangères Ahmed Attaf a livré un discours qui, dans sa partie consacrée au Sahara marocain, est une profession de foi doctrinale, une harangue sans nuance. Rappel historique à l'appui (soixante ans depuis l'inscription de la question à la liste onusienne de décolonisation, cinquante ans depuis le premier texte du Conseil de sécurité, trente-quatre ans depuis la création de la Minurso) il a égrené la litanie des griefs algériens. Surtout, au sujet du règlement, il a énoncé cinq «paramètres principaux» (ضوابط رئيسية), qui, du point de vue du régime algérien, constituent autant de conditions préalables : ▪ Que le règlement intervienne sous la tutelle des Nations unies. ▪ Qu'il repose sur des négociations directes entre les deux parties au conflit. ▪ Qu'il soit élaboré et formulé par les deux parties elles-mêmes, et non imposé par l'une d'elles ou par d'autres acteurs extérieurs. ▪ Qu'il soit conforme, dans son contenu, aux principes onusiens de décolonisation. ▪ Qu'il permette l'exercice effectif du droit à l'autodétermination. Poussée dans ses derniers retranchements, l'Algérie se dévoile enfin. Là où le même discours se voulait plus consensuel sur la Libye, en plaidant pour un processus piloté par les Libyens, ou sur la Palestine, en valorisant le consensus international sur la solution à deux Etats, le ton change radicalement pour le Sahara marocain. Alors qu'elle a toujours affirmé qu'elle soutiendrait toute solution agréée par les parties, l'Algérie se fait juge du cadre acceptable et cherche à imposer ses paramètres. Elle ne se limite pas à soutenir le processus onusien ; elle prescrit et verrouille son contenu. D'«observateur préoccupé», Alger change soudainement de casquette et entend se substituer au Conseil de sécurité. Il se pose en partie prenante qui entend avoir voix au chapitre et imposer ses conditions dans ce qui ressemble fort à un diktat. Et ce, alors même que le régime algérien n'a plus de cartes. Isolement régional Cette posture s'inscrit dans un contexte de profond isolement régional. Dans son voisinage immédiat, au nord et au sud de la Méditerranée, l'Algérie se retrouve en tension avec la quasi-totalité de ses partenaires. Les relations sont rompues avec le Maroc depuis 2021 ; la rupture avec les voisins du Sahel est consommée, les liens avec le Mali se sont dégradés au point de donner lieu à des invectives publiques rappelées par Attaf lui-même dans son discours ; les relations sont froides avec la France et tièdes avec l'Espagne, sur fond de Sahara. En Afrique, son poids diplomatique s'est réduit : de nombreux Etats reconnaissent la primauté du cadre onusien, certains ouvrant des consulats au Sahara en signe de soutien. À l'Union africaine, Alger ne bénéficie plus du même effet d'entraînement que dans les années 1980-90. La «carte africaine» ne joue plus en sa faveur. À l'international, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara et de la primauté de l'initiative marocaine d'autonomie a marqué un tournant. Quant au Conseil de sécurité, il privilégie une approche de compromis politique «mutuellement acceptable», bien éloignée de la logique de référendum. Dans ce contexte, la rhétorique algérienne apparaît anachronique, figée dans une lecture d'un autre temps. Les ressorts d'une obstination Pourquoi, malgré ce rapport de forces défavorable, l'Algérie persiste-t-elle ? Quatre logiques se superposent. D'abord, une logique identitaire : la légitimité du régime repose largement sur les slogans «révolutionnaires». Abandonner le polisario reviendrait à se renier. Ensuite, une logique de rivalité bilatérale : céder sur le Sahara équivaudrait à offrir une victoire totale au Maroc, perspective perçue comme intolérable. Pour l'appareil militaire et diplomatique, il s'agit d'un enjeu de prestige et de sécurité. Troisièmement, un blocage institutionnel : dans le système politique algérien, aucune voix influente ne peut plaider pour une révision de la doctrine sans être accusée de trahison. L'«obstination» est en réalité une absence de marges de manœuvre. Enfin, un calcul diplomatique de la dernière chance : Alger mise sur l'assemblée générale de l'ONU, où il estime que la situation est à son avantage, face à une diplomatie marocaine tournée vers le Conseil de sécurité et les reconnaissances bilatérales. L'Algérie tente de maintenir le conflit dans un cadre où elle pense pouvoir trouver des soutiens. Ceux-ci, en réalité, se sont réduits comme une peau de chagrin et se limitent à une poignée de pays sans poids et sans influence. En réaffirmant la doctrine onusienne de décolonisation, omettant le rôle du Conseil de sécurité, Alger croit pouvoir faire jouer les majorités automatiques qui lui ont tant servi en d'autres temps. Le discours d'Attaf illustre un durcissement rhétorique au moment même où l'Algérie se retrouve marginalisée. L'assemblée générale est désormais son ultime recours. L'obstination affichée traduit moins une stratégie que l'expression d'un piège idéologique et institutionnel. L'Algérie est prisonnière d'une doctrine dépassée. Ce discours le prouve : la question du Sahara, en Algérie, est une affaire de politique intérieure. C'est, à l'évidence, à l'opinion publique algérienne qu'il est destiné. Il révèle aussi le désarroi du régime algérien : il a perdu la partie et il le sait. Il s'accrochera à l'assemblée générale comme à une bouée de sauvetage.